Lorsqu’enfin le déluge, puis la
décrue, prirent fin, lorsque la terre fut sèche et que les animaux eurent été
libérés, lorsque Noé eut offert moult sacrifices à Dieu, il se fit viticulteur
et, un soir, il abusa de la boisson au point
de tomber nu au milieu de sa tente. L’un de ses trois fils, Cham, vit la
nudité de son père. Lorsque Noé, ayant cuvé son vin, fut mis au courant de ce
qui s’était passé, il maudit son fils Cham (Genèse 8 et 9). Et Cham devint
ainsi et pour toujours esclave de ses frères. Littéralement, Cham devint
l’esclave des esclaves de ses frères.
Ceci pourrait n’être qu’un récit
mythologique s’il n’était pas précisé que Cham est l’ancêtre de tous les
Cananéens et que Sem, fils aîné de Noé, est l’ancêtre de tous les Sémites, et donc
ancêtre des Hébreux, autrement appelés Fils d’Israël. Une certaine hiérarchie,
une certaine inégalité, entre les peuples est donc rapportée et justifiée dans
la Bible. Et elle concerne deux peuples qui habitent sur la même terre…
Nous pourrions, prudemment, poser
que, ne descendant ni de Sem ni de Cham, nous ne sommes guère concernés par
cette affaire. Mais il reste à Noé un troisième fils, Japhet, que les auteurs
de la Genèse ont fait en gros l’ancêtre de tous les autres peuples de la terre.
Ainsi donc, lecteurs de la Bible, descendants de Japhet, nous apprenons que les
descendants de Cham sont nos esclaves. Quel crédit accordons-nous à ce récit, et
quel article de foi pouvons-nous fonder sur lui ? Parfois, l’expression de
la foi peut se résumer au seul mot Amen.
Parfois, l’expression de la foi peut se résumer par le mot Non.
Nous ne savons pas exactement
dans quel monde vivaient les auteurs et les rédacteurs de la Genèse. Posséder
des esclaves y était certainement possible. Et cela était possible aussi dans
le monde où voyagea l’apôtre Paul. Pourtant, de Paul, nous recevons ceci :
« Il n'y a plus ni Juif ni Grec, il n'y a plus ni esclave ni libre, il n'y
a plus ni homme ni femme; car tous vous êtes un en Jésus -Christ »
(Gal 3,28). Paul s’exprime en tant qu’homme d’Église. Il parle pour la
liberté des fidèles au sein de l’Église, une liberté que certains voulaient
restreindre en obligeant chaque fidèle au Christ à une obéissance stricte à la
Loi de Moïse, obéissance comprenant entre autres Genèse 8 et 9, qui aurait fait
des uns les esclaves des autres, au sein même de la communauté. Quel crédit
apportons-nous à l’épître de Paul aux Galates, et quel article de foi
allons-nous fonder sur elle ? Non,
ou Amen ?
Il aura fallu énormément de temps
pour qu’un texte comme celui de Paul sorte des Églises et devienne le motif
d’une réflexion autonome. Les grandes déclarations universelles apparaissent 18
siècles après Paul. Et il est tout à fait clair que leurs conséquences
pratiques n’ont pas encore été mises en œuvre. A cela nous ne pouvons pas
consentir. Notre foi, une fois de plus, dit non.
Et elle salue, souvent sans les connaître, celles et ceux qui, au nom du
Seigneur et des idéaux qui sont les leurs, espèrent et agissent pour un monde
plus généreux, plus fraternel.