jeudi 28 juillet 2016

Père Jacques Hamel.

Père Jacques Hamel, assassiné le 26 juillet 2016
Requiescat in pace
Les ministres des cultes, pasteurs, prêtres, rabbins, imams, popes, sont des cibles... Et puisque dans la tradition de l'Eglise protestante unie de France, il arrive qu'officient de plein droit des gens qui ne sont pas ministres, ces gens-là aussi sont des cibles. Les assaillants potentiels ne disposent pas de l'intelligence nécessaire pour faire la différence entre les uns et les autres.

Je voudrais avoir une pensée fraternelle pour toutes celles et tous ceux qui vont officier, maintenant que la menace est devenue parfaitement évidente.

Lorsque les assassins entreront dans le Temple, lorsque nous aurons à marcher dans la vallée de l'ombre de la mort, que ferons-nous, comment réagirons-nous ? Nul ne le sait. Mais chacun peut relire le Psaume 23.

Notre seule force de résistance est de continuer à officier publiquement, ouvertement, profondément... et de persister à aller au culte, aujourd'hui plus que jamais !

La bêtise, la violence, le meurtre, ne pourront jamais l'emporter sur l'Evangile. Christ est ressuscité, il est vivant pour les siècles des siècles.

Et puis, parce qu'il faut continuer à faire ce que nous avons à faire... méditons :

2 Samuel 24
1 La colère du SEIGNEUR s'enflamma encore contre les Israélites, et il excita David contre eux en disant: «Va, dénombre Israël et Juda.»
Ce que David fit faire. Son chef des armées, Joab, avait bien quelques doutes…Mais David était roi et il avait du personnel pour le satisfaire. Or, quand ce fut fait… 10 David sentit son coeur battre après qu'il eut ainsi dénombré le peuple. David dit au SEIGNEUR: «C'est un grave péché que j'ai commis. Mais maintenant, SEIGNEUR, daigne passer sur la faute de ton serviteur, car j'ai agi vraiment comme un fou.»
11 Quand David se leva le lendemain matin, la parole du SEIGNEUR avait été adressée au prophète Gad, le voyant de David, en ces termes:
12 «Va dire à David: Ainsi parle le SEIGNEUR: Je fais peser sur toi trois menaces. Choisis l'une d'elles et je l'exécuterai.»

Et parmi ces menaces, David choisit trois jours de peste…

15 Le SEIGNEUR envoya donc la peste en Israël depuis ce matin-là jusqu'au temps fixé, et il mourut, parmi le peuple, de Dan à Béer-Shéva, soixante-dix mille hommes.
 16 L'ange étendit la main vers Jérusalem pour la détruire, mais le SEIGNEUR renonça à sévir et dit à l'ange qui exterminait le peuple: «Assez! Maintenant, relâche ton bras.» Or l'ange du SEIGNEUR était auprès de l'aire d'Arauna le Jébusite.
 17 David parla au SEIGNEUR, quand il vit l'ange qui frappait dans le peuple. Il dit: «C'est moi qui ai péché et c'est moi qui ai commis une faute, mais ces brebis, qu'ont-elles fait? Que ta main soit sur moi et sur ma famille!»
 18 Gad alla trouver David, en ce jour-là, et il lui dit: «Monte ériger un autel au SEIGNEUR sur l'aire d'Arauna le Jébusite.»
 19 David monta comme l'avait dit Gad, selon l'ordre du SEIGNEUR.
 20 Arauna regarda et vit le roi et ses serviteurs qui s'avançaient vers lui. Arauna sortit et se prosterna devant le roi, la face contre terre.
 21 Arauna dit: «Pourquoi mon seigneur le roi vient-il chez son serviteur?» David répondit: «Pour t'acheter l'aire, afin d'y bâtir un autel au SEIGNEUR. Ainsi le fléau sera retenu loin du peuple.»
 22 Arauna dit à David: «Que mon seigneur le roi prenne ce qui lui plaît pour offrir l'holocauste. Tu vois, les boeufs fourniront l'holocauste, le traîneau et l'attelage des boeufs fourniront le bois.»
 23 Tout cela, le roi Arauna le donna au roi. Arauna dit au roi: «Que le SEIGNEUR, ton Dieu, veuille t'agréer!»
 24 Mais le roi dit à Arauna: «Non, je tiens à te l'acheter pour son prix, et je ne veux pas offrir au SEIGNEUR, mon Dieu, des holocaustes qui ne coûtent rien.» David acheta donc l'aire et les boeufs pour cinquante sicles d'argent.
 25 Là, David bâtit un autel au SEIGNEUR et il offrit des holocaustes et des sacrifices de paix. Le SEIGNEUR se montra propice au pays, et le fléau fut retenu loin d'Israël.
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Le battage des céréales est l’opération par laquelle on sépare le grain de l’appareil végétal qui l’a porté. Cette opération se faisait très anciennement à l’aide d’un fléau. Et l’on achevait l’opération en projetant en l’air, un jour de vent, les produits obtenus. Le grain, plus dense que la paille broyée, retombait à peu près sur place, alors que les débris de paille étaient entraînés plus loin par le vent. Les aires de battage étaient donc souvent situées sur des lieux élevés.
L’archéologie nous a enseigné que ces aires étaient des lieux très sacrés, faisant l’objet de toutes sortes d’interdits et de toutes sortes de dévotions. La présence sur ces aires de ce qui est à la fois nourriture et semence, de ce qui est fruit du travail et de la chance aussi, de ce qui est donc précieux entre tout pour la survie du groupe a dû être la raison de cette sacralisation. On évitait d’y répandre du sang ; les femmes, avec l’insondable mystère qu’elles portent, n’y étaient pas les bienvenues ; et les étrangers, nécessairement impurs, pas d’avantage que les femmes. Un peuple qui perdait son aire de battage était un peuple condamné… peut-être pas condamné à disparaître, mais au moins condamné à une condition subalterne, de domestique, voire d’esclave.
On peut imaginer qu’une épidémie qui ravagea un temps la très ancienne Palestine avait épargné, on ne sait évidemment pas pourquoi, le peuple appelé « Jébusites », peuple qui semble avoir été celui qui, le premier peuplait les collines élevées de Judée là où, un jour on érigerait Jérusalem et son Temple. Leur aire de battage, lieu de ce miracle, n’en fut que plus sacrée, plus réputée, voire plus enviée par d’autres peuples. Les Jébusites ont perdu un jour leur aire de battage, ce sont les « Israélites » qui s’en sont emparé et qui ont, comme il se doit, installé là leur propre Dieu et leur propre culte. Les chrétiens n’ont pas fait autre chose lorsqu’ils ont installé leurs première Eglises sur d’anciennes sources sacrées, ou lorsqu’ils ont sculpté des croix au sommet d’antiques menhirs…
Avec le chapitre 24 du second livre de Samuel, nous avons sous les yeux un possible substrat très ancien de ce qui est l’une des légendes de la fondation de Jérusalem. La manière dont les Israélites sont devenus propriétaires du lieu n’a pas dû avoir la courtoisie que lui donne la rédaction finale du texte.
Cela évidemment ne disqualifie pas le reste de l’histoire qui nous est ici comptée…

La dernière étude biblique de la série « Dieu punit-il ? » portait sur ce chapitre, un chapitre difficile.

Dieu, pour pouvoir punir son peuple contre lequel il est en colère, conduit David à pécher. Nous avons un Dieu étrange, scandaleux, qui punit collectivement donc indistinctement, et substitutivement.
Autre point difficile dans ce texte, l’épidémie ayant cessé aussi subitement qu’elle a commencé, épargnant un lieu précis, on construit là un édifice cultuel, et on y offre des sacrifices, tout en faisant entendre que par ces moyens, l’épidémie cessa… et que donc ce genre de moyens est propre à prévenir et à juguler toutes sortes de fléaux. Et donc les lieux de cultes doivent être construits et fréquentés afin de flatter ou d’apaiser un Dieu vindicatif, profondément injuste, et pervers. Vous savez donc ce qu’il vous reste à faire.

Pourquoi en arrive-t-on à imaginer, et à défendre des idées aussi embarrassantes sur Dieu et sur la nécessité de la religion ?
Ce genre d’idée donne un pouvoir fou à ceux qui les mettent en avant, un pouvoir fou qu’ils exercent sur ceux qui les croient et auxquels elles apportent une sorte de soulagement aliénant, tout en leur coupant toute envie de réfléchir et de combattre ;
Ce genre d’idée peut émerger dès lors qu’on se pose la question du mystère du mal et qu’on veut trouver des raisons humaines ou divines là où il n’y en a pas ; le mal frappe, puis s’éloigne, il est sans raisons, il est sans pourquoi ;
Ce genre d’idée émerge dès lors que la perspective religieuse dans laquelle on s’inscrit est une perspective égoïste qu’on peut ainsi énoncer : punis-les, ils le méritent bien, mais pas moi donc, épargne moi…

Que faire de ce texte ? En repérer les points scandaleux… Réduire ce texte à ces points scandaleux et rejeter le tout ? C’est tentant… Mais ce serait dommage.

Il y a, dans ce texte, deux moments qui viennent subvertir l’ensemble :
Premier moment, lorsque David réclame que le prix de la faute soit payé par lui, et non par le peuple ; il vient s’immiscer une notion qui s’oriente vers une individualisation de la sanction : punis moi, moi (et ma famille), mais pas eux, pas ce peuple, dit David… Et au passage, nous avons à réfléchir sur la nature de la faute de David : sa faute, est-ce d’avoir fait dénombrer son armée, comme si Dieu n’était pas en mesure, le moment venu, de susciter l’armée nécessaire ? ou la faute de David n’est-elle pas plutôt d’avoir manqué de discernement, et de ne pas avoir envoyé balader, au nom de la foi, même son propre Dieu ? En réfléchissant un peu, nous avons à nous demander si le grand péché de David n’est pas d’avoir préféré Dieu à la foi en Dieu…
Deuxième moment, lorsque David refuse que lui soit donné, que ne lui coûtent rien, le terrain et le sacrifice. Et là, justement, David choisit de répondre de la grâce par un engagement qui est totalement le sien. Et l’on suggère que la grâce certes est gratuite – autant qu’il est fortuit que l’épidémie se soit arrêtée là plutôt qu’ailleurs – mais que reconnaître et accepter authentiquement cette grâce comme grâce divine ne peut être qu’une démarche personnelle et engageante. En plus, David signale ici quel est l’usage juste des lieux de culte : lieux de mémoire, de reconnaissance et d’engagement personnels.

Et puis, il y a un troisième moment, que je ne voudrais pas laisser dans l’ombre, qui est que lorsque Dieu vous parle directement d’homme à homme, avant d’obéir bille en tête et d’exiger l’acquiescement d’un courtisan – Joab réagit comme un courtisan – mieux vaut demander le discernement d’un frère… ou d’une institution. Le discernement viendra dans cette royale affaire, mais un peu trop tard, hélas, pour ceux qui, entre temps, seront tombés sous le fléau.
Dieu punit-il ? Cet étrange et difficile chapitre vient nous interroger, profondément. Impossible de répondre oui, ou de répondre non, comme s’il s’agissait d’une généralité, d’un savoir absolu. Il avait quelque chose contre son peuple (premier verset du chapitre), nous ne savons même pas quoi.
Dieu punit-il est une question qu’on peut toujours se poser. Des réponses bibliques massivement positives existent. Des réponses bibliques massivement négatives existent aussi. Avec ce chapitre – et après avoir lu et médité quelques autres chapitres au fil de l’année – cette question simple doit s’ouvrir sur une question plus complexe : Que feras-tu, personnellement, que ferez-vous, collectivement, devant Dieu et avec Dieu, de ce que la vie vous réservera, à vous et à vos semblables, de difficile, voire de terrible ? Répondre que Dieu punit est peut-être la réponse d’un moment, lorsqu’il faut tâcher seulement survivre et ne pas totalement sombrer. Mais après, plus tard, ce moment peut et doit s’ouvrir sur une certaine espérance.

"Ils" voudraient bien que nous sombrions dans ce dans quoi "ils" ont eux-mêmes sombré. Mais savent-ils seulement qu'ils ont sombré ? La jouissance de la haine, l'épouvantable jouissance des assassins, ne laisse aucune part à un discernement. Et bien, nous ne sombrerons pas! 
Quelle espérance avons-nous ? Celle qu'on ne mésuse jamais parmi nous des lieux sacrés, des textes sacrés, des cérémonies, du nom de Dieu, de la puissance dont on dispose...
Que Dieu nous soit en aide.