Sur la photo, deux hommes, l'un, le visage masqué, vêtu de noir, l'autre visage découvert, vêtu tout en orange. De celui-ci on ne voit pas les mains, on les imagine liées dans son dos. Il est agenouillé. L'autre a les mains libres et il tient un couteau.
Peut-être d'ailleurs n'est-il pas acceptable que son nom apparaisse sur le blog de quelqu'un qui fait profession de religion. Je ne sais. Je ne sais pas... Mais je suis triste. J'ai honte, même. Je me dis qu'au point où nous en sommes, au point où j'en suis, il n'est pas de doctrine à défendre ni de foi à promouvoir. Il n'est qu'à lire ces grands textes, si l'on veut, et peu importe lesquels, il n'est que répondre à cette simple question : "Qu'as-tu fait de ton frère ?" Et tout le reste est de très peu de poids.
Que le Tout Puissant, le Miséricordieux, me vienne en aide.
Matthieu 21
33 «Écoutez une autre parabole. Il y avait un
propriétaire qui planta une vigne, l'entoura d'une clôture, y creusa un
pressoir et bâtit une tour; puis il la donna en fermage à des vignerons et
partit en voyage.
34
Quand le temps des fruits approcha, il envoya ses serviteurs aux vignerons pour
recevoir les fruits qui lui revenaient.
35
Mais les vignerons saisirent ces serviteurs; l'un, ils le rouèrent de coups; un
autre, ils le tuèrent; un autre, ils le lapidèrent.
36
Il envoya encore d'autres serviteurs, plus nombreux que les premiers; ils les
traitèrent de même.
37
Finalement, il leur envoya son fils, en se disant: ‹Ils respecteront mon fils.›
38
Mais les vignerons, voyant le fils, se dirent entre eux: ‹C'est l'héritier.
Venez! Tuons-le et emparons-nous de l'héritage.›
39
Ils se saisirent de lui, le jetèrent hors de la vigne et le tuèrent.
40
Eh bien! lorsque viendra le maître de la vigne, que fera-t-il à ces
vignerons-là?»
41
Ils lui répondirent: «Il fera périr misérablement ces misérables, et il donnera
la vigne en fermage à d'autres vignerons, qui lui remettront les fruits en
temps voulu.»
42
Jésus leur dit: «N'avez-vous jamais lu dans les Écritures: La pierre qu'ont rejetée
les bâtisseurs, c'est elle qui est devenue la pierre angulaire; c'est là
l'oeuvre du Seigneur: Quelle merveille à nos yeux.
43
Aussi je vous le déclare: le Royaume de Dieu vous sera enlevé, et il sera donné
à un peuple qui en produira les fruits.
44
Celui qui tombera sur cette pierre sera brisé, et celui sur qui elle tombera,
elle l'écrasera.»
45
En entendant ses paraboles, les grands prêtres et les Pharisiens comprirent que
c'était d'eux qu'il parlait.
46
Ils cherchaient à l'arrêter, mais ils eurent peur des foules, car elles avaient en lui un prophète.
Prédication
Il y a dans l’évangile de Matthieu cinq chapitres
d’une incomparable violence. Cela commence par une entrée triomphale à
Jérusalem, puis les tables sont culbutées, puis le ton monte, puis
l’enseignement de Jésus se fait magistral, puis accusateur, puis invective et
rien ni personne ne résiste. Pourtant, cela s’achève sur cette phrase étrange
et scandaleuse que Jésus prononce : « Vous le savez, dans deux jours,
c’est la Pâque : le Fils de l’homme va être livré pour être
crucifié. » Vous le savez, dit-il à ses auditeurs… Non, ils ne le savent
pas ! Ils ne veulent surtout pas le savoir.
Et nous, lecteurs avisés, lecteurs qui connaissons
la fin, qui ne nous étonnons de rien… nous, qui en savons beaucoup, beaucoup
trop sur l’Evangile, sur la volonté de Dieu... Est-ce que nous voulons le
savoir ? Est-ce que nous voulons vraiment savoir que cet enseignement en
puissance doit nécessairement finir par l’infamie de la croix ? Je crois
que nous ne voulons pas le savoir.
Nous, ayant fini de lire la parabole des vignerons
meurtriers, nous dirons que nous sommes ces autres vignerons qui remettront à
leur propriétaire les fruits de la vigne et que non, nous n’aurions jamais fait
violence à ceux qui seraient venus chercher le fruit de la vigne. Non, non, pas
même en pensée, nous n’avons jamais battu, méprisé aucun de ceux que
propriétaire nous envoya, et surtout pas son fils.
Mais, au fond de nous-mêmes, sommes-nous bien
certain de tout cela ? Ce Jésus au plus fort de sa puissance nous
traiterait probablement d’hypocrites.
Matthieu, chapitres 21 à 25. C’est de la haute
polémique, mais qui travaille en profondeur sur seulement quelques questions,
dont celle de la légitimité à parler de Dieu, légitimité à se dire de Dieu.
Légitime, lui, ou nous ? Et l’on sait que ça finira avec plusieurs
cadavres…
Qui donc sont les vignerons légitimes ? Des premiers
nous ne savons qu’une chose, ce sont des vignerons. Quelles méthodes de taille
de vigne, quelle assiduité à leur tâche, quel rendement ? Dans la
parabole, leur légitimité ne tient finalement qu’à une seule chose : la
manière d’accueillir ceux qui viennent au nom du propriétaire pour réclamer du
fruit. Quel fruit ? Quelle quantité de fruit ? On ne le sait pas. Le
seul fruit de cette vigne, c’est l’accueil. C’est le seul fruit qui apparaisse
explicitement : l’accueil.
Et maintenant, si vous avez cru que nous sauriez à
la fin qui est légitime, qui peut légitimement être vigneron de cette vigne,
vous êtes déçus, mais vous tenez une réponse, sous la forme d’une
question : comment accueille-t-on ceux qui se présentent à vous ?
Revenons au récit, et explorons-le avec ce que
nous venons de mettre en évidence. Si la question de la légitimité c’est la
question de l’accueil, nous devons poser deux questions. Comment ses ennemis
ont-ils accueilli Jésus ? Et comment Jésus les a-t-il accueillis ?
Comment ses ennemis ont-ils accueillis Jésus,
c’est tout à fait clair. Grands prêtres et pharisiens se sont approprié les
Ecritures, le rituel, le pardon, le temple. Et ils n’accueillent pas. Ils
dénigrent. Puis ils parlent bas, complotent et éliminent.
Comment Jésus a-t-il, lui, accueilli ses
ennemis ? Là où ils complotent, Jésus parle ouvertement. Là où ses ennemis
rejettent, Jésus accueille. Là où ils ferment les portes du Royaume de Dieu
Jésus, lui, les ouvre toutes grandes et y accueille tous ceux que ses ennemis
rejettent. Et surtout, lui, ses ennemis, il les accueille, en ennemis, mais non
point en concurrents à éliminer. Car il répond, lui, de ses actes et de ses
paroles sur sa propre vie. Il laisse ses ennemis l’effacer. Et laisse
finalement Dieu et l’histoire juger.
Alors, qui d’entre eux
peut légitimement parler de Dieu ? Vous dites, évidemment, Jésus. Mais dites plutôt que peut
légitimement parler de Dieu celui qui accueille, sans limite, sans conditions,
sans discrimination, sans même se poser lui-même la question de sa propre
légitimité, sans même la réclamer et sans même la défendre. Il est légitime,
celui qui dit finalement, d’une manière ou d’une autre : « Vous le
savez, dans deux jours, c’est la Pâque : le Fils de l’homme va être livré
pour être crucifié. »
Qui a jamais vraiment
accepté cela ? Qui a vraiment accepté que cet homme, qui enseignait en
puissance et en bonté, finît sur l’infâme bois de la croix ? Personne… Ni
lorsque cela fut raconté, ni lorsque ce fut écrit. Car jamais ne cesse de
ressurgir cette prétention à être légitime, parce qu’on lit ceci ou cela, parce
qu’on professe ce qu’on professe…
Ce texte très dur va nous conduire à des
affirmations très dure. Quiconque affirme avoir accepté Jésus et que cela fonde
sa légitimité devant Dieu l’a, de fait, déjà, rejeté. Quiconque affirme qu’untel
n’est pas légitime devant Dieu, pour quelque motif que ce soit, l’a déjà rejeté
aussi. S’agissant du Royaume de Dieu, dire « je bâtis » est une
prétention.
Il n’en est qu’un qui l’ait jamais bâti, vraiment
c'est-à-dire légitimement c'est-à-dire ici dans un engagement absolu, et un accueil
infini, sans rejet ni de rien, ni de personne. Christ, seul !
Mais nous, mais moi… Qui est-ce que je
rejette ? Qu’est-ce que je rejette ? Au titre de quelle
légitimité ? Et ce qu’on rejette aujourd’hui ne deviendra-t-il pas la
pierre angulaire, pierre essentielle, de cet édifice qu’on prétendait
construire selon nos vœux et à notre propre image.
Matthieu, depuis le
chapitre 21, jusqu’au chapitre 25, ces textes sont, nous l’avons dit, d’une grande
dureté. Et l’honnêteté nous impose de les prendre pour ce qu’ils sont, comme
pointant vers nous le doigt de la vérité. Nous n’avons rien à faire valoir.
Dieu connaît nos cœurs et la pureté de nos engagements. Nos actes et nos
paroles nous précèdent et même les meilleurs de nos actes et de nos paroles ne pourront
pas nous légitimer. Que chacun fasse l’inventaire de ce qu’il rejette et le
bilan de sa légitimité. Et que chacun se dise que ce qu’il rejette hors de sa
petite personnelle construction, cela devient la pierre d’angle sur laquelle
tout reposera, et sur laquelle il trébuchera.
Mais on peut aussi, et dès
maintenant, s’ouvrir et accueillir ce qu’on rejetait. S’aventurer à ce que l’on
ne connaissait pas. Ecouter qui l’on n’écoutait pas. Et marcher vers l’inconnu.
Cela s’appelle croire, cela s’appelle la foi. C’est un chemin. Et quant à la
merveille vers laquelle cela nous mène – que nous ne connaissons pas – que nous
ne méritons pas – dont nous ne sommes pas dignes – elle est l’œuvre du
Seigneur.