samedi 5 décembre 2020

Consolation et commencement (Esaïe 40:1-11 ; Marc 1:1-8) Deuxième dimanche de l'Avent

Esaïe 40 

1  Consolez, consolez mon peuple, Dit votre Dieu. 2 Parlez au cœur de Jérusalem, et criez lui Que sa servitude est finie, Que son iniquité est expiée, Qu'elle a reçu de la main de l'Éternel Au double de tous ses péchés.

3 Une voix crie: Préparez au désert le chemin de l'Éternel, Aplanissez dans les lieux arides Une route pour notre Dieu.4 Que toute vallée soit exhaussée, Que toute montagne et toute colline soient abaissées!  Que les coteaux se changent en plaines, Et les défilés étroits en vallons ! 5 Alors la gloire de l'Éternel sera révélée, Et au même instant toute chair la verra; Car la bouche de l'Éternel a parlé.

6 Une voix dit: Crie ! -Et il répond: Que crierai -je? Toute chair est comme l'herbe, Et tout son éclat comme la fleur des champs. 7 L'herbe sèche, la fleur tombe, Quand le vent de l'Éternel souffle dessus. -Certainement le peuple est comme l'herbe: 8 L'herbe sèche, la fleur tombe; Mais la parole de notre Dieu subsiste éternellement. 

9 Monte sur une haute montagne, Sion, pour publier la bonne nouvelle; Élève avec force ta voix, Jérusalem, pour publier la bonne nouvelle; Élève ta voix, ne crains point, Dis aux villes de Juda: Voici votre Dieu ! 10 Voici, le Seigneur, l'Éternel vient avec puissance, Et de son bras il commande; Voici, le salaire est avec lui, Et les rétributions le précèdent. 11 Comme un berger, il paîtra son troupeau, Il prendra les agneaux dans ses bras, Et les portera dans son sein; Il conduira les brebis qui allaitent.

 Marc 1 

1 Commencement de l'Évangile de Jésus Christ Fils de Dieu:

2 Ainsi qu'il est écrit dans le livre du prophète Esaïe, Voici, j'envoie mon messager en avant de toi, pour préparer ton chemin. 3 Une voix crie dans le désert: Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers.

4 Jean le Baptiste parut dans le désert, proclamant un baptême de conversion en vue du pardon des péchés. 5 Tout le pays de Judée et tous les habitants de Jérusalem se rendaient auprès de lui; ils se faisaient baptiser par lui dans le Jourdain en confessant leurs péchés. 6 Jean était vêtu de poil de chameau avec une ceinture de cuir autour des reins; il se nourrissait de sauterelles et de miel sauvage. 7 Il proclamait: «Celui qui est plus fort que moi vient après moi, et je ne suis pas digne, en me courbant, de délier la lanière de ses sandales. 8 Moi, je vous ai baptisés d'eau, mais lui vous baptisera d'Esprit Saint.»

Prédication :

De ces deux extraits que nous venons de lire, nous allons conserver deux mots, un verbe, et un nom. 

Le verbe, c’est consoler, et il est à l’impératif, une forme même très insistante d’impératif hébraïque, qui dit tout à la fois l’urgence et la difficulté de la tâche. Nous pouvons même insister en disant que, s’il y en a, ceux qui répondront à cet impératif n’auront pas trop de tout leur temps, et n’auront pas non plus trop de tout ce qu’ils savent. Aggravons encore un peu le propos rajoutant qu’ils s’attellent à une tâche d’une durée infinie, et pour laquelle ils ne sont pas vraiment équipés. La langue grecque ajoute quelque chose encore au verbe consoler : qui veut consoler son prochain doit répondre à un certain appel, et doit se tenir tout proche de son prochain.

Il est bien connu qu’un train qui arrive à l’heure ne mérite pas les honneurs de l’information. Si le train déraille, c’est autre chose. S’il y a des victimes, c’est encore autre chose. Nous sommes extrêmement bien informés sur toutes sortes de catastrophes. Nous sommes aussi bien informés sur le devenir des victimes de catastrophes, sur ce qu’elles attendent des procès, sur leur indemnisations… mais le verbe consoler ne fait pas partie du vocabulaire journalistique. Ce doit être parce que ça évoque le couple mère-enfant, ou parce que ça évoque la religion… Mais ce doit être aussi parce que, toujours, le verbe consoler ne concerne en réalité que des inconsolables. La tâche est sans fin, et les consolateurs rares, ce qui fait que, dès le début du texte d’Ésaïe, l’impératif divin consolez est accompagné par un verbe dire qui est en même temps passé, présent et futur : consolez, consolez mon peuple, a dit votre Dieu, il l’a dit déjà et le dira encore !

Consolez mon peuple. Qu’est-il arrivé à ce peuple ? Nous pouvons imaginer Israël avant la déportation comme un pays de féodalité. Une royauté centralisée, des seigneurs et princes propriétaires terriens, une noblesse religieuse, et une masse de serfs et d’esclaves… L’empire babylonien, avec son intelligence propre, n’avait déporté que l’élite, et laissé sur place ceux qui travaillaient la terre. Le peuple dont parle Ésaïe est cette élite déportée, qui a perdu ses terres, ses esclaves, ses privilèges et ses jeunes enfants, sa capitale et son Temple, toutes sortes de choses irremplaçables, et ce peuple ne savait pas combien de temps durerait son exil, ni même si cet exil aurait une fin…

Consolez mon peuple, ordonne l’Éternel. Quelle consolation possible ? Les premiers versets d’Ésaïe affirment que la rétribution est finie. Ce que nous pouvons entendre de deux manières, (1) les fautes auxquelles sont attachées les horreurs de l’exil sont expiées et (2), plus important encore, l’idée même d’une correspondance entre fautes et expiation est finie.

Une parole qui se contenterait d’affirmer que Dieu remet les compteurs à zéro ne pourrait apporter aucune consolation, tout juste un soulagement, jusqu’à ce qu’un événement particulier ne vienne rappeler que le grand chef comptable divin a repris ses activités… et ça serait un recommencement, une répétition.

Cela peut donc être une consolation que d’affirmer que tout ce malheur qui est arrivé à Israël n’avait au fond rien à voir avec toutes sortes de péchés, mais n’était que ce qui arrive à un fétu de paille balayé par tumultueux torrent de l’histoire. Affirmer cependant qu’il n’y a plus de rétribution, ça ne peut pas être tout ; si du paysage de la foi l’on dégage les mérites et les punitions, que reste-t-il ?

Dans le prophète Ésaïe, là où nous lisons aujourd’hui, nous osons dire que, de la rétribution, en bien comme en mal, il ne reste rien. Ce qui permet de repérer, par deux fois, autre chose. Au premier verset, le verbe dire n’est pas simplement au présent. Dieu parle, c’est entendu, mais nous pouvons entendre d’avantage que le présent ; c'est-à-dire qu’il a parlé, qu’il parle et qu’il parlera, c'est-à-dire aussi qu’il a agi, qu’il agit et qu’il agira. Et donc que rien de ce qui est arrivé, qui arrive ou arrivera ne correspondra à une récompense ou à une punition divine, ce qui signifie que rien ne sera étranger à Dieu, tout court. Le bien qui nous arrive et le mal qui nous arrive, ne correspondent ni à une punition ni à une récompense, et ne sont pas du tout étrangers à Dieu.

Mais cette idée est extrêmement dérangeante. Elle laisse la foi en Dieu extrêmement démunie, aussi seule que la foi seule. Au point que, peut-être, à cet instant, celui qui veut encore croire en Dieu se dit que, finalement, rétributions négative et positive, c’était plus simple. C’était effectivement plus simple, un peu comme être esclaves en Égypte était plus simple qu’être libre dans le désert… Allons-nous faire machine arrière ? Allons-nous nous contenter d’une répétition, de recommencer ? 

Il y a quelques minutes, nous annoncions une méditation en deux temps, sur le verbe consoler d’abord puis le mot commencement. Comme il est écrit « commencement de l’Évangile de Jésus Christ Fils de Dieu », et ce premier verset de l’évangile de Marc peut être compris comme le signal comme quoi le verset suivant, et les versets suivants jusqu’à la fin du 16ème chapitre sont l’Évangile de Jésus Christ Fils de Dieu. Mais il possible aussi de considérer que le premier verset de Marc est en fait le titre de tout l’ouvrage. A partir de Marc 1:2 et jusqu’à Marc 16:8, ça n’est que le commencement.

Dans les quelques versets de Marc que nous commentons, si étroitement liés au 40ème chapitre du prophète Ésaïe, nous pouvons trouver tout ce que nous avons dit déjà de la consolation ; et nous pouvons trouver aussi, dans les deux textes, le commandement de défricher, d’aplanir, et de rendre simple et droits, le chemin du Seigneur. Qu’est-ce à dire ? Peut-être est-ce à dire qu’un commencement n’est pas un recommencement, et que, pour éviter justement qu’un commencement ne soit un recommencement il faut défricher, aplanir… faire du ménage, éliminer les ronces du mérite, les lianes de la rétribution, aplanir les sommets de la spiritualité et combler les abîmes du soi-disant silence de Dieu. Ce que fait Jésus, ce qu’il enseigne à faire, tout le temps que dure le récit de Marc, et tant que dure et durera la lecture du récit de Marc.

Et après ? Lorsque nous arrivons au matin de Pâques, dans l’évangile de Marc, les femmes vont au tombeau, le trouvent vide, rencontrent des anges qui les envoient vers les disciples. Mais elles s’enfuient, sous l’effet de la peur, n’ayant rien dit à personne. Comment sait-on qu’il y a une suite, si les seuls témoins que le texte mentionne se taisent à jamais ? D’autres mains que celle de Marc, prolongeant celle de Marc, ont répondu à cette question en rajoutant des récits d’apparitions du  ressuscité, et des récits d’envoi en mission des Apôtres. Et ainsi le commencement est accompli.

Mais lorsque les femmes quittent la scène du tombeau en emportant, et en ensevelissant, avec elles l’annonce de la résurrection, le commencement reste un commencement ouvert. Et c’est au lecteur qui n’a pourtant que le commencement de l’Évangile, qu’il appartient de continuer l’Évangile, en paroles de liberté et en actes marqués par la grâce. Nous empruntons pour finir quelques mots à La règle de Reuilly « Il nous faut non seulement, aimer l’Évangile, contempler l’Évangile, apprendre l’Évangile, vivre l’Évangile, souffrir l’Évangile, mais encore, avec notre chair et notre sang, continuer l’Évangile. » 

Amen