mercredi 3 juin 2020

Lettre pastorale du 3 juin 2020. Il faut savoir dire non.



Lorsqu’enfin le déluge, puis la décrue, prirent fin, lorsque la terre fut sèche et que les animaux eurent été libérés, lorsque Noé eut offert moult sacrifices à Dieu, il se fit viticulteur et, un soir, il abusa de la boisson au point  de tomber nu au milieu de sa tente. L’un de ses trois fils, Cham, vit la nudité de son père. Lorsque Noé, ayant cuvé son vin, fut mis au courant de ce qui s’était passé, il maudit son fils Cham (Genèse 8 et 9). Et Cham devint ainsi et pour toujours esclave de ses frères. Littéralement, Cham devint l’esclave des esclaves de ses frères.
Ceci pourrait n’être qu’un récit mythologique s’il n’était pas précisé que Cham est l’ancêtre de tous les Cananéens et que Sem, fils aîné de Noé, est l’ancêtre de tous les Sémites, et donc ancêtre des Hébreux, autrement appelés Fils d’Israël. Une certaine hiérarchie, une certaine inégalité, entre les peuples est donc rapportée et justifiée dans la Bible. Et elle concerne deux peuples qui habitent sur la même terre…
Nous pourrions, prudemment, poser que, ne descendant ni de Sem ni de Cham, nous ne sommes guère concernés par cette affaire. Mais il reste à Noé un troisième fils, Japhet, que les auteurs de la Genèse ont fait en gros l’ancêtre de tous les autres peuples de la terre. Ainsi donc, lecteurs de la Bible, descendants de Japhet, nous apprenons que les descendants de Cham sont nos esclaves. Quel crédit accordons-nous à ce récit, et quel article de foi pouvons-nous fonder sur lui ? Parfois, l’expression de la foi peut se résumer au seul mot Amen. Parfois, l’expression de la foi peut se résumer par le mot Non.   
Nous ne savons pas exactement dans quel monde vivaient les auteurs et les rédacteurs de la Genèse. Posséder des esclaves y était certainement possible. Et cela était possible aussi dans le monde où voyagea l’apôtre Paul. Pourtant, de Paul, nous recevons ceci : « Il n'y a plus ni Juif ni Grec, il n'y a plus ni esclave ni libre, il n'y a plus ni homme ni femme; car tous vous êtes un en Jésus -Christ » (Gal 3,28). Paul s’exprime en tant qu’homme d’Église. Il parle pour la liberté des fidèles au sein de l’Église, une liberté que certains voulaient restreindre en obligeant chaque fidèle au Christ à une obéissance stricte à la Loi de Moïse, obéissance comprenant entre autres Genèse 8 et 9, qui aurait fait des uns les esclaves des autres, au sein même de la communauté. Quel crédit apportons-nous à l’épître de Paul aux Galates, et quel article de foi allons-nous fonder sur elle ? Non, ou Amen ?

Il aura fallu énormément de temps pour qu’un texte comme celui de Paul sorte des Églises et devienne le motif d’une réflexion autonome. Les grandes déclarations universelles apparaissent 18 siècles après Paul. Et il est tout à fait clair que leurs conséquences pratiques n’ont pas encore été mises en œuvre. A cela nous ne pouvons pas consentir. Notre foi, une fois de plus, dit non. Et elle salue, souvent sans les connaître, celles et ceux qui, au nom du Seigneur et des idéaux qui sont les leurs, espèrent et agissent pour un monde plus généreux, plus fraternel.