samedi 1 mars 2025

Le Sens d'un discours (Luc 6,39-45)

Luc 6

39 Il leur dit aussi une parabole: «Un aveugle peut-il guider un aveugle? Ne tomberont-ils pas tous les deux dans un trou?

 40 Le disciple n'est pas au-dessus de son maître, mais tout disciple bien formé sera comme son maître.

 41 «Qu'as-tu à regarder la paille qui est dans l'oeil de ton frère? Et la poutre qui est dans ton œil à toi, tu ne la remarques pas?

 42 Comment peux-tu dire à ton frère: ‹Frère, attends. Que j'ôte la paille qui est dans ton œil›, toi qui ne vois pas la poutre qui est dans le tien? Homme au jugement perverti, ôte d'abord la poutre de ton œil! et alors tu verras clair pour ôter la paille qui est dans l'œil de ton frère.

 43 «Il n'y a pas de bon arbre qui produise un fruit malade, et pas davantage d'arbre malade qui produise un bon fruit.

 44 Chaque arbre en effet se reconnaît au fruit qui lui est propre: ce n'est pas sur un buisson d'épines que l'on cueille des figues, ni sur des ronces que l'on récolte du raisin.

 45 L'homme bon, du bon trésor de son cœur, tire le bien, et le mauvais, de son mauvais trésor, tire le mal; car ce que dit la bouche, c'est ce qui déborde du cœur.

Prédication : 

             Les versets de Luc que nous venons de lire appartiennent à un ensemble qui commence en Luc 6,20, et qui finit au verset 49 du même chapitre, soit un long ensemble de 30 versets pour un apparemment discours continu. Nous disons apparemment parce que cela fait trois semaines qu’il nous est proposé par morceaux d’une dizaine de versets, avec un reste. Et donc tout peut se passer comme si, effectivement ces trois fragments étaient indépendants les uns des autres. Cette idée d’indépendance des fragments pourtant contigus peut être renforcé par les titres que les éditeurs de Bibles rajoutent aux textes.

            Par exemple, dans l’une Bibles (Synodale, 7ème éd., 1950) que j’ai consultées cette semaine, en méditant nos textes, les versets 17 à 20 sont coiffés d’un remarquable « Instructions diverses ». Comme si le rédacteur de l’évangile s’était trouvé avec un stock résiduel d’aphorismes et les ait jetés là un peu en vrac, en tout cas sans souci de composition. Dans une autre Bible (Ostervald), j’ai vu un titre qui appelle « Sermon sur la Montagne » ce même ensemble, par contamination avec Matthieu, la ressemblance étant importante… mais voyez-vous, une fois que, en lisant Luc, on donne du poids à ce titre « Sermon sur la montagne », comment pourra-t-on lire avec respect les Bé-atitudes et surtout les Mal-atitudes de Luc ?

            Malheureux être-vous, les riches (Luc 6,24)… ou encore Quelle tristesse pour vous, les riches… car vous possédez les instruments de votre propre consolation. Matthieu n’a pas ça du tout. Et ce verset 24 est possiblement essentiel pour la compréhension de l’ensemble comme un discours tout un, peut-être pas avec un plan bien suivi, bien maîtrisé comme le réclament nos canons occidentaux, mais un tout de même.

            Toujours sur ce verset 24, ce que nous traduisons par vous possédez, peut-être pourrait-on insister en suggérant il vous suffit de posséder les instruments de votre propre consolation.

 

            Partant de cette proposition de traduction, je vous propose de lire les derniers versets de ce discours

 

            46« Et pourquoi m'appelez-vous ‹Seigneur, Seigneur› et ne faites-vous pas ce que je dis? 47 « Tout homme qui vient à moi, qui entend mes paroles et qui les met en pratique, je vais vous montrer à qui il est comparable. 48« Il est comparable à un homme qui bâtit une maison: il a creusé, il est allé profond et a posé les fondations sur le roc. Une crue survenant, le torrent s'est jeté contre cette maison mais n'a pu l'ébranler, parce qu'elle était bien bâtie. 49« Mais celui qui entend et ne met pas en pratique est comparable à un homme qui a bâti une maison sur le sol, sans fondations : le torrent s'est jeté contre elle, et aussitôt elle s'est effondrée, et la destruction de cette maison a été totale.»

 

            Une fois encore, il y a sous nos yeux comme un effet fragment, car construire sur le roc ou sur le sable nous est demandé tel quel pour bien des prédications de bénédictions nuptiales – en fait ils sont dans des listes de textes et ce sont les couples qui choisissent.

            Mais est-ce que construire sur le roc et résister aux torrents furieux est l’objectif du discours ? Ne pourrait-il pas, ce discours, s’il en était un, nous informer sur le roc, et sur le sable, où ça se trouve et comment on s’en procure ? Et l’on trouverait le chemin de l’allégorie et des recettes, des instruments, de la longévité. Alors que, dans la tentative qui est la nôtre maintenant, le sable est ce qui vient simplement dans les mains et qu’on a l’illusion de tenir, de posséder – qui se souvient des châteaux de sable construits sur le bord de mer et des effets de la marée sur eux ? – alors que le roc, on ne le possède pas, on ne le tient pas, même si c’est sur lui que la maison est bâtie.

            La bâtir, comment ? La méditation des choses qu’on sait et de celles qu’on ignore, des choses qu’on peut posséder – que l’on possède parfois effectivement – et de celles qu’on ne peut que recevoir, et toujours recevoir même si elles ont déjà reçues – et elles sont pourtant pérennes, d’une pérennité toute évangélique.

            Ainsi donc, le discours de Jésus pourrait-il bien essayer de donner à penser sur le vide et le plein, sur ce qu’on possède au point d’en être obsédé et sur ce qu’on possède ne possédant pas et qui peut être donné, ou perdu, et qui peut, peut-être encore, être rendu, autrement, et d’une manière qu’on ignore. Ce discours parle de la vie, d’une vie qu’on pourrait appeler Vie en Christ, dont toute la prière, toute la liturgie, tiendrait en un seul mot deux fois répété, Seigneur, Seigneur.

            Or Jésus ne dit pas pensez, ou méditez, mais faites. Non pas faites ce que je fais, ce qui va de soi – il va de soi que Jésus fait lui-même ce qu’il dit, et l’on sait où cela le mène - bien sûr, mais faites ce que je dis.     Et que dit-il de faire ?

            Première rafale : 27«Mais je vous dis, à vous qui m'écoutez: Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent, 28 bénissez ceux qui vous maudissent, priez pour ceux qui vous calomnient. 29 «À qui te frappe sur une joue, présente encore l'autre. À qui te prend ton manteau, ne refuse pas non plus ta tunique.  30 À quiconque te demande, donne, et à qui te prend ton bien, ne le réclame pas. 31 Et comme vous voulez que les hommes agissent envers vous, agissez de même envers eux.

            Et deuxième rafale : 35 Mais aimez vos ennemis, faites du bien et prêtez sans rien espérer en retour. Alors votre récompense sera grande, et vous serez les fils du Très-Haut, car il est bon, lui, pour les ingrats et les méchants. 36 «Soyez généreux comme votre Père est généreux. 37 Ne vous posez pas en juges et vous ne serez pas jugés, ne condamnez pas et vous ne serez pas condamnés, acquittez et vous serez acquittés. 38 Donnez et on vous donnera; c'est une bonne mesure, tassée, secouée, débordante qu'on vous versera dans le pan de votre vêtement, car c'est la mesure dont vous vous servez qui servira aussi de mesure pour vous.»

 

            Et serons-nous vraiment ainsi rétribués ? Dans le sens de cette prédication, nous ne pouvons pas être propriétaires des réponses à nos questions. Nous ne pouvons pas savoir. Nous ne pouvons qu’espérer… et encore. Notre enseignement ne sait pas, et notre engagement ne gage pas.

            Je crois qu’il faut en rendre grâce à Dieu. Amen