dimanche 6 mars 2016

Nous avons tous le même dieu... (Exode 3,7-19)

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Exode 3
7 Le SEIGNEUR dit: «J'ai vu la misère de mon peuple en Égypte et je l'ai entendu crier sous les coups de ses chefs de corvée. Oui, je connais ses souffrances.
8 Je suis descendu pour le délivrer de la main des Égyptiens et le faire monter de ce pays vers un bon et vaste pays, vers un pays ruisselant de lait et de miel, vers le lieu du Cananéen, du Hittite, de l'Amorite, du Perizzite, du Hivvite et du Jébusite.
9 Et maintenant, puisque le cri des fils d'Israël est venu jusqu'à moi, puisque j'ai vu le poids que les Égyptiens font peser sur eux,
10 va, maintenant; je t'envoie vers le Pharaon, fais sortir d'Égypte mon peuple, les fils d'Israël.»
11 Moïse dit au dieu: «Qui suis-je pour aller vers le Pharaon et faire sortir d'Égypte les fils d'Israël?» -
12 «JE SUIS avec toi, dit-il. Et voici le signe que c'est moi qui t'ai envoyé: quand tu auras fait sortir le peuple d'Égypte, vous servirez le dieu sur cette montagne.»
13 Moïse dit au dieu: «Voici! Je vais aller vers les fils d'Israël et je leur dirai:  le dieu de vos pères m'a envoyé vers vous. S'ils me disent: Quel est son nom? - que leur dirai-je?»
14 le dieu dit à Moïse: «JE SUIS QUI JE SERAI.» Il dit: «Tu parleras ainsi aux fils d'Israël: JE SUIS m'a envoyé vers vous.»
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15 Le dieu dit encore à Moïse: «Tu parleras ainsi aux fils d'Israël: Le SEIGNEUR, dieu de vos pères, le dieu d'Abraham, le dieu d'Isaac, le dieu de Jacob, m'a envoyé vers vous. C'est là mon nom à jamais, c'est ainsi qu'on m'invoquera d'âge en âge.
16 Va, réunis les anciens d'Israël et dis-leur: Le SEIGNEUR, le dieu de vos pères, le dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, m'est apparu en disant: J'ai décidé d'intervenir en votre faveur, à cause de ce qu'on vous fait en Égypte
17 et j'ai dit: Je vous ferai monter de la misère d'Égypte vers le pays du Cananéen, du Hittite, de l'Amorite, du Perizzite, du Hivvite et du Jébusite, vers le pays ruisselant de lait et de miel. -
18 Ils entendront ta voix et tu entreras, toi et les anciens d'Israël, chez le roi d'Égypte; vous lui direz: Le SEIGNEUR, le dieu des Hébreux, s'est présenté à nous; et maintenant, il nous faut aller à trois jours de marche dans le désert pour sacrifier au SEIGNEUR, notre dieu. -
19 Mais je sais que le roi d'Égypte ne vous permettra pas de partir, sauf s'il est contraint par une main forte.
Prédication
            Avez-vous fait mentalement le compte des appellations de Dieu qui figurent dans les versets que nous venons de lire ? Combien y en a-t-il ?
  1. Il est celui qui descend, pour faire sortir son peuple d’Egypte et le faire monter vers une certaine terre ;
  2. il est celui qui se manifeste dans un buisson qui brûle sans se consumer ;
  3. celui qui est apparu à Moïse, l’a appelé, l’a envoyé, et dont Moïse se réclamera ;
  4. il porte le nom commun de dieu (c’est un dieu) ;
  5. il peut être appelé « JE SUIS » ;
  6. il est celui qui est servi sur telle montagne (l’Horeb – qui soit dit en passant n’est pas du tout une montagne de Palestine…) (quant à savoir comment il devra être servi, le texte, ici, n’en dit rien) ;
  7. il est appelé « le dieu de vos pères » ;
  8. il peut aussi être appelé « JE SUIS QUI JE SERAI » (le fameux et intraduisible : Ehyeh aswer ehyeh) ;
  9. il est aussi appelé « le dieu d’Abraham, d’Isaac, et de Jacob »
  10. il a aussi pour nom propre les quatre lettres imprononçables IHVH ;
  11. il est appelé encore « dieu des Hébreux » ;
  12. il est celui auquel on sacrifie dans le désert après trois jours de marche.

           Une formidable profusion, une belle diversité que, par habitude, à cause de notre catéchisme, et dans la foi, nous associons à une seule et même réalité, ou entité, que, nous autres, nous appelons Dieu, avec un grand D, tout comme si c’était un nom propre ; et nous considérons en somme, sans faire d’effort, qu’il est un (toutes ces appellations ne désignent qu’une seule personne) et unique (il n’y en a pas d’autre). Mais cela va-t-il de soi ? Est-ce si simple ?
Une telle concentration de noms de dieux, juste au début du livre de l’Exode, donne sérieusement à réfléchir. Et si ça n’était pas si simple ? Nous pensons couramment que le livre de l’Exode est l’histoire d’un peuple uni, conduit par un seul chef, mené par le seul Dieu. Mais si tel est bien le cas, pourquoi donc juxtaposer autant de noms de dieux ?
Et bien, parce que, probablement, ça ne va pas de soi. Quelque part, il ne va pas de soi que ce soit un seul Dieu, un seul chef et un seul peuple. Des questions s’imposent à nous lorsque nous lisons ces versets : sont-ils tous frères et ont-ils tous le même dieu ?

Reprenons cette dernière question en la mettant à la première personne du pluriel : avons-nous tous le même dieu ? En méditant ces versets, je me suis souvenu d’une soirée au cours de laquelle un imam, un rabbin, un prêtre et un pasteur dialoguaient entre eux et avec une assemblée mélangée. Quel était ce soir-là le thème abordé, je ne m’en souviens plus, mais la discussion était vive, profonde, d’une profondeur qui empêche tout consensus fade et appelle le respect. Une personne, à bout d’arguments, énonça une certaine phrase toute faite et trop souvent entendue : « Mais enfin, tout ça n’a pas d’importance, parce que nous avons tous le même dieu… » Cette phrase rompit la dynamique fragile de la discussion, et provoqua un malaise tout à fait perceptible. Après un temps de silence, l’imam répondit ceci : « Si nous avions tous le même dieu, nous prierions tous de la même manière. » Une phrase très précieuse, qui dit en peu de mot que le dieu que nous prions n’est jamais Dieu, mais le dieu de notre prière, de notre tradition, de notre famille de pensée…


Dans le texte biblique que nous venons de lire, la question de la manière dont on prie son dieu est explicitement posée. Est-ce sur telle montagne, l’Horeb (qui est peut-être bien le Sinaï) qu’on le sert (rien n’est dit alors sur la manière de le servir…) ; ou bien est-ce dans le désert, en un lieu quelconque mais après trois jours de marche, qu’on sacrifie (et rien n’est dit sur l’objet du sacrifice ni sur la manière de sacrifier…) ? Cela fait deux manières de rendre un culte… Ceux qui servent sur l’Horeb ont-ils le même dieu que ceux qui sacrifient dans le désert et après trois jours de marche ? Les uns, et les autres vont-ils d’ailleurs se reconnaître mutuellement comme fils d’Israël, comme frères ?
              Dans le texte que nous venons de lire, les formes du culte ne sont pas les seules différences repérables. Le dieu que certains appellent « JE SUIS », le dieu que d’autres appellent « JE SUIS QUI JE SERAI », et celui au nom imprononçable de quatre lettres IHVH… sont-ils tous les trois le même dieu ? Avec ces noms énigmatiques, c’est à la mystique que l’on touche. Mais c’est aussi à de puissants marqueurs identitaires qu’on touche. Ceux qu’une certaine appellation inspire, ceux qui reconnaissent tel nom comme le nom de leur dieu, regarderont-ils comme imposteurs, comme apostats, ou comme frères, ceux qui donnent à leur dieu un autre nom ?
            Et ce n’est pas tout, parce qu’après la manière de prier, et après les noms de dieu, voici que l’origine tribale entre aussi en ligne de compte. Le dieu d’Abraham et de ses descendants est-il le même que le dieu d’Isaac, et que le dieu de Jacob. Ne soyons pas de naïfs lecteurs de la Genèse. Ont-elles toutes le même dieu, ces vieilles ethnies cananéennes, chacune ayant son ancêtre propre, et chaque ancêtre ayant son propre dieu ? Ces dieux, révérés par chaque tribu, sont-ils le même « dieu de vos Pères » ? Et ces gens sont-ils tous frères ? Et pour en rajouter encore, ce dieu est-il aussi celui des Hébreux ? (qui sont-ils, d’ailleurs, ces Hébreux, un groupe ethnique de plus ?)
Bref, sont-ils un peuple unique et uni, tous ces gens-là, en dépit de leurs généalogies, en dépit de la diversité de leurs dieux, de leurs cultes, et de leurs appartenances ethniques, tribales, et claniques ?

            Voilà ! Trois énormes facteurs de division sont ainsi mis en place dans ces versets : la généalogie, la nomination de dieu, et la forme du culte rendu à dieu. Et ce n’est encore fini ! Car il y a un homme, un homme seul, qui se réclame d’une vision, d’une révélation et d’une mission personnelles. Moïse ! Mais Moïse est-il un dangereux illuminé, ou est-il le guide, prêtre, prophète, libérateur, et législateur authentiquement inspiré par ce même unique dieu ?
           
Et bien, à cette diversité considérable, le 3ème chapitre de l’Exode adresse un message qui tient en peu de mots : un seul Dieu, un seul peuple ! Ce message est adressé à des gens extrêmement diversifiés. Ce message est-il un coup de force, un diktat, ou une brûlante exhortation ? Je ne pense pas qu’il soit un diktat, et pour deux raisons.
Première raison : ce qui est mis en avant, et de manière suréminente, ce sont les quatre lettres imprononçables du nom propre de Dieu. Notre traduction écrit « le SEIGNEUR », mais elle serait mieux inspirée en écrivant IHVH, quatre consonnes sans voyelles. Il s’agit de bien comprendre que c’est de Dieu qu’on parle et que Dieu demeure Dieu même lorsqu’on en parle. Notre texte de ce matin ne met donc pas en avant un nom propre particulier, mais appelle tous ceux qui croient en Lui à respecter la divinité de Dieu telle qu’en elle-même. Ce respect de la divinité de Dieu doit passer par une profonde reconnaissance de l’altérité, et pas seulement celle de Dieu. Celui qui a un autre ancêtre que le mien, celui qui prie autrement que moi, et qui donne à son dieu un autre nom que celui que je donne au mien... celui-ci est un être humain, un Hébreu, un vivant, un frère… Ici, dans Exode 3, le message, l’exhortation, et le défi, c’est l’unité dans la diversité.
La deuxième raison pour laquelle ce message n’est pas un diktat, c’est qu’il met chaque singularité elle-même à l’épreuve de l’insondable mystère de Dieu. Et si cette épreuve est acceptée, alors le nom de Dieu, la généalogie et la forme de la prière ne sont plus des obstacles, mais juste une manière, un chemin… Il appartient alors à ceux qui bien reçu le message d’évaluer leurs propres chemin, notamment en se posant trois difficiles question : es-tu captif de tes propres représentations, sont-elles pour toi des murailles pour te protéger, et celui-là est-il ton frère ?          

            Quel est finalement le projet du 3ème chapitre de l’Exode ? Il est celui d’une libération commune (la foi), en vue d’une liberté et d’une prospérité partagées (l’espérance), dans le cadre d’une fraternité concrète (l’amour). Sommes-nous capables de cela par nous-mêmes, nous qui n’avons pas tous le même dieu ? et bien, même n’ayant pas tous le même dieu, c’est le Seigneur que nous entendons servir, nous qui n'avons pas tous le même dieu, c’est vers lui que nous crions, et c’est à lui que nous voulons nous confier.
Puisse le Seigneur nous libérer, nous guider, et nous aider. Amen