dimanche 14 juin 2020

Vraie nourriture et vraie boisson (Jean 6,51-58) Un choix radical


Jean 6

51 «Je suis le pain vivant qui descend du ciel. Celui qui mangera de ce pain vivra pour l'éternité. Et le pain que je donnerai, c'est ma chair, donnée pour que le monde ait la vie.»

 52 Sur quoi, les Juifs se mirent à se quereller : «Comment celui-là peut-il nous donner sa chair à manger?»

 53 Jésus leur dit alors: «En vérité, en vérité, je vous le dis, si vous ne mangez pas la chair du Fils de l'homme et si vous ne buvez pas son sang, vous n'aurez pas en vous la vie.

54 Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle, et moi, je le ressusciterai au dernier jour.

55 Car ma chair est vraie nourriture, et mon sang vraie boisson.

56 Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui.

57 Et comme le Père qui est vivant m'a envoyé et que je vis par le Père, ainsi celui qui me mangera vivra par moi.

 58 Tel est le pain qui est descendu du ciel: il est bien différent de celui que vos pères ont mangé; ils sont morts, eux, mais celui qui mangera du pain que voici vivra pour l'éternité.»

Prédication :

            Aussi loin que notre regard peut se poser dans l’histoire des communautés chrétiennes, nous trouvons des récits au cours desquels Jésus, partageant la Pâque  juive avec ses plus proches disciples, prend du pain, prend du vin, et les donne à consommer en les déclarant son corps et son sang. Matthieu, Marc, Luc, et Paul rapportent cela, Luc et Paul ajoutent à ces récits de partage un commandement de Jésus : « Faites ceci en mémoire de moi… ».

La première épître aux Corinthiens est le plus ancien des quatre textes. Nous savons que Paul a séjourné à Corinthe vers 52-53. Nous avons de bonnes raisons de penser que parmi les enseignements qu’il a donnés aux chrétiens de Corinthe, il y a le partage du pain et du vin en mémoire de Jésus – il leur a même donné une liturgie toute entière, reçue par lui, dit-il, du Christ lui-même, qui comporte, comme les évangiles, le ceci est mon corps, et le ceci est mon sang au sujet desquels, deux mille années plus tard, la discussion n’est pas close.

Matthieu, Marc, Luc, et Paul… il manque Jean, l’évangéliste qui ne fait rien comme les autres évangélistes.

Dans la Passion selon Jean, vous le savez, il n’y a pas de récit d’institution de la Sainte Cène. C’est tout autre chose qu’on y trouve : Jésus lave les pieds de ses disciples. Certains commentateurs nous font cependant remarquer que, dans l’évangile de Jean, la Passion commence dès le second chapitre, lorsque Jésus, monté à Jérusalem pour une Pâque, chasse les marchands du Temple (chapitre 2).

Si donc la Passion commence dès le chapitre 2, le chapitre 6 fait aussi partie de la Passion, et il y a bien alors dans l’évangile de Jean quelque chose qui a trait au corps et au sang  du Christ. Et, en effet, Jésus donne là son corps à manger – vraie nourriture – et son sang à boire – vraie boisson. Mais quant à savoir s’il faut partager du pain, du vin, et si ce pain et ce vin deviennent autre chose que ce qu’ils sont, ça n’intéresse absolument pas l’évangile de Jean. En vous référant à l’évangile de Jean, vous pouvez prendre les espèces que vous voulez, ou pas du tout d’espèces, c’est sans importance. Ce qui importe, dans l’évangile de Jean, c’est de méditer sur ce pain vivant, vraie nourriture, et ce sang, vraie boisson et, peut-être, de faire l’expérience de manger l’un, de boire l’autre, c'est-à-dire, en somme, d’en vivre.

1.     Méditation (comment peut-il donner sa chair à manger ?)

« Et le pain que je donnerai, dit Jésus, c’est ma chair… » D’où la question, qui apparait dans le texte : « Comment celui-là peut-il donner sa chair à manger ? » Dans l’auditoire, on en vient à se quereller sur cette question. Nous aimerions bien connaître les attendus de cette querelle, mais l’évangile ne nous les donne pas. Nous devons donc faire avec nos propres moyens. Il donne sa chair à manger ? Mais qu’est-ce que sa chair ? Que pouvons-nous dire de la chair d’un être humain ? Ce corps que nous voyons, qui naît, qui vit et meurt ? Bien sûr, mais tous les êtres humains sont faits de chair. Qu’est-ce qui fait que telle chair est Jésus de Nazareth, et que telle autre chair est, par exemple Judas ? Une histoire de vie, une parole partagée, un engagement, tout cela qui est tant que l’on est vivant et qui subsiste une fois qu’on est mort, telle est la chair. S’agissant de la chair de Jésus de Nazareth, tout ce qui est rapporté par les Évangiles et par le Nouveau Testament en général en fait partie, et il n’est pas trop difficile de comprendre que cela est donné à chaque lecteur. Il est possible de prendre, il est possible de laisser, et il ne se passera rien de mauvais si l’on choisit de laisser plutôt que de prendre, parce que, justement, cela est donné.

Jésus donc donne sa chair, et il la donne à manger. La proposition de Jésus est que ses disciples mangent sa chair, qu’ils incorporent – fassent entrer dans leur propre chair – cette parole, cet enseignement, qu’ils en fassent leur nourriture, et donc leur vie. Ainsi, manger la chair et boire le sang de Jésus, c’est se mettre à son écoute, c’est vivre de lui, et c’est marcher à sa suite

Cela nous semble si clair, que nous ne comprenons pas qu’il y ait eu querelle au sujet de cette déclaration de Jésus… Peut-être sommes-nous familiers, trop familiers de ces textes, trop familiers de ce repas que nous partageons pendant nos cultes. Nous sommes héritiers – pour la plupart d’entre nous – de deux millénaires de Sainte Cène et de Ceci est mon corps... Ceci est mon sang.

Mais nous avons finit par comprendre que participer à la Sainte Cène, c’est confesser sa foi et que confesser sa foi c’est faire un choix de vie.

2.     Expérience (prendre une décision radicale pour une dépendance radicale)

Quel choix de vie ? L’enseignement que nous venons de méditer fut donné par Jésus à Capharnaüm (rive nord de la mer de Galilée), à une foule qui voulait se saisir de lui et le faire roi… roi de quoi ? Roi des guérisons miraculeuses et de la multiplication des pains qu’il venait d’accomplir pour eux. Inacceptable pour Jésus, et il ne se gêne pas pour le leur dire vertement. Retenons que cette foule voulait se saisir de Lui, c'est-à-dire en disposer. Nous avons dit, il y a quelques minutes, que la chair et le sang de Jésus étaient donnés. Pourtant nous voyons aussi Jésus se refuser.

Mais ça n’est pas contradictoire. Car ce que les gens qui forment cette foule veulent saisir, ça n’est ni la chair ni le sang de Jésus, mais une image de Jésus qui serait à leur disposition et qu’ils pourraient exhiber selon leurs besoins d’un moment.

Autrement est-il possible ? Il est important à cet égard de se ressouvenir que si les Hébreux ont reçu la manne dans le désert, cette manne n’a toujours été envoyée que par Dieu, n’a toujours été que donnée. Prendre la manne, dans ces conditions, chaque jour pour juste la journée, c’était bien entendu prendre de la nourriture, mais aussi affirmer sa foi en Dieu.

On objectera que, dans le désert, les Hébreux n’avaient pas le choix, que c’était la manne ou rien, et que la confession de foi obtenue dans de telles conditions ne peut valoir grand-chose. Cette objection est recevable, Jésus la reçoit et il y répond : nul n’est obligé par Jésus de manger sa chair et de boire son sang.

Mais pour celui qui le choisit, c’est une décision radicale. Manger sa chair et boire son sang, c’est choisir de ne vivre que par Lui, comme Lui ne vit que par le Père. C’est faire le choix radical d’une dépendance radicale.

Et qui veut de cette expérience ? Et qui voudra faire ce choix ? Et même si quelqu’un voulait faire ce choix, pourrait-il seulement l’assumer ?

 

Lorsque Jésus, à Capharnaüm, prononça cet enseignement, plusieurs lui firent reproche de la dureté de ses paroles. Et si à ceux-là il restait encore quelques illusions portant sur l’efficacité de tel ou tel rituel, ou sur leurs mérites propres, Jésus  rappela ceci : « Personne ne peut venir à moi si cela ne lui est pas donné par le Père. »

Et qu’advient-il alors ? L’enseignement fini, la foule évidemment se dispersa. Puis on apprend alors que « beaucoup de ses disciples s’en retournèrent et cessèrent de faire route avec lui. » D’un groupe semble-t-il important de disciples galiléens, il n’en resta que 12…

« Et vous, leur demanda Jésus, ne voulez-vous pas partir ? » Simon-Pierre alors répondit, pour les Douze, et pour nous tous : « Seigneur, à qui d’autre irions-nous ? Tu as les paroles de vie éternelle. » Amen