dimanche 21 février 2016

Abram, la postérité, la terre, la foi (Genèse 15,1-21)





Terre promise ? Je me souviens, c’était avant l’arrivée d’internet, d’un documentaire dans lequel il était question de Eretz Israël, la terre d’Israël, de son extension, de ce qu’elle avait été, de ce qu’elle était et de ce qu’elle aurait dû être et de ce qu’elle devrait être. Mes souvenirs d’ensemble sur ce documentaire sont assez vagues, mais l’un de mes souvenirs est très précis : des gens, munis d’un feutre, sont mis face à une carte du proche orient. On leur demande de délimiter la Terre d’Israël. Certains dessinent à peu près les contours de 1948. D’autres ne savent pas dessiner grand-chose. D’autres encore refusent de dessiner car Israël ne peut pas exister avant l’arrivée du Messie. Mais quelqu’un part de la rive orientale du canal de Suez, contourne le Sinaï par le sud, puis la Jordanie, traverse un bout d’Arabie Saoudite, longe sa frontière avec l’Irak, arrive à l’embouchure de l’Euphrate, remonte l’Euphrate jusqu’au méandre de Tabqa, puis trace une ligne plein ouest jusqu’à la Méditerranée (récupérant ainsi la Syrie et le Liban)… Ce quelqu’un dit : « Voilà la terre d’Israël telle que Dieu nous l’a donnée ; c’est à nous, c’est chez nous, depuis toujours et pour toujours. » Cette personne se réclame évidemment de Genèse 15,18 que nous venons de lire. Et on trouve aujourd’hui en ligne des interprétations encore plus radicales du même verset : on remonte le cours du Nil Bleu jusqu’au lac Tana, on englobe toute la péninsule Arabique, puis on remonte le cours de l’Euphrate, et on récupère un petit morceau de Turquie en passant, le golfe d'Alexandrette, ou plus, car certains, remontant le cours de l'Euphrate jusqu'à sa source, annexent jusqu'à la rive sud de la mer Noire… Eretz Israël, don de Dieu et propriété légitime...
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TERRE PROMISE
Genèse 15
1 Après ces événements, la parole du SEIGNEUR fut adressée à Abram dans une vision. Il dit: «Ne crains pas, Abram, c'est moi ton bouclier; ta solde sera considérablement accrue.»
2 Abram répondit: «Seigneur DIEU, que me donneras-tu? Je m'en vais sans enfant, et l'héritier de ma maison, c'est Eliézer de Damas.»
3 Abram dit: «Voici que tu ne m'as pas donné de descendance et c'est un membre de ma maison qui doit hériter de moi.»
4 Alors le SEIGNEUR lui parla en ces termes: «Ce n'est pas lui qui héritera de toi, mais celui qui sortira de tes entrailles héritera de toi.»
5 Il le mena dehors et lui dit: «Contemple donc le ciel, compte les étoiles si tu peux les compter.» Puis il lui dit: «Telle sera ta descendance.»
6 Abram eut foi dans le SEIGNEUR, et pour cela le SEIGNEUR le considéra comme juste.
7 Il lui dit: «C'est moi le SEIGNEUR qui t'ai fait sortir d'Our des Chaldéens pour te donner cette terre à posséder.» -
8 «Seigneur DIEU, répondit-il, comment saurai-je que je la posséderai?»
9 Il lui dit: «Prends-moi une génisse de trois ans, une chèvre de trois ans, un bélier de trois ans, une tourterelle et un pigeonneau.»
10 Abram prit tous ces animaux, les partagea par le milieu et plaça chaque partie en face de l'autre; il ne partagea pas les oiseaux.
11 Des charognards fondirent sur les carcasses, mais Abram les chassa.
12 Au coucher du soleil, une sainte torpeur saisit Abram, une immense obscurité profonde tomba sur lui.
13 (Le SEIGNEUR) dit à Abram: «Sache-bien-n’oublie-jamais que ta descendance sera émigrée sur une terre qui ne sera pas sienne. Ils seront serviles, ils seront abaissés pendant quatre cents ans.
14 Et moi je ferai le procès de la nation qu'ils serviront, ils sortiront alors avec de grands biens.
15 Toi, en paix, tu rejoindras tes pères et tu seras enseveli après une heureuse vieillesse.
16 À la quatrième génération, ta descendance reviendra ici car l'iniquité de l'Amorite n'a pas atteint son comble.»
17 Le soleil se coucha, et dans l'obscurité voici qu'un four fumant et une torche de feu passèrent entre les morceaux.
18 En ce jour, le SEIGNEUR conclut une alliance avec Abram en ces termes: «C'est à ta descendance que je donne cette terre, du fleuve d'Égypte au grand fleuve, le fleuve Euphrate -  19 les Qénites, les Qenizzites, les Qadmonites,  20 les Hittites, les Perizzites, les Refaïtes,  21 les Amorites, les Cananéens, les Guirgashites et les Jébusites.»
Prédication :
A la fin de la lecture de ce texte, peut-on repérer quelque chose qui soit une bonne nouvelle ? Pour ceux qui sont de la descendance d’Abram, cela ne fait aucun doute, il y a une bonne nouvelle : Dieu leur donne une terre, une terre immense. Mieux même qu’une terre immense, Dieu leur donne la terre la plus fertile qui soit connue au temps où ce texte a été écrit. Dans ce texte, le meilleur de la terre habitée est donné à la descendance d’Abram. C’est indiscutablement une bonne nouvelle, au moins pour la descendance d’Abram.
Mais est-ce une bonne nouvelle pour les peuples qui sont cités juste après, les Quénites, les Quénizzites, le Qadmonites et les autres ? Car, un jour, ces autres peuples vont voir arriver chez eux des gens qui se diront la descendance d’Abram, qui auront en main leur texte sacré, qu’ils feront valoir comme titre de propriété. Oui, Genèse 15,18 a été lu et est encore lu, ici ou là, par certaines personnes, comme un droit de posséder une certaine terre et d’en chasser tous « les autres ».
Le 15ème chapitre de la Genèse, avec la promesse d’une terre, faite à Abram et pour sa descendance, peut-il donc être vu comme une bonne nouvelle ? Une bonne nouvelle venant de Dieu peut-elle être une bonne nouvelle seulement pour certaines personnes, pour une ethnie, pour un groupe particulier ? L’accomplissement d’une promesse faite par Dieu à certains, ou à un seul, peut-il être obtenu au détriment d’autrui et dans le mépris d’autrui ? Nous pouvons hésiter à répondre. Et bien, pour certains auteurs bibliques, il ne fait aucun doute que ces peuples, « les autres », n’existent que provisoirement et sont destinés à la dépossession, à être dominés, voire à être exterminés. Et c’est Dieu lui-même, selon ces auteurs, qui ordonne cela.

Nous ne pouvons pas considérer cette théologie violente, prise isolément, comme une bonne nouvelle, pour personne. Oui, il y a de la violence dans la Bible. Oui, certaines des traditions recueillies dans la Bible sont des traditions violentes. Nous ne pouvons pas faire comme si tel n’était pas le cas. Et ces traditions énoncent au moins une certaine vérité : depuis toujours, les humains peuvent éprouver des sentiments de haine les uns envers « les autres », justifier avec le nom de Dieu ces sentiments qu’ils éprouvent, et justifier avec le nom de Dieu les horreurs commises contre « les autres ». La Bible donc recueille des traditions théologiques violentes. Mais d’autres traditions bibliques ont pensé leurs rapports aux « autres » et à Dieu sous les auspices d’une fraternité qui a été parfois universelle.
La Bible, livre de vérité, doit recueillir la vérité de ce que sont les êtres humains pour accueillir et ainsi, une part de vérité de ce qu’est Dieu.

Y a-t-il donc une bonne nouvelle dans ce texte ? Je pense que oui. Nous allons revenir à ces versets terribles et tâcher de les lire un peu plus profondément, de sorte que cette bonne nouvelle puisse émerger, et qu’elle puisse nous concerner tous : 18 En ce jour, le SEIGNEUR conclut une alliance avec Abram en ces termes: « C'est à ta descendance que je donne ce pays, du fleuve d'Égypte au grand fleuve, le fleuve Euphrate - 19 les Qénites, les Qenizzites, les Qadmonites, 20 les Hittites, les Perizzites, les Refaïtes, 21 les Amorites, les Cananéens, les Guirgashites et les Jébusites. »
Question : qui est la descendance d’Abram ? Nous n’allons pas répondre Isaac, Jacob, et les fils de Jacob et ce qui s’ensuit. Car au moment où nous lisons, Abram n’a pas d’enfant. Quelle est donc la descendance d’un homme sans enfants ? Laissons de côté la question de la perpétuation de l’espèce humaine. Quelle descendance, c'est-à-dire quelle postérité pour Abram ? Abram, bien plus souvent que comme un père, et il sera un père proche oriental ordinaire, est décrit comme celui qui croit. On parle parfois d’Abram comme le père de tous les croyants… La postérité d’Abram c’est ceux qui font confiance à Dieu, c’est ceux qui croient.
Croire est un élan irrésistible, mais croire comporte toujours une part de fragilité et de doute… Et tout comme Abram, ceux qui croient espèrent parfois savoir que ce en quoi ils croient s’accomplira. « Seigneur Dieu, demande Abram, (cette terre), comment saurai-je que je la posséderai ? » Cette demande est légitime, totalement légitime. Mais quelle forme d’accomplissement existe-t-il pour celui qui croit ?
Plutôt que de donner un titre de propriété en bonne et due forme, Dieu propose un rite. Le sacrifice des animaux et la division des animaux en deux parties, ainsi que la déambulation entre ces deux parties, fait partie de ce rite… les rois proche-orientaux l’observaient lorsqu’ils concluaient leurs alliances et se promettaient de ne pas s’agresser, de ne pas violer le territoire l’un de l’autre. Mais où sont ces rois ? Il y a Dieu, et il y  a Abram. Et tout le dialogue entre Abram et Dieu a lieu d’abord dans un songe, et le passage entre les animaux sacrifiés a lieu pendant qu’Abram est pris d’une sainte torpeur. La seule activité consciente d’Abram, dans cette affaire, c’est de préparer le rituel et de chasser les charognards ; Dieu fait tout le reste dans le sommeil et la torpeur d’Abram. Pour celui qui croit, l’accomplissement de ce en quoi il croit est figuré par le rite, et réalisé dans l’intimité du croyant. Si l’on interrogeait Abram sur la possession de cette terre, il n’aurait, en tant que croyant, d’autre réponse que « Je crois ! ».
Abram, pris d'une sainte torpeur, recevant toute chose dans la foi...
Ainsi, la terre promise, objet de la promesse, est promise en tant que don à Abram, et pour sa postérité. Et elle ne peut être reçue par Abram que dans la foi, et comme un don, pour lui-même et pour son innombrable postérité. L’alliance est une bonne nouvelle pour Abram. Mais pour qu’elle le soit aussi pour la postérité d’Abram, celle-ci doit à son tour la recevoir dans la foi.

Se pourra-t-il que la descendance d’Abram reçoive la promesse de la terre dans la foi et dans la foi seulement ? Pour répondre, repérons ceci : après qu’Abram a accompli sa part du rituel, il est saisi par une sainte torpeur. Abram est le second personnage biblique à qui cela arrive. Le premier, c’est le premier être humain, Adam. Adam est saisi par une sainte torpeur, la nuit où Dieu le transforme en homme et femme. Cette sainte torpeur, très rare dans la Bible, est toujours le signe d’un grand changement. Quel grand changement pour Abram ? Changement de descendance… changement même d’idée de descendance. Car si préalablement Abram s’imagine patriarche géniteur et propriétaire, la sainte torpeur – et la voix divine – font de lui l’ancêtre et le prototype du guér. Nous avons parlé la semaine dernière du guér… La postérité d’Abram sera, après cette nuit-là, constituée de ceux qui savent qu’ils n’existent que par chance et ne subsistent que par grâce. La Parole de Dieu, qui accomplit ce qu’elle énonce, change le cœur d’Abram. Elle dit – et accomplit ceci : « Sache-bien-n’oublie-jamais que ta postérité sera émigrée, invitée, de passage, et néanmoins, dans la foi, toujours chez elle, toujours sur sa terre, celle de la promesse, où qu’elle soit. » Ce qui est une bonne nouvelle, pas seulement pour Abram, pas seulement pour un groupe ou pour une ethnie. C’est une bonne nouvelle pour tous ceux qui croient : celle que jamais Dieu ne les oubliera, ni eux, ni leur postérité dans la foi.
Dieu change les cœurs et donne à ces cœurs la force et la joie de ce qu’il leur a promis. C’est une bonne nouvelle aussi pour « les autres »,  les Qénites, les Qenizzites, les Qadmonites, 20 les Hittites, les Perizzites, les Refaïtes, 21 les Amorites, les Cananéens, les Guirgashites et les Jébusites… car dans la foi de ceux qui croient, ces autres ne sont plus des étrangers à éloigner ni des concurrents à éliminer, mais des humains avec qui la terre, la joie, et la foi, peuvent être partagées.

Puissions-nous être de ceux qui croient. Que Dieu nous saisisse et change nos cœurs. Amen