Jean 6
51 «Je suis le pain vivant qui descend du ciel. Celui qui
mangera de ce pain vivra pour l'éternité. Et le pain que je donnerai, c'est ma
chair, donnée pour que le monde ait la vie.»
54 Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie
éternelle, et moi, je le ressusciterai au dernier jour.
55 Car ma chair est vraie nourriture, et mon sang vraie
boisson.
56 Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi
et moi en lui.
57 Et comme le Père qui est vivant m'a envoyé et que je vis
par le Père, ainsi celui qui me mangera vivra par moi.
Aussi loin que notre
regard peut se poser dans l’histoire des communautés chrétiennes, nous trouvons
des récits au cours desquels Jésus, partageant la Pâque juive avec ses plus proches disciples, prend
du pain, prend du vin, et les donne à consommer en les déclarant son corps et
son sang. Matthieu, Marc, Luc, et Paul rapportent cela, Luc et Paul ajoutent à
ces récits de partage un commandement de Jésus : « Faites ceci en
mémoire de moi… ».
La première épître aux Corinthiens est le plus
ancien des quatre textes. Nous savons que Paul a séjourné à Corinthe vers
52-53. Nous avons de bonnes raisons de penser que parmi les enseignements qu’il
a donnés aux chrétiens de Corinthe, il y a le partage du pain et du vin en
mémoire de Jésus – il leur a même donné une liturgie toute entière, reçue par
lui, dit-il, du Christ lui-même, qui comporte, comme les évangiles, le ceci est mon corps, et le ceci est mon sang au sujet desquels,
deux mille années plus tard, la discussion n’est pas close.
Matthieu, Marc, Luc, et Paul… il manque Jean,
l’évangéliste qui ne fait rien comme les autres évangélistes.
Dans la Passion selon Jean, vous le savez, il n’y a pas de récit d’institution de la Sainte Cène. C’est tout autre chose qu’on y trouve : Jésus lave les pieds de ses disciples. Certains commentateurs nous font cependant remarquer que, dans l’évangile de Jean, la Passion commence dès le second chapitre, lorsque Jésus, monté à Jérusalem pour une Pâque, chasse les marchands du Temple (chapitre 2).
Si donc la Passion commence dès le chapitre 2, le
chapitre 6 fait aussi partie de la Passion, et il y a bien alors dans
l’évangile de Jean quelque chose qui a trait au corps et au sang du Christ. Et, en effet, Jésus donne là son
corps à manger – vraie nourriture – et son sang à boire – vraie boisson. Mais quant
à savoir s’il faut partager du pain, du vin, et si ce pain et ce vin deviennent
autre chose que ce qu’ils sont, ça n’intéresse absolument pas l’évangile de
Jean. En vous référant à l’évangile de Jean, vous pouvez prendre les espèces
que vous voulez, ou pas du tout d’espèces, c’est sans importance. Ce qui
importe, dans l’évangile de Jean, c’est de méditer sur ce pain vivant, vraie
nourriture, et ce sang, vraie boisson et, peut-être, de faire l’expérience de manger
l’un, de boire l’autre, c'est-à-dire, en somme, d’en vivre.
1.
Méditation (comment peut-il donner sa chair à
manger ?)
« Et le pain que je donnerai, dit Jésus,
c’est ma chair… » D’où la question, qui apparait dans le texte :
« Comment celui-là peut-il donner sa chair à manger ? » Dans
l’auditoire, on en vient à se quereller sur cette question. Nous aimerions bien
connaître les attendus de cette querelle, mais l’évangile ne nous les donne
pas. Nous devons donc faire avec nos propres moyens. Il donne sa chair à
manger ? Mais qu’est-ce que sa chair ? Que pouvons-nous dire de la
chair d’un être humain ? Ce corps que nous voyons, qui naît, qui vit et
meurt ? Bien sûr, mais tous les êtres humains sont faits de chair.
Qu’est-ce qui fait que telle chair est Jésus de Nazareth, et que telle autre
chair est, par exemple Judas ? Une histoire de vie, une parole partagée,
un engagement, tout cela qui est tant que l’on est vivant et qui subsiste une
fois qu’on est mort, telle est la chair. S’agissant de la chair de Jésus de
Nazareth, tout ce qui est rapporté par les Évangiles et par le Nouveau
Testament en général en fait partie, et il n’est pas trop difficile de
comprendre que cela est donné à chaque lecteur. Il est possible de prendre, il
est possible de laisser, et il ne se passera rien de mauvais si l’on choisit de
laisser plutôt que de prendre, parce que, justement, cela est donné.
Jésus donc donne sa chair, et il la donne à
manger. La proposition de Jésus est que ses disciples mangent sa chair, qu’ils
incorporent – fassent entrer dans leur propre chair – cette parole, cet
enseignement, qu’ils en fassent leur nourriture, et donc leur vie. Ainsi, manger
la chair et boire le sang de Jésus, c’est se mettre à son écoute, c’est vivre
de lui, et c’est marcher à sa suite
Cela nous semble si clair, que nous ne comprenons
pas qu’il y ait eu querelle au sujet de cette déclaration de Jésus… Peut-être
sommes-nous familiers, trop familiers de ces textes, trop familiers de ce repas
que nous partageons pendant nos cultes. Nous sommes héritiers – pour la plupart
d’entre nous – de deux millénaires de Sainte Cène et de Ceci est mon corps... Ceci
est mon sang.
Mais nous avons finit par comprendre que
participer à la Sainte Cène, c’est confesser sa foi et que confesser sa foi
c’est faire un choix de vie.
2.
Expérience (prendre une décision radicale pour une
dépendance radicale)
Quel choix de vie ? L’enseignement que nous
venons de méditer fut donné par Jésus à Capharnaüm (rive nord de la mer de
Galilée), à une foule qui voulait se saisir de lui et le faire roi… roi de
quoi ? Roi des guérisons miraculeuses et de la multiplication des pains
qu’il venait d’accomplir pour eux. Inacceptable pour Jésus, et il ne se gêne
pas pour le leur dire vertement. Retenons que cette foule voulait se saisir de
Lui, c'est-à-dire en disposer. Nous avons dit, il y a quelques minutes, que la
chair et le sang de Jésus étaient donnés. Pourtant nous voyons aussi Jésus se
refuser.
Mais ça n’est pas contradictoire. Car ce que les
gens qui forment cette foule veulent saisir, ça n’est ni la chair ni le sang de
Jésus, mais une image de Jésus qui serait à leur disposition et qu’ils
pourraient exhiber selon leurs besoins d’un moment.
Autrement est-il possible ? Il est important
à cet égard de se ressouvenir que si les Hébreux ont reçu la manne dans le
désert, cette manne n’a toujours été envoyée que par Dieu, n’a toujours été que
donnée. Prendre la manne, dans ces conditions, chaque jour pour juste la
journée, c’était bien entendu prendre de la nourriture, mais aussi affirmer sa
foi en Dieu.
On objectera que, dans le désert, les Hébreux
n’avaient pas le choix, que c’était la manne ou rien, et que la confession de
foi obtenue dans de telles conditions ne peut valoir grand-chose. Cette
objection est recevable, Jésus la reçoit et il y répond : nul n’est obligé
par Jésus de manger sa chair et de boire son sang.
Mais pour celui qui le choisit, c’est une décision
radicale. Manger sa chair et boire son sang, c’est choisir de ne vivre que par
Lui, comme Lui ne vit que par le Père. C’est faire le choix radical d’une
dépendance radicale.
Et qui veut de cette expérience ? Et qui voudra
faire ce choix ? Et même si quelqu’un voulait faire ce choix, pourrait-il seulement
l’assumer ?
Lorsque Jésus, à Capharnaüm, prononça cet
enseignement, plusieurs lui firent reproche de la dureté de ses paroles. Et si
à ceux-là il restait encore quelques illusions portant sur l’efficacité de tel
ou tel rituel, ou sur leurs mérites propres, Jésus rappela ceci : « Personne ne peut
venir à moi si cela ne lui est pas donné par le Père. »
Et qu’advient-il alors ? L’enseignement fini,
la foule évidemment se dispersa. Puis on apprend alors que « beaucoup de ses
disciples s’en retournèrent et cessèrent de faire route avec lui. » D’un
groupe semble-t-il important de disciples galiléens, il n’en resta que 12…
« Et vous, leur demanda Jésus, ne voulez-vous
pas partir ? » Simon-Pierre alors répondit, pour les Douze, et pour
nous tous : « Seigneur, à qui d’autre irions-nous ? Tu as les
paroles de vie éternelle. » Amen