samedi 28 novembre 2020

Il est impératif de veiller (Marc 13:33-37) Premier dimanche de l'Avent

 Marc 13

33 « Prenez garde, restez éveillés, car vous ne savez pas quand ce sera le moment. 34 C'est comme un homme qui part en voyage: il a laissé sa maison, confié à ses serviteurs l'autorité, à chacun sa tâche, et il a donné au portier l'ordre de veiller. 35 Veillez donc, car vous ne savez pas quand le maître de la maison va venir, le soir ou au milieu de la nuit, au chant du coq ou le matin, 36 de peur qu'il n'arrive à l'improviste et ne vous trouve en train de dormir.

37 Ce que je vous dis, je le dis à tous : veillez. »

Prédication :

            Et voici un impératif que nous avons déjà rencontré il y a peu. L’impératif de veiller. Nous lisions l’évangile de Matthieu, voici celui de Marc, avec les mêmes signes avant-coureurs de la même fin. Les évangélistes ne sont pas les seuls auteurs à avoir écrit sur les signes de la fin. Nous avons ce genre de texte aussi dans l’Ancien Testament (Ésaïe, Ézéchiel, Daniel…) et dans quantité d’écrits qui ne sont pas recueillis dans la Bible. Il y en a tant d’ailleurs, et à tellement d’époques différentes, qu’il est possible de dire que la production de ce genre de texte n’a jamais cessé. Ces récits ont été continûment inspirés les uns par les autres depuis que le monde est monde et qu’il a inventé l’écriture, chaque auteur ne faisant que rajouter aux textes de ses prédécesseurs ce que les progrès de la technique permettaient d’imaginer en fait de moyens de s’autodétruire… La fin de ces récits, finalement assez convenue, est toujours à peu près la même, celle d’une grande reconstruction. Et ces récits, depuis toujours, enthousiasment les uns pendant qu’ils assomment d’ennui les autres, et il ne semble pas qu’il y ait de moyen terme.

            Pourquoi ? Peut-être ces textes sont-ils une sorte d’écriture de l’espérance des impuissants... Mais il se passe aussi que toute pensée qui se plonge dans la religion reçoit une poussée du bas vers le haut, et du présent vers le futur, lui faisant imaginer un savoir de l’au-delà de tout ce qui est observable et une connaissance de la fin de toutes choses. En plus, s’exprimer avec autorité sur ces matières est une tentation à laquelle il semble extrêmement difficile de résister. Au point qu’il faut se demander pourquoi il n’y a pas une quatrième tentation évangélique qui porte là-dessus, tentation en face de laquelle, justement, serait dressé l’impératif de veiller ; cet impératif spécifique renouvellerait d’ailleurs notre interprétation de l’épisode de Gethsémanée : « Veillez et priez afin de ne pas tomber au pouvoir de la tentation » (Mar 14:38) – rendez-vous pris pour la prochaine Semaine Sainte.

            Peut-être est-ce en résistant à cette quatrième tentation que l’auteur de l’évangile de Marc, le premier, a innové, en ne considérant pas que les récits de la fin parlent de la fin, mais en considérant plutôt qu’ils parlent d’un commencement, commencement d’un engagement stupéfiant, engagement de Jésus Christ qui va se dessaisir totalement de lui-même, jusqu’à la mort sur la croix, et engagement ultime de Dieu qui va se dessaisir totalement de lui-même en ramenant Jésus Christ de la mort à la vie. Figure de cet engagement, l’incarnation, et moment essentiel de cette incarnation, Noël.  Aujourd’hui, c’est le premier dimanche de l’Avent, et au bout de cette période de l’Avent, ça sera Noël.

             Aujourd’hui, l’impératif que nous recevons, c’est de veiller, « de peur qu’il n’arrive à l’improviste et ne vous trouve en train de dormir. » Le sommeil est indispensable à la vie humaine, et nous n’allons pas passer du temps à imaginer un ministère de veilleur de nuit ni l’organisation de quarts comme on le fait sur les navires.

            Le contraire de veiller c’est dormir, c’est entendu. Mais ça n’est pas seulement de la veille et du sommeil somatiques que Jésus parle ici. La petite histoire qu’il sert à ses auditeurs, trop simple pour être une parabole, vient à la suite du récit convenu des signes de la fin, récit enrichi de quelques phrases qui placent l’ignorance en face du savoir, tout comme Jésus place la veille en face du sommeil.

Il existe pour la vie, disons d’abord pour la vie spirituelle, une sorte de sommeil qui est un sommeil toxique. Pour tâcher d’expliquer ce qu’est ce sommeil, nous pouvons nous souvenir d’une querelle entre deux prophètes et sur la durée de l’exil. Une partie de l’élite de Jérusalem avait été exilée en Babylonie (~ 590 av. J.C.). Combien de temps cet exil allait-il durer ? Le prophète Hananyah annonça une durée de deux ans, le prophète Jérémie annonça une durée de 70 ans, assortissant cette durée d’un encouragement à continuer à vivre, bâtir des maisons, cultiver des jardins, faire des enfants (Jérémie 27-28). Deux années, à peine plus qu’un battement de cils, c’est peut-être un savoir vérifiable, mais c’est surtout une durée imaginaire, une prédiction qu’on a plaisir à faire, plaisir à entendre, qui ne prépare aucun avenir, qui ne laisse aucun espace d’ouverture pour les surprises de la vie et qui, dans ce sens, est toxique. Alors que 70 années, un coup de massue peut-être lorsqu’on l’entend la première fois, c’est à peu près trois générations et compte tenu de la stabilité des empires c’est une durée réaliste, c’est surtout, dans la bouche de Jérémie, le commandement de continuer à vivre. Et que s’est-il passé 70 ans plus tard ? Le livre d’Esdras s’ouvre sur une réalisation calendaire de la prophétie de Jérémie, et sur la belle histoire d’un retour massif des exilés à Jérusalem… un retour massif qui n’a jamais eu lieu. Plus qu’un retour massif c’est un courant d’échange permanent qui s’est établi entre le judaïsme de Judée et le judaïsme de Babylonie, où à force de veille une espérance millénaire avait pu prendre corps, espérance qui permit au judaïsme de ne pas se perdre lorsque c’est à l’échelle de l’empire romain qu’il dut se disperser. 

Dans l’évangile de Marc, le commandement de veiller vient juste avant que le complot contre Jésus entre dans sa phase active. « La Pâque et la fête des pains sans levain devaient avoir lieu deux jours après. Les grands prêtres et les scribes cherchaient comment arrêter Jésus par ruse pour le tuer. » Le moment tragique de l’incarnation en était à son commencement, dont nous reparlerons bientôt.

Qu’en est-il aujourd’hui, premier dimanche de l’Avent, de cet impératif. Nous pouvons veiller avant l’incarnation. Nous connaissons le déroulement de l’année liturgique. Nous savons que chaque année, au moment où nous célébrons l’avènement de la Seigneurie du Christ sur toutes choses (fête du Christ Roi de l’Univers, dernier dimanche avant l’Avent), c'est-à-dire au moment où nous célébrons la fin de l’histoire, nous sommes tout proches de célébrer la faiblesse du Christ, enfant nouveau-né, sur la paille de la crèche. Cela ressemble à un perpétuel retour des choses… cela y ressemble seulement. C’est beaucoup plus que cela. Le Christ Roi de l’Univers veille sur l’humanité entière, mais sur la paille de la crèche, qui va veiller sur lui ? L’enfance de Jésus Christ n’a pas retenu l’attention de l’évangéliste Marc. Mais Matthieu et Luc en ont parlé : Jésus est un enfant sur lequel des parents ont veillé. Mais lorsque nous parlons de la crèche, nous ne parlons pas seulement de l’enfant, nous parlons aussi de l’incarnation. Nous pouvons veiller avant l’incarnation, mais c’est une autre question qui se pose à nous : qui va veiller sur l’incarnation ? Qui va veiller à ce que le mouvement décisif de Dieu vers l’homme, que les évangélistes ont mis en récits, que les théologiens tâchent de penser, que les liturgies célèbrent, soit et demeure toujours un engagement concret de l’homme vers l’homme, une ouverture, une amitié, une fraternité, une diaconie… ?

« Ce que je vous dis, je le dis à tous : veillez ! » Non pas sur les signes des temps ni sur l’accomplissement littéral de telles et telles prophéties, un peu, peut-être, mais certainement pas d’une manière essentielle. D’une manière essentielle veillez les uns sur les autres. L’impératif est là. Notre réponse positive est attendue.

Que Dieu nous soit en aide. Amen