samedi 20 juillet 2024

L'Eglise territoire de la parole (Marc 6,30-34 ; Ephésiens 2,13-18 ; Jérémie, 23,1-6)

 

 


Marc 6

30 Les apôtres se réunissent auprès de Jésus et ils lui rapportèrent tout ce qu'ils avaient fait et tout ce qu'ils avaient enseigné.

31 Il leur dit: «Vous autres, venez à l'écart dans un lieu désert et reposez-vous un peu.» Car il y avait beaucoup de monde qui venait et repartait, et eux n'avaient pas même le temps de manger.

32 Ils partirent en barque vers un lieu désert, à l'écart.

33 Les gens les virent s'éloigner et beaucoup les reconnurent. Alors, à pied, de toutes les villes, ils coururent à cet endroit et arrivèrent avant eux.

34 En débarquant, Jésus vit une grande foule. Il fut pris de pitié pour eux parce qu'ils étaient comme des brebis qui n'ont pas de berger, et il se mit à leur enseigner beaucoup de choses.


Prédication

            Je vous propose 12 critères (peut-être 11), en considérant les versets de Marc que nous venons de lire et ces critères, nous allons les considérer un à un, brièvement

 

1.     il y a Eglise là où il y a envoi…  

            et c’est le critère le plus implicite, celui sans lequel le texte ne commencerait pas ; il y a toujours quelque chose avant qui fait que les hommes qui se rencontrent sont appelés “ apôtres ”, c’est à dire tout simplement “ envoyés ”, envoyés pour faire quelque chose, certainement, mais envoyés, c’est à dire pas gardés bien au chaud auprès de soi… là où il y a Eglise, il y a mission reçue pour être quelque part dans le monde, et pour y faire… ce qu’on a à y faire, et qui va venir un peu plus tard… la notion d’envoi est la plus riche si l’on veut bien considérer que l’Eglise est hors l’Eglise aussi

2.     il y a Eglise là où il y a des retrouvailles

            qu’on soit envoyé ne veut pas dire qu’on est renvoyé : chacun fait ce qu’il a à faire dans la vie qui est la sienne, puisque l’Eglise vit au monde ; puis l’on se retrouve ; nous nous assemblons : après la dispersion, le rassemblement ; si nous n’aménagions pas ces temps et ces lieux de rassemblement, il n’y aurait pas Eglise… mais bien entendu – ça va de soi – s’il n’y a que des retrouvailles permanentes, il n’y a pas d’Eglise non plus… l’état d’esprit qui caractérise les retrouvailles, il est simple à définir : une attention dénuée de jugement, faite de curiosité bienveillante, et peut-être un rien critique quoique inconditionnellement joyeuse.

3.     il y a Eglise là où l’on raconte

            c’est cet état d’esprit qui permet qu’on se raconte, là où les mots peuvent être échangés, et appréciés parce qu’échangés dans les retrouvailles ; c’est là qu’ils se mettent à signifier plus que ce qui était attendu, parce que ces mots sont entendus ; on se raconte librement, on vous écoute attentivement, et chacun en est enrichi

4.     il y a Eglise là où l’on se met à l’écart pour trouver du repos

            c’est presque évident pour chacun que là où l’on se retrouve, là où l’on se raconte comme nous l’avons vu, on reprend des forces ; ce qui permet le repos, c’est un lieu et une compagnie qui font que le monde peut aller sans nous au rythme qui est le sien, et que notre présence y est envisagée par nous-mêmes comme presque superflue : ne trouve le repos que celui qui ne se pense pas indispensable, ce qui suppose qu’il ait confiance suffisamment en eux, en la vie… bref, en Dieu

5.     il y a Eglise là où il y a un berger

            nous abordons quelque chose de particulier, et parfois épineux… il faut, d’après notre texte, qu’il y ait un berger ; il faut que quelqu’un donne la direction, indique le but et rende pertinents les efforts de chacun dans la direction commune ; tel est le berger, tel est le Christ dont témoignent les textes bibliques et ceux qui les interprètent purement ; tel peut être celui qui vous prête attention si bien que vous trouvez le repos, et reprenez des forces… tel est celui qui vous enseigne…

6.     il y a Eglise là où il y a enseignement

            mais ce qui est très intéressant, c’est que les “ envoyés ” ont enseigné, et que Jésus, à son tour, les enseigne ; le contenu de cet enseignement, c’est ce que nous envisageons petit à petit ; ce que la répétition du mot enseignement, à deux niveaux, peut nous indiquer, c’est que le berger n’est pas quelqu’un, mais une fonction que chacun peut occuper, à un moment, pour un autre : le lien hiérarchique qui en découle n’est pas un lien figé, mais un lien dynamique entre des “ envoyés ” qui sont disciples et bergers, qui sont élèves et maîtres, parfois maîtres de leurs maîtres, selon ce qu’il leur sera donné de dire… mais n’anticipons pas sur le miracle…

7.     il y a Eglise là où les besoins élémentaires des corps ne sont pas négligés

            pas vraiment besoin de développer ce critère ; observons-le tout simplement ; observons qu’il a des prolongements sociaux évidents, des prolongements dans le rapport à la production industrielle, à la réforme agraire, à la propriété terrienne, et aussi à l’ascèse religieuse : là où l’on exigerait de vous une discipline qui mettrait votre corps, votre vigilance, en péril, là il n’y aurait pas d’Eglise… et puis c’est une espèce de disposition diaconale toute simple…

8.     il y a Eglise là où il y a une mise en commun matérielle

évidemment, l’énoncé précédent impose l’énoncé présent… si personne ne donne rien, il n’y a rien à multiplier, dans notre propre texte : pas de création ex nihilo ; pas de joie du partage sans perte préalable, sans la joie de la perte et de l’abandon… extrême dans notre texte, puisque celui qui donne son petit pain ne le mangera pas… on ne vous en demande pas tant, évidemment, puisque le critère précédent énonçait que les besoins élémentaires du corps ne sont pas à négliger… mais un peu tout de même… et puis il faut de la contradiction pour qu’il y ait de l’équilibre, et pour démasquer les abrutis…

9.     il y a Eglise là où il y a un ordonnancement

            la foule ne s’étale pas n’importe comment ; ça n’est pas la foire d’empoigne où ne triomphent que plus rapides, et les plus forts ; que l’Eglise soit ordonnée donne paradoxalement une chance supplémentaire à la grâce qui se moque de l’ordre… et surtout, cela donne une chance aux plus petits… pourvu que tout ne soit pas réduit à un ordonnancement… mais n’anticipons pas… il y a Eglise là où il y a un rituel

            nous observons aussi qu’il y a un officiant qui rend grâce et émiette les espèces, et d’autres qui les distribuent dans des paniers : c’est tout un rituel qui déroule sous nos yeux, un rituel abrégé, mais  un rituel sans lequel rien ne signalerait pour les uns et les autres ce qu’on est en train de faire, rien ne pourrait être expliqué ensuite de l’un à l’autre… il y a Eglise là où il y a un rituel qui peut se raconter, et c’est encore un fois très important…

10.  il y a Eglise là où il y a du reste

            dans la série des éléments importants, le texte nous indique qu’il y en a plus à la sortie qu’à l’entrée ; du miracle là-dessous, certes, mais n’anticipons pas ; l’Eglise ne peut pas prétendre connaître ceux qui appartiennent à Dieu… tout juste peut-elle espérer comptabiliser ceux dont elle considère qu’ils lui appartiennent ; l’Eglise, telle que la présente ce texte, ne peut pas non plus prétendre qu’elle détient la totalité de la vérité, ou de ce qui est nécessaire à l’être humain, parce qu’à l’évidence il y a plus qui est manifesté, et qu’elle est dépassé elle-même par ce qu’elle célèbre : Jésus lui-même est dépassé par ce qu’il célèbre… l’Eglise qui célèbre ce reste et qui le laisse se perdre dans la suite du récit, et de l’histoire, est une Eglise généreusement vivante

11.  il y a Eglise là où il y a du miracle

            C’est le dernier de nos critères : il y a Eglise là où il y a miracle… si bien que nous ne pouvons jamais dire si l’Eglise institution que nous venons de construire en 11 critères sera l’Eglise événement de vie qui est nécessaire à chacun… elle peut l’être comme ne pas l’être, selon le bon vouloir de Dieu…

            Le miracle est à la fois nécessaire – en tant qu’événement – et superflu – en tant que critère. Le miracle est superflu, en tant que critère, parce qu’il effacerait tout. Il est nécessaire, en tant qu’événement, parce qu’il déborde tout.

            Car il y a bien ce miracle : nourrir tant de monde avec si peu de nourriture. Mais ce miracle est si énorme qu’il risque bien d’éclipser l’essentiel, les 11 premiers critères qui sont en quelque manière de notre ressort. Il faut – absolument – que ce critère apparaisse après tous les autres, faute de quoi, il est une pure disqualification, quand il n’est pas une pure imposture...

 

            Et pourtant, ce critère apparaît toujours avant tous les autres. Il est le plus important, puisque de lui, du bon vouloir de Dieu, dépend tout ce qui précède, et tout ce qui s’ensuit…

            mais si nous l’énoncions premièrement, et comme une exigence, alors nous aurions tout perdu…

            qu’il n’en soit pas ainsi…                                                                                                                          et que nous fassions encore longtemps l’expérience de l’Eglise

 

Où y a-t-il Eglise, selon ce petit récit ?

Dans un travail souvent recommencé, du genre catéchisme pour adultes, sur le thème de l’Eglise, nous avons envisagé ce petit récit comme une présentation d’un modèle d’Eglise. Et c’est bien ce que nous allons - faire maintenant, nous demander où il y a Eglise dans ce texte : à quels critères reconnaîtrions-nous l’Eglise si nous n’avions que ce texte pour nous repérer…

 


samedi 6 juillet 2024

Les territoires de la miséricorde (Marc 6,1-6, plus 2 Corinthiens, plus Ezéchiel 2)

 


Marc 6

1 Jésus partit de là. Il vient dans sa patrie et ses disciples le suivent.

 2 Le jour du sabbat, il se mit à enseigner dans la synagogue. Frappés d'étonnement, de nombreux auditeurs disaient: «D'où cela lui vient-il? Et quelle est cette sagesse qui lui a été donnée, si bien que même des miracles se font par ses mains?

 3 N'est-ce pas le charpentier, le fils de Marie et le frère de Jacques, de Josès, de Jude et de Simon? Et ses sœurs ne sont-elles pas ici, chez nous?» Et il était pour eux une occasion de chute.

 4 Jésus leur disait: «Un prophète n'est méprisé que dans sa patrie, parmi ses parents et dans sa maison.»

 5 Et il ne pouvait faire là aucun miracle; pourtant il guérit quelques malades en leur imposant les mains.

 6 Et il s'étonnait de ce qu'ils ne croyaient pas. Il parcourait les villages des environs en enseignant.

 

2 Corinthiens 12,7-10

7 Et parce que ces révélations étaient extraordinaires, pour m'éviter tout orgueil, il a été mis une écharde dans ma chair, un ange de Satan chargé de me frapper, pour m'éviter tout orgueil.

 8 À ce sujet, par trois fois, j'ai prié le Seigneur de l'écarter de moi.

 9 Mais il m'a déclaré: «Ma grâce te suffit; ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse.» Aussi mettrai-je mon orgueil bien plutôt dans mes faiblesses, afin que repose sur moi la puissance du Christ.

 10 Donc je me complais dans les faiblesses, les insultes, les contraintes, les persécutions, et les angoisses pour Christ! Car lorsque je suis faible, c'est alors que je suis fort.

 

Ezéchiel 2,2-5

2 Après qu'elle m'eut parlé, un esprit vint en moi; il me fit tenir debout; alors j'entendis celui qui me parlait.

 3 Il me dit: «Fils d'homme, je t'envoie vers les fils d'Israël, vers des gens révoltés, des gens qui se sont révoltés contre moi, eux et leurs pères, jusqu'à aujourd'hui.

 4 Ces fils au visage obstiné et au cœur endurci, je t'envoie vers eux; tu leur diras: ‹Ainsi parle le Seigneur DIEU.›

 5 Alors, qu'ils t'écoutent ou ne t'écoutent pas - car c'est une engeance de rebelles - , ils sauront qu'il y a un prophète au milieu d'eux.

Prédication : 

             Quand le messager ne remporte aucun succès. Quand le message ma rester lettre morte. Quand le peuple se fait loup…  c’est à dire cette étape intermédiaire entre la tendresse maternelle – ou quelque chose comme – et la violence systémique, que ferons-nous, que dirons-nous ?

 

            Avant d’envisager ces situations, essayons d’infiltrer le terrain – les terrains.

Premièrement ; le paysage d’Ézéchiel. Le terrain, là où il va, là où il parle. Et pour qui il parle. C’est, qualitativement tout un peuple auquel il s’adresse. Pour dire quelque chose, mais quelle chose ? Certainement quelque chose mais ça ne semble pas être l’essentiel. Nous sommes là en face d’un quelque massif qu’on appelle une allégorie. Une chose contre une chose. Un mot un mot. Des correspondances n’offrant pas de multiples redéploiements. Prudence.

            Face à face donc le prophète et le peuple – les fils d’Israël mais pour dire quoi ? De grands discours sur les vertus de la loi, des fois qu’il y en ait encore, plus des paraboles bien inspirées. Ce qui est donc espéré, ce qui serait même préféré. Car chacun, chaque fils d’Israël, pourrait faire valoir que c’est trop dur, et qu’il est impossible de comprendre, donc de faire, Et l’on est donc très bien comme ça absout dès le début.

            Mais ça n’est pas tout. Nous n’avons pas encore interrogé ce qui est dit entre le prophète et le peuple ce qui est dit… Dieu dit au prophète de dire au peuple ; il leur dit « Ainsi parle le Seigneur Dieu ». Et c’est tout, pas de grandes tirades, pas de grandes invectives, pas de grandes liturgies. Rien de tout cela. Juste une apostrophe liturgique parfaitement rédigée qui semble être divinement efficace si elle est correctement formulée.

            Et voilà de quoi les adorateur sont équipés. Disons-le une fois encore, pourvu qu’ils daignent s’en servir, Ainsi parle le Seigneur Dieu

 

            Après Ezéchiel et son engeance de rebelles, six siècles environ, nous nous retrouvons avec Paul et ses chers Corinthiens, et encore une fois l’Apôtre qui parle – un apôtre c’est une sorte de Prophète. Dans l’extrait que nous lisons, il n’y a même que lui qui parle. Question de puissance personnelle ? Dans ? ce fragment, la puissance de Paul, c’est ce qui préoccupe Paul, au point qu’il réclame et accueille toutes sortes de punitions, toutes sortes de dangers.

            Paul parlant de Paul, c’est l’évangile parlant à l’évangile, bien sûr, mais c’est aussi la violence religieuse parlant à la violence religieuse, et c’est enfin la douceur évangélique s’adressant à la douceur évangélique. Et dans nos lectures du jour, qui flirtent toutes avec la violence c’est Paul qui semble plus directement que les autre capable de se tourner vers les racines – retour nécessaire – du mal – pour pouvoir conjurer ce qui doit l’être afin de pouvoir accueillir le très minimaliste « Lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort ».  

 

            Mais ça n’est pas tout. Le prophète Ézéchiel, l’Apôtre Paul, et leurs liens avec l’Évangile. Et Jésus Christ, alors ? Il est si proche du prophète Ézéchiel. Il emprunte pour bonne part son langage, ainsi que ses postures. Il constate comme eux son impuissance, tout en ne faisant pas particulièrement cas de ça, sauf peut être Paul, mais s’agissant de lui, son propre propos, lui aura échappé très tôt (lire par exemple  Galates et 1 et 2 Timothée).

            Jésus, où nous lisons, scandalise-t-il ceux qui sont sa propre famille ? C'est-à-dire : les appréciations que les uns et les autres ont de  Jésus, permettent-elles le dialogue ? Ou est-ce plutôt la castagne ? Ou le oui fraternel à l’ombre des figuiers ? Mais ce oui, peut-il advenir ?

              Avec ce que avons lu, pas seulement Saintes Écritures, avec ce que nous avons entendu de prédications, le meilleur et le beaucoup moins bon, avec ce que les arts nous ont livré,, et plus encore, je partage une certitude. Que cela passe tout ou partie par les Saintes Écritures. Oui, Le oui peut advenir. Les temps des verbes utilisé dans les textes de je jour nous permettent de voyage dans ce domaine un peu merveilleux, là où les pèlerins se rencontrent.

Amen