samedi 30 août 2025

Être épié (Luc 14,1-14)

 

Luc 14

1 Or Jésus était entré dans la maison d'un chef des Pharisiens un jour de sabbat pour y prendre un repas; ils l'épiaient,

 2 et justement un hydropique se trouvait devant lui.

 3 Jésus prit la parole et dit aux légistes et aux Pharisiens: «Est-il permis ou non de guérir un malade le jour du sabbat?»

 4 Mais ils gardèrent le silence. Alors Jésus, prenant le malade, le guérit et le renvoya.

 5 Puis il leur dit: «Lequel d'entre vous, si son fils ou son boeuf tombe dans un puits, ne le hissera pas aussitôt, en plein jour de sabbat?»

 6 Et ils ne purent rien répondre à cela.

 7 Jésus dit aux invités une parabole, parce qu'il remarquait qu'ils choisissaient les premières places; il leur dit:

 8 «Quand tu es invité à des noces, ne va pas te mettre à la première place, de peur qu'on ait invité quelqu'un de plus important que toi,

 9 et que celui qui vous a invités, toi et lui, ne vienne te dire: ‹Cède-lui la place›; alors tu irais tout confus prendre la dernière place.

 10 Au contraire, quand tu es invité, va te mettre à la dernière place, afin qu'à son arrivée celui qui t'a invité te dise: ‹Mon ami, avance plus haut.› Alors ce sera pour toi un honneur devant tous ceux qui seront à table avec toi.

 11 Car tout homme qui s'élève sera abaissé et celui qui s'abaisse sera élevé.»

 12 Il dit aussi à celui qui l'avait invité: «Quand tu donnes un déjeuner ou un dîner, n'invite pas tes amis, ni tes frères, ni tes parents, ni de riches voisins, sinon eux aussi t'inviteront en retour, et cela te sera rendu.

 13 Au contraire, quand tu donnes un festin, invite des pauvres, des estropiés, des boiteux, des aveugles,

 14 et tu seras heureux parce qu'ils n'ont pas de quoi te rendre: en effet, cela te sera rendu à la résurrection des justes.»

Prédication

            Épier. Jésus entra un jour de sabbat dans la maison d’un chef des Pharisiens pour prendre un repas, et on l’épiait.

            Épier, cela signifie observer les paroles, faits et gestes des gens, en prêtant attention uniquement à ce qu’ils devraient faire et ne font pas, à ce qu’ils ne devraient pas faire et que pourtant il font, tout cela dans le but de leur nuire.

            Nous savons que, s’agissant de Jésus et des Pharisiens, et un jour de sabbat, ce à quoi les gens vont s’intéresser, c’est le respect du sabbat. Il y a là un interdit essentiel pour les Pharisiens : ne rien faire ce jour-là. Mais ne rien faire, cela inclut-il guérir ? Et s’il y a une urgence vitale pour un enfant ? Et s’il y a une urgence vitale pour une vache ? C’est l’intransigeance des Pharisiens contre la générosité audacieuse de Jésus…

            Il se trouve là un hydropique, un homme au corps tout enflé de fluides, fait unique dans toute la Bible, que Jésus, jour de sabbat, va guérir. Et ça n’est certainement pas par hasard que le malade de ce jour-là est un hydropique, tout gonflé, tout enflé… comme le seraient, au sens figuré, les Pharisiens, enflés, gonflés, affligés d’enflure, certains de leur considérable importance et de son bien fondé.

            Si Jésus guérit ce pauvre homme, y a-t-il quelque chose qui pourrait guérir les Pharisiens de la maladie grave de leur propre importance ? Jésus le pourrait-il ?

            La réponse, réponse de notre foi, réponse pour notre temps, est positive… elle ne peut être que positive. Mais pouvons-nous donner une méthode, ou une recette ?

           

            Épier, c’est le verbe que nous venons de méditer… si nous épions quelqu’un, c’est que nous considérons qu’il nous doit quelque chose ; Jésus doit aux Pharisiens, nous le repérons bien, de respecter le sabbat selon ce qu’ils – les Pharisiens – en disent… et le sabbat est pour eux un catalogue d’obligations.

            Face à ce catalogue d’obligations Jésus propose une parabole. Nous allons suggérer tout de suite que si notre méditation de cette parabole oppose à un catalogue d’obligations un autre catalogue d’obligations, nous aurons échoué…

            En face du verbe épier, Jésus propose le verbe inviter : inviter apparaît dix fois en sept versets.

            Pour tâcher de comprendre toutes ensemble ces répétitions, considérons un invité qui, sûr de sa propre importance, s’installe au premier rang. Or – point de vue de l’invitant – un autre est plus important que le premier… le premier est renvoyé au dernier rang, honte publique sur lui. Tellement que lui, et évidemment tous les autres, s’installeront désormais toujours au dernier rang afin d’être distingués par un appel de l’invitant… Se bousculer ainsi  pour être au dernier rang, ou se bousculer pour être au premier rang, quelle différence ? Aucune ? Et pourtant, d’une manière très claire, Jésus annonce « … au contraire, va te mettre à la dernière place, afin qu’à son arrivée, celui qui t’a invité te dise : "Mon ami, avance plus haut" alors ce sera pour toi un honneur… » Mais cette chose-là, ce afin que, est-ce que  ça marche à tous les coups ? Cette ruse, aller sciemment se mettre au fond dans le but d’être spécialement distingué, est-ce que ça fonctionne ? Si cela fonctionnait, l’enseignement de Jésus sur ce sujet serait à peine une sagesse, et pas du tout une parabole. Or, il est bien écrit que c’en est une. Et nous devons donc abandonner cette idée d’un placement rusé qui fait qu’on vous distingue...

 

            Nous l’avons déjà suggéré, se mettre au premier rang, ou se mettre au dernier rang, si c’est en ne changeant rien à la disposition du cœur, c’est exactement la même chose, et cette chose, nous l’avons devinée dès le début, c’est l’hydropisie de la foi,  c’est l’enflure de la personne. Peut-on quelque chose contre cela ?

            Peut-être, disons-nous maintenant, mais nous le disons prudemment, car il ne s’agirait pas qu’en affichant une compétence en matière de dégonflage des gens atteints d’enflure, nous ne nous enflions nous-mêmes. Lisons plutôt…

            Dix répétitions de inviter, et ces répétitions sont accompagnées d’un autre verbe, le verbe rendre, un verbe rendre particulier qui signifie rendre la pareille, rendre la pareille, pas moins, et pas autrement. Nous pouvons traduire cela en disant que Jésus, en entrant un jour de sabbat dans la maison d’un chef des Pharisiens, accepte une invitation qu’il doit rendre immédiatement en n’étant pas moins observant que celui qui le reçoit… et Jésus ne rend pas cette invitation, nous l’avons bien compris.

            Mais il y a aussi la dimension sociale de ces invitations, familiales ou pas, qu’on accepte et qu’il faut rendre ; revient à mon souvenir une discussion, s’agissant justement d’une invitation, au sujet de laquelle il avait été dit : « On ne va pas accepter, parce qu’on ne pourra jamais rendre… » Les liens contractés avec telle ou telle invitation, les obligations de rendre, entre proches voisins, et entre proches parents, étaient si fortes déjà au temps dont parle Luc que, pour mettre en question ces liens, Jésus suggère à ceux qui lancent des invitations de n’inviter que des gens dont la pauvreté est si avérée qu’elle barre à tout jamais toute perspective de rendre… comme il est écrit, si tu invites ainsi, « cela te sera rendu à la résurrection des justes ».

            Autrement dit celui qui, à la suite de Jésus Christ et dans la foi chrétienne, lance telle ou telle invitation, une invitation qui peut être un repas, qui peut-être aussi une invitation liturgique, une invitation à l’étude, et même une invitation à la promenade… le fait dans une double perspective, les invités ne sont pas solvables (c'est-à-dire qu’ils ne sont pas méritants), et tout peut arriver par eux (ils sont aussi imprévisibles que le Messie), ce qui est l’heureuse et joyeuse perspective de la vie, même si – il le faut bien le reconnaître – une vie menée ainsi n’est pas toujours de tout repos.

             

            Est-ce que nous voulons de cette vie ? Le tableau de cette vie est un tableau difficile. D’un côté, l’obligation qu’on se donne à soi-même, soit disant au nom de Dieu, et qu’on projette avec suffisance sur autrui, de l’autre côté une liberté si extraordinairement complète qu’elle est vertigineuse. Le facile, et le difficile. L’arrogance quelque part, et quelque part aussi le don pur et la pure espérance.

            Où que nous soyons, Lui, il nous invite. Il nous est peut-être difficile de discerner quelle est cette invitation, ce qu’elle attend, ou ce qu’elle exige. L’invitation de notre Seigneur est une véritable invitation. Elle est posée là comme une sorte de balise sur un chemin. Elle est d’une infinie patience. Et elle laisse  parfaitement libre. Elle invite à la liberté. Amen

samedi 23 août 2025

Sauvés, mais de quoi ? (Luc 13,22-30)

 Luc 13:22-30 

22 Il passait par villes et villages, enseignant et faisant route vers Jérusalem.

 23 Quelqu'un lui dit: «Seigneur, n'y aura-t-il que peu de gens qui seront sauvés?» Il leur dit alors:

 24 «Efforcez-vous d'entrer par la porte étroite, car beaucoup, je vous le dis, chercheront à entrer et ne le pourront pas.

 25 «Après que le maître de maison se sera levé et aura fermé la porte, quand, restés dehors, vous commencerez à frapper à la porte en disant: ‹Seigneur, ouvre-nous›, et qu'il vous répondra: ‹Vous, je ne sais d'où vous êtes›,

 26 «alors vous vous mettrez à dire: ‹Nous avons mangé et bu devant toi, et c'est sur nos places que tu as enseigné›;

 27 et il vous dira: ‹Je ne sais d'où vous êtes. Éloignez-vous de moi, vous tous qui faites le mal.›

 28 «Il y aura les pleurs et les grincements de dents, quand vous verrez Abraham, Isaac et Jacob, ainsi que tous les prophètes dans le Royaume de Dieu, et vous jetés dehors.

 29 Alors il en viendra du levant et du couchant, du nord et du midi, pour prendre place au festin dans le Royaume de Dieu.

 30 «Et ainsi, il y a des derniers qui seront premiers et il y a des premiers qui seront derniers.»

Prédication :

                        Et voici comme un emploi du temps d’une journée de Jésus, avec seulement de l’enseignement. Juste de l’enseignement – entendons bien ici qu’il n’est pas question de miracles. Pendant un petit laps de temps Jésus parle, et rien d’autre.

            Est-ce que cela, parler, se suffit à soi-même ? Existe-t-il des « sujets d’évangile » qui appellent la parole et rien d’autre que la parole ? Nous allons le voir – ou plutôt nous allons l’entendre. Tout de suite !

            Car quelqu’un va prendre la parole, « Seigneur, n’y aura-t-il que peu de gens qui seront sauvés ? » Question d’apparence simple mais en réalité difficile. Question qui est d’une actualité bouillante. Parler seulement.

 

            La brutalité de la domination romaine, la brutalité aussi des règles de vie en vigueur entre les divers courants du judaïsme de cette époque, contribuaient à tirer l’espérance de vie vers le bas. La vie se déroulait à l’ombre des cimetières, et dans l’espérance d’un certain au-delà. Avec une provenance, une porte d’entrée, un portier… tout ça qui porte le nom de Royaume de Dieu. N’y entre pas qui veut, mais les patriarches et les prophètes y résident de plein droit. Quant aux autres, ces petites gens qui, dans la parabole,  suivent Jésus sur le chemin de Jérusalem nous avons bien lu qu’ils n’y entreront pas.

            Nous demandons pourquoi ? Il s’agit, selon Jésus, de s’efforcer d’entrer par la porte étroite. Soit, il y a donc aussi une porte large, dont le franchissement est si aisé que tout un chacun peut y parvenir et s’en faire gloire. Alors qu’au contraire il y a  quelque chose comme une ascèse, un effort, qui semble autrement nécessaire. Avec une conséquence, porte étroite ou porte large le salut ici ne serait pas gratuit. Nous nous cabrons un peu, et même peut-être beaucoup. Car le salut apparait ici comme  le fruit d’un labeur, le produit d’une rétribution, c’est ainsi, c’est écrit. Nous ne pouvons pas biffer les évangiles. Nous devons nous expliquer avec eux, nous expliquer avec Lui – Jésus – et l’explication ici porte sur l’accès au Royaume.

 

            Cela s’adresse d’abord à ceux qui voudraient y rentrer. Mais pourquoi vouloir y entrer ? Ensuite il s’agirait de cocher les bonnes cases. Que faut-il donc pour y entrer et pour y rester ? Ne nous attristons pas d’avantage qu’il ne le faut. Ces images difficiles qui nous sont proposées doivent être examinées et méditées exactement comme des paraboles en d’autres fragments de Luc. Ce qui ne dispense pas d’une recherche de tel ou tel outil pour le faire, de tel ou tel matériau, ou d’une action nécessaire, bonne et efficace.

            Et donc pour y rentrer, il faut transporter tout un bagage, tout un fardage – et dans fardage il y a fardeau. Mais pourquoi ? Qu’est-ce que c’est que ce royaume, tellement de tâches à accomplir pour, à la fin, gagner la médaille – et ça n’est même pas certain.

            Nous l’avons lu. Car il ne s’agit pas d’avoir accumulé tels mérites, mais d’avantage – et excellemment – il s’agit de venir de quelque part. Car la sainteté ne suppose pas qu’on augmente des mérites. Mais elle suppose plutôt qu’on agisse avec détermination et avec grâce.

            Alors d’où viennent des gens qui parlent avec Jésus ? Ils viennent de là où l’on dit : ‹Nous avons mangé et bu devant toi, et c'est sur nos places que tu as enseigné› On peut le dire, et il doit être possible de le dire en bien. Sauf que là, ça n’est pas en bien que c’est entendu par Jésus. Et pourquoi ?

            Il faut qu’à Dieu soit la gloire. Il sait qui sont les siens. Et étendre à Jésus cette connaissance des cœurs.. « Je ne sais d’où vous êtes. » Je ne sais pas quel chemin vous avez pris. En parlant de ce chemin-là, et de cette ignorance, Jésus met en avant une "puissante ignorance de la sainteté" (notion un peu abstraite, mais je ne peux pas faire mieux). Et au titre de laquelle justement certains enteront et d’autres n’entreront pas.

 

            Nous pouvons avancer d’avantage. Dans cette communauté peut-être graciée, nous pourrons apercevoir Abraham, Isaac et Jacob, ainsi que tous les prophètes. Nous pouvons les voir pénétrer dans le Royaume de Dieu. Nous pouvons même les voir assis à la table du festin… mais, prenons garde de ne pas nous égarer. Nous les y voyons, c’est sûr, mais de l’extérieur, eux, dedans et nous, dehors.

            Quant aux exclus du festin, cela provoque en eux un violent murmure de contestation. On peut le comprendre. Mais la question n’est pas de contester mais de prendre sur soi la merveille de notre action qui nous sauve. Et c’est tout.

            Qu’est-ce que l’évangile ici, ce matin ? L’évangile, dans ces quelques versets, c’est le grand rassemblement des perdus, grand rassemblement des égarés. Et le mot rassemblement est celui qui compte.