dimanche 24 avril 2016

Un commandement nouveau. Nouveau ? Comment ça ? (Jean 13,31-38)

Mais avant de lire l'évangile de Jean, un retour vers la Torah, avec deux grands grands textes.

Lévitique 19
13 N'exploite pas ton prochain et ne le vole pas; la paye d'un salarié ne doit pas rester entre tes mains jusqu'au lendemain;
14 n'insulte pas un sourd et ne mets pas d'obstacle devant un aveugle; c'est ainsi que tu auras la crainte de ton Dieu. C'est moi, le SEIGNEUR.
15 Ne commettez pas d'injustice dans les jugements: n'avantage pas le faible et ne favorise pas le grand, mais juge avec justice ton compatriote;
16 ne te montre pas calomniateur de ta parenté et ne porte pas une accusation qui fasse verser le sang de ton prochain. C'est moi, le SEIGNEUR.
17 N'aie aucune pensée de haine contre ton frère, mais n'hésite pas à réprimander ton compatriote pour ne pas te charger d'un péché à son égard;

18 ne te venge pas et ne sois pas rancunier à l'égard des fils de ton peuple: c'est ainsi que tu aimeras ton prochain comme toi-même. C'est moi, le SEIGNEUR.

Au sujet de Lévitique 19, il me vient tout à coup l'idée de m'interroger sur ce chapitre. Le chapitre 19 est entre le chapitre 18 et le chapitre 20. Banalité totale... mais l'amour du prochain vient là entre deux chapitres qui déclarent impur, sale, voire horreur aux yeux de l'Eternel, toutes sortes de gestes et toutes sortes de gens, et qui vont même jusqu'à commander la mise à mort de... et bien, vous lirez Lévitique 20. Mais entre ces deux terribles collections de commandements, il y a celui de l'amour du prochain. Est-ce pour mettre un bémol sur les collections juridiques qui l'entourent? Est-ce au contraire pour qu'on ne se trompe pas de prochain, ou de commandement... Je laisse ces questions à mes lecteurs. Ce sera pour une autre prédication, un autre jour.
Commandement nouveau : tu enseigneras à tes enfants COMMENT penser... et non pas QUE penser

Deutéronome 6
1 Voici le commandement, les lois et les coutumes que le SEIGNEUR votre Dieu a ordonné de vous apprendre à mettre en pratique dans le pays où vous allez passer pour en prendre possession,
2 afin que tu craignes le SEIGNEUR ton Dieu, toi, ton fils et ton petit-fils, en gardant tous les jours de ta vie toutes ses lois et ses commandements que je te donne, pour que tes jours se prolongent.
3 Tu écouteras, Israël, et tu veilleras à les mettre en pratique: ainsi tu seras heureux, et vous deviendrez très nombreux, comme te l'a promis le SEIGNEUR, le Dieu de tes pères, dans un pays ruisselant de lait et de miel.
4 ÉCOUTE, Israël! Le SEIGNEUR notre Dieu est le SEIGNEUR UN.
5 Tu aimeras le SEIGNEUR ton Dieu de tout ton coeur, de tout ton être, de toute ta force.
Jean 13
31 Dès que Judas fut sorti, Jésus dit: «Maintenant, le Fils de l'homme a été glorifié, et Dieu a été glorifié par lui;
32 Dieu le glorifiera en lui-même, et c'est bientôt qu'il le glorifiera.
33 Mes petits enfants, je ne suis plus avec vous que pour peu de temps. Vous me chercherez et comme j'ai dit aux Juifs: ‹Là où je vais, vous ne pouvez venir›, à vous aussi maintenant je le dis.
34 «Je vous donne un commandement nouveau: aimez-vous les uns les autres. Comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres.
35 À ceci, tous vous reconnaîtront pour mes disciples: à l'amour que vous aurez les uns pour les autres.»
36 Simon-Pierre lui dit: «Seigneur, où vas-tu?» Jésus lui répondit: «Là où je vais, tu ne peux me suivre maintenant, mais tu me suivras plus tard.»
37 «Seigneur, lui répondit Pierre, pourquoi ne puis-je te suivre tout de suite? Je me dessaisirai de ma vie pour toi!»
38 Jésus répondit: «Te dessaisir de ta vie pour moi! En vérité, en vérité, je te le dis, trois fois tu m'auras renié avant qu'un coq ne se mette à chanter.»
Prédication :
            « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés ». Voici un commandement que Jésus adresse à ses disciples, et dont il déclare que c’est un commandement nouveau. Le tout simple adjectif « nouveau » est l’occasion de cette prédication.
            Notre attention portera sur trois points. C’est que (1) pour que ce commandement puisse être nouveau, il faut qu’il n’ait jamais été énoncé auparavant, donc qu’il soit nouveau par rapport au passé, par rapport à hier. Il faut aussi (2) qu’il apporte quelque chose de neuf au moment où il est énoncé, donc qu’il soit nouveau dans l’instant présent. Et il faut enfin (3) que sa nouveauté tienne à lui-même et demeure toujours inentamée, donc qu’il soit nouveau pour le futur.

            Premier point donc, pour que le commandement que Jésus donne à ses disciples soit un commandement nouveau, il faut qu’il soit nouveau – inédit – dans la tradition juive – ou hébraïque – qui est celle dans laquelle il est formulé. Est-ce le cas ? Il nous faut, pour répondre, être en mesure de nous tourner vers cette tradition tout entière en compulsant tout ce qu’elle a laissé, Torah, Prophètes et Ecrits, textes anciens du Talmud et Ecrits intertestamentaires… Tenons-nous en à la Bible. Les lecteurs de la Bible, premier Testament, s’agissant d’amour, sauront bien se rappeler que l’amour de Dieu et l’amour du prochain ne sont pas en tant que tels des inventions chrétiennes. Le Deutéronome commande un amour absolu de Dieu. Lévitique comporte une collection imposante de commandements éthiques et moraux qui sont résumés en un commandement d’aimer le prochain. L’amour de Dieu et l’amour du prochain sont reconnaissables à une manière de vivre, reconnaissables dans des mises en pratique tout à fait concrètes. Mais ajoutons, et c’est ici capital, que ces mises en pratiques vont laisser tous les protagonistes chacun à sa place : Dieu à sa place de Dieu, en-haut, et les humains à leurs places humaines. Or, dans l’évangile de Jean, un bouleversement va avoir lieu. Ce bouleversement a lieu lorsque Jean proclame que le Verbe se fait Chair (Jn 1,14), lorsqu’il proclame l’unité du Père et du Fils (Jn 10,30), et lorsqu’il énonce que « Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils, son unique… » (Jn 3,16). Pris tous ensemble, ces versets affirment que Dieu s’est donné lui-même, tout entier et sans reste aucun. De fait, le verbe aimer, dans l’évangile de Jean, est toujours assorti du verbe donner, celui qui aime étant toujours tout à la fois donateur et don, sans reste, sans retour, sans réserve ni reprise. Cette compréhension radicale du verbe aimer est tout à fait nouvelle dans le paysage biblique et, en ce premier sens, le commandement que Jésus donne à ses disciples peut être réellement vu comme un commandement nouveau.

            Second point : pour que ce même commandement puisse être déclaré nouveau, il faut qu’il apporte une nouveauté, quelque chose d’inouï au moment où il est formulé. Ce moment de l’évangile de Jean est un moment de grande tension, un moment où Jésus donne à ses disciples un enseignement ultime, comme une sorte de testament. Or, Judas vient de sortir, on connaît la suite : il va disposer de Jésus, il ne va rien donner de lui-même, puisqu’il va prendre… Quant à Pierre qui, avec son habituelle faconde, affirme qu’il va tout donner, on connaît aussi la suite ; Pierre ne va rien donner du tout, il va trahir… Ainsi, ce qu’il y a de nouveau, lorsque Jésus parle et donne ce nouveau commandement à ses disciples, c’est la vérité de leur situation à tous, apparemment barrée, et pourtant pas totalement sans espérance, puisqu’il est affirmé à Pierre par Jésus, que là où va Jésus – c'est-à-dire au bout de l’amour et du don – Pierre, lui aussi, un jour, ira.

            Troisième point : pour que ce même commandement puisse être déclaré nouveau, il faut que la nouveauté qu’il apporte ne soit jamais épuisée. En quoi donc cette nouveauté est-elle inépuisable ? Elle l’est parce que l’histoire de l’humanité est et sera perpétuellement créatrice. Pour un être humain qui entend le mettre en pratique, il s’agit toujours de se demander comment il peut obéir à ce commandement nouveau, aimer comme Jésus a aimé, donner sans reprise et sans reste. Tant qu’on n’a pas donné tout ce qu’on a, il reste encore à donner. Et lorsqu’on a donné tout ce qu’on a, il reste la vie à donner. Le commandement reste donc toujours nouveau. Tous ne sont évidemment pas appelés au martyre. Mais au cours d’une vie humaine, tout ce qu’on apprend, tout ce qu’on possède, et tout ce qu’on reçoit, depuis le début et jusqu’à la fin, est concerné par ce commandement. Et si d’aventure on vient à lui obéir, cette obéissance elle-même est encore concernée par le commandement. Du commencement à la fin de la vie, on ne cesse jamais d’apprendre et de recevoir. Le commandement d’aimer reste donc ainsi toujours nouveau.

            Mais quelqu’un va-t-il obéir ? Quelqu’un a-t-il obéi ? Souvenons-nous de Judas, et de Pierre. L’un et l’autre désobéiront. Puis Pierre obéira, plus tard. Quant à Judas, passé le moment où il livre Jésus, l’évangile de Jean ne nous en dit plus rien. Dieu seul connaît la fin de Judas.
            Et nous autres ? Le don total et définitif que Dieu fait de lui-même à notre humanité, en Jésus Christ, sans reprise et sans reste, fonde la possibilité que nous obéissions à ce commandement nouveau. La possibilité divine d’obéir jusqu’au bout au commandement d’aimer devient pour nous une possibilité humaine.
            Et qu’allons-nous faire ? Nous pouvons parfaitement ne pas obéir, et peut-être que notre mémoire nous rappelle que, parfois, nous n’avons pas obéi. Le commandement nouveau est toujours nouveau et même si nous obéissons, notre obéissance ne peut être qu’imparfaite… Mais elle est possible. Rappelons-le, tous ne sont pas appelés au martyre. Tous sont appelés à l’obéissance, même si elle n’a pas la même forme pour chacun.
            Nous aimer les uns les autres comme Jésus a aimé ses disciples, ce commandement nous est donné, toujours nouveau et toujours de nouveau. Lui obéir est l’horizon de notre existence.
            Que le Seigneur nous soit en aide.