dimanche 28 juin 2020

Méditations sur l'accueil (2Rois 4,8-16 ; Romains 6,1-11 ; Matthieu 10,34-42)

Matthieu 10

34 «N'allez pas croire que je sois venu apporter la paix sur la terre; je ne suis pas venu apporter la paix, mais bien le glaive.

35 Oui, je suis venu séparer l'homme de son père, la fille de sa mère, la belle-fille de sa belle-mère:

36 on aura pour ennemis les gens de sa maison.

37 «Qui aime son père ou sa mère plus que moi n'est pas digne de moi; qui aime son fils ou sa fille plus que moi n'est pas digne de moi.

38 Qui ne se charge pas de sa croix et vient derrière moi n'est pas digne de moi.

39 Qui aura assuré sa vie la perdra et qui perdra sa vie à cause de moi l'assurera.

40 «Qui vous accueille m'accueille moi-même, et qui m'accueille, accueille celui qui m'a envoyé.

41 Qui accueille un prophète en sa qualité de prophète recevra une récompense de prophète, et qui accueille un juste en sa qualité de juste recevra une récompense de juste.

42 Quiconque donnera à boire, ne serait-ce qu'un verre d'eau fraîche, à l'un de ces petits en sa qualité de disciple, en vérité, je vous le déclare, il ne perdra pas sa récompense.»

 Romains 6

1 Qu'est-ce à dire? Nous faut-il demeurer dans le péché afin que la grâce abonde?

2 Certes non! Puisque nous sommes morts au péché, comment vivre encore dans le péché?

3 Ou bien ignorez-vous que nous tous, baptisés en Jésus Christ, c'est en sa mort que nous avons été baptisés?

4 Par le baptême, en sa mort, nous avons donc été ensevelis avec lui, afin que, comme Christ est ressuscité des morts par la gloire du Père, nous menions nous aussi une vie nouvelle.

5 Car si nous avons été totalement unis, assimilés à sa mort, nous le serons aussi à sa résurrection.

6 Comprenons bien ceci: notre vieil homme a été crucifié avec lui pour que soit détruit ce corps de péché et qu'ainsi nous ne soyons plus esclaves du péché.

7 Car celui qui est mort est libéré du péché.

8 Mais si nous sommes morts avec Christ, nous croyons que nous vivrons aussi avec lui.

9 Nous le savons en effet: ressuscité des morts, Christ ne meurt plus; la mort sur lui n'a plus d'empire.

10 Car en mourant, c'est au péché qu'il est mort une fois pour toutes; vivant, c'est pour Dieu qu'il vit.

11 De même vous aussi: considérez que vous êtes morts au péché et vivants pour Dieu en Jésus Christ.

2 Rois 4,8-16

8 Il advint un jour qu'Elisée passa à Shounem. Il y avait là une femme de condition, qui le pressa de prendre un repas chez elle. Depuis lors, chaque fois qu'il passait, il s'y rendait pour prendre un repas.

9 La femme dit à son mari: «Je sais que cet homme qui vient toujours chez nous est un saint homme de Dieu.

10 Construisons donc sur la terrasse une petite chambre; nous y mettrons pour lui un lit, une table, un siège et une lampe; quand il viendra chez nous, il pourra s'y retirer.»

11 Un jour, Elisée vint chez eux; il se retira dans la chambre haute et y coucha.

12 Il dit à son serviteur Guéhazi: «Appelle cette Shounamite!» Il l'appela et elle se tint devant le serviteur.

13 Elisée dit à son serviteur: «Dis-lui: Tu nous as témoigné toutes ces marques de respect. Que faire pour toi? Faut-il parler en ta faveur au roi ou au chef de l'armée?» Elle répondit: «Je vis tranquille au milieu des miens.»

14 Il dit: «Mais que faire pour elle?» Guéhazi répondit: «Hélas! Elle n'a pas de fils, et son mari est âgé.»

15 Il dit: «Appelle-la!» Il l'appela et elle se tint à l'entrée.

16 Il dit: «À la même époque, l'an prochain, tu serreras un fils dans tes bras.» Elle dit: «Non, mon seigneur, homme de Dieu, ne dis pas de mensonge à ta servante.»

Prédication : 

               Nous avons lus trois textes extraordinairement différents. Le second livre des Rois reprend des traditions qui peuvent dater de 8 siècles avant Jésus Christ. L’épître de Paul aux Romains, du début des années 50 après Jésus Christ. Matthieu pourrait être des années 80. Ces trois textes sont aussi différents par les publics qu’ils visent. Et ils le sont encore par l’ambiance qu’ils dégagent. L’histoire du prophète Elisée irradie une ambiance toute de fraternelle simplicité. Le morceau d’évangile de Matthieu est plutôt tranchant. Quant à l’apôtre Paul, au mieux de sa forme et de son tourment, il expose de toutes les manières possibles ce que j’appellerai sa grâce inquiète. Qu’y a-t-il de commun entre ces textes ? Qu’y a-t-il de commun entre ces personnages ?

            Bien des pistes sont possibles. Je vais vous proposer une sorte de chemin, du plus mordant au plus doux, du plus hostile au plus sympathique, du plus rétributif au plus gratuit. (Peut-être – nous verrons un peu plus tard – s’agit-il de tracer un chemin vers la simplicité, vers la gratuité).

            Mais avant d’entamer la méditation de ces trois textes, je voudrais que nous partagions encore quelques mots sur une courte période de l’histoire du royaume de Juda. Encore quelques mots, parce que nous avons parlé de cette période dimanche dernier, déjà, mais aussi dans la lettre pastorale de cette semaine. Cette période est assez bien décrite au second livre des Rois, chapitres 22 et 23. Et lorsqu’on a saisi de quoi il s’agit, on en retrouve des traces dans de nombreux livres de l’Ancien Testament. Pour le dire en peu de mots : si vous êtes fidèles à Dieu, rien de fâcheux ne vous arrivera jamais, mais si vous ne l’êtes pas, alors se lèvera la colère de Dieu, et le pire ne tardera pas à advenir. Cette pensée théologique simple n’est qu’une partie d’un tout. Il faut lui adjoindre d’autres idées : (1) il n’y a qu’un Dieu, et (2) il n’y a qu’un lieu pour rendre un culte à Dieu, le temple de Jérusalem. Une grande réforme eut lieu au temps du roi Josias, réforme qui connut différentes phases, toutes radicales. Certaines de ces phases furent extrêmes et d’une sanglante brutalité. Vous pouvez parfaitement imaginer des groupes de prêtres et d’adorateurs de Dieu (Jérusalem) passant au fil de l’épée des groupes de prêtres et d’adorateurs de Dieu (autre lieu). Tous adorateurs de Dieu ? Hum…

             Du livre des Rois passons sans tarder à l’évangile de Matthieu. Osons-nous lire ce que nous avons lu ? Ne sommes-nous pas dans une rhétorique de violence et d’exclusion ? Jésus n’y est assurément pas rose (dans les écrits de Sainte Thérèse de Lisieux, Jésus est petit et rose). Il est question de glaive, de rupture, de déchirement, dans les populations, entre générations, entre fratries, entre maîtres et esclaves, à cause de Jésus. Il est question d’un exclusivisme radical. Et il est question, avec toutes ces ruptures, de se rendre digne de Jésus. Et c’est lui, Jésus, lui-même, qui profère tout cela.

            A-t-il, aurait-il, lui, Jésus, été si violent dans sa manière de dire ? En nous souvenant tout à l’heure que le texte de Matthieu pourrait dater des années 80 après Jésus Christ, nous avons distillé le oui, et le non. Pourquoi Jésus n’aurait-il pas été, devant tel ou tel auditoire, dans telles ou telles circonstances, violent dans ses propos ? Mais il y a plus à dire. Dans des milieux aussi fortement marqués par l’appartenance religieuse, toute conversion d’une personne à une autre secte, à une autre dénomination, devait être vécue comme un drame. Alors, l’emportement de Jésus, sa radicalité, dans le 10ème chapitre de Matthieu, serait la trace de conflits dramatiques entre frères, entre proches, adorateurs probables du même Dieu, mais tous ne suivant pas le même maître. Tous adorateurs du même Dieu ? Hum…

            Nous en serions réduits à méditer sur la violence, sur la permanence de la violence en matière de religion s’il n’apparaissait, dans les quelques versets de Matthieu que nous méditons, comme un changement de ton. Nous voyons qu’en peu de mots le discours d’exclusion laisse place à un discours d’accueil, que le discours de rupture laisse place à des formes de sociabilité simples. On accueille un inconnu, disciple, prophète, Jésus, ou Dieu lui-même, on lui offre un verre d’eau et l’hospitalité, sans arrières pensées et aussi sans façons. Comment donc cette transition s’est-elle faite ? En une phrase, une seule : « Qui ne se charge pas de sa croix et vient après moi n’est pas digne de moi. » Cette phrase fait hésiter bien des traducteurs, signe d’un enjeu important… Pour tâcher de comprendre cet enjeu, posons-nous une question : « Qui doit porter le poids de mes engagements religieux, de mes engagements envers le Christ ? » La réponse biblique vient ici de la bouche de Jésus : il s’agit que celui qui croit se charge lui-même de sa propre croix. Ce qui signifie qu’il ne doit pas en charger un autre. « Qui ne se charge pas de sa propre croix et vient derrière moi n’est pas digne de moi. » Et quelle est sa propre croix ? Et bien, elle est une croix de continuité, et non pas une croix de rupture, c’est une croix de serviteur, et non pas de maître. Cette croix, c’est celle que le Christ a portée, non pas seulement celle sur laquelle on l’a cloué, mais aussi celle qu’il a portée, lui, seul, librement, et totalement, sa vie durant.

C’est cette croix dont parle Paul, lorsqu’il affirme que « notre vieil homme a été crucifié avec lui pour que soit détruit ce corps de péché et qu’ainsi nous ne soyons plus esclaves du péché » (Romains 6,6). C’est cette croix que Paul, à son tour, a portée. Et, avec son style à lui, il parvient à inquiéter les certitudes de tous ceux qui, en raison de la foi qu’ils professent, se croient en mesure de pouvoir se prononcer, de trier, de rompre…

Alors que tout autrement est possible.

             Accueil, dit Jésus. Ce qui nous renvoie à un texte, le troisième que nous avons lu, et dans lequel l’expression de la foi ne tient pas à telle ou telle performance du prophète, ni à telle ou telle pieuse et humaine résolution. L’expression de la foi prend forme dans un très simple accueil.

Il advint un jour qu’Elisée passa à Shounem (quelque par dans la vallée d’Yzréel), et qu’on l’invita pour un repas. Pure et simple invitation confirmée par d’autres invitations… sans aucune idée de contrepartie. Et lorsque le prophète Elisée demande à ces gens ce qu’il pourrait bien faire pour ses hôtes, ses hôtes, portant leur croix, répondent « Je vis ma vie tranquillement avec les miens. » Ils ne veulent rien demander à l’homme de Dieu. Lui offrir le couvert et le gîte leur suffit, comme engagement, et comme rétribution. Et c’est si vrai que c’est du serviteur du prophète qu’on apprendra que les hôtes vivent le drame de n’avoir pas de fils… eux, ils ne disent rien, ils portent leur croix.

Leur croix a deux composantes, celle de la joie, et celle de la tristesse, deux dimensions qui n’en font qu’une si l’on pense, le plus simplement du monde, à l’accueil. Nous savons, lecteurs du 2nd livre des Rois, comment la situation de ces gens évoluera. Mais c’est une autre histoire.

 

Accueillis, le plus simplement du monde, nous le sommes par le Christ et dans le Christ… Accueillants, nous le sommes et nous voulons l’être, avec le Christ.

Que Dieu nous soit en aide. Amen