Cela fait déjà assez longtemps que nous ne nous sommes pas rassemblés en
peuple – c'est-à-dire physiquement, tous ensemble, pour partager la Parole et
le Repas.
Peut-être ressentons-nous comme une absence. La proximité de nos sœurs et
de nos frères, le rassemblement du dimanche, seraient-ils une nécessité pour
que vive la foi ?
Mais cette absence n’est-elle pas l’occasion d’approfondir notre relation
personnelle avec Dieu ?
La foi a, de ce point de vue, deux dimensions au moins : une dimension
personnelle et intime, et une dimension collective et communautaire.
Ces deux dimensions sont-elles séparables ? Existent-elles l’une sans
l’autre ? Doivent-elles exister uniquement l’une pour l’autre ?
Nous sommes invités ce dimanche à lire quelques versets du 10ème
chapitre de l’évangile de Jean.
Jean 10
1 «En vérité, en vérité,
je vous le dis, celui qui n'entre pas par la porte dans l'enclos des brebis
mais qui escalade par un autre côté, celui-là est un voleur et un brigand.
2 Mais celui qui entre par la porte est le berger
des brebis.
3 Celui qui garde la porte lui ouvre, et les brebis
écoutent sa voix; les brebis qui lui appartiennent, il les appelle, chacune par
son nom, et ils les emmène dehors.
4 Lorsqu'il les a toutes fait sortir, il marche à
leur tête, et elles le suivent parce qu'elles connaissent sa voix.
5 Jamais elles ne suivront un étranger; bien plus,
elles le fuiront parce qu'elles ne connaissent pas la voix des étrangers.»
6 Jésus leur dit cette parabole, mais ils ne
comprirent pas la portée de ce qu'il disait.
7 Jésus reprit: «En vérité, en vérité, je vous le
dis, je suis la porte des brebis.
8 Tous ceux qui sont venus avant moi sont des
voleurs et des brigands, mais les brebis ne les ont pas écoutés.
9 Je suis la porte: si quelqu'un entre par moi, il
sera sauvé, il ira et viendra et trouvera de quoi se nourrir.
10 Le voleur ne se présente que pour voler, pour
tuer et pour perdre; moi, je suis venu pour que les hommes aient la vie et
qu'ils l'aient en abondance.
Prédication
Avant de commenter ces quelques versets, je voudrais en
appeler à vos souvenirs de lecture.
Juste avant le chapitre 10 de l’évangile de Jean, il y a le chapitre 9. Et
dans ce chapitre 9, il s’agit d’abord d’une guérison, celle d’un aveugle de
naissance. « Qui a péché pour qu’il soit né aveugle, lui, ou ses
parents ? » Cette question est posée à Jésus par ses disciples. Mais
Jésus ne s’intéresse pas à ce genre de spéculation. Il préfère guérir cet
aveugle.
Polémique s’ensuit avec des autorités religieuses, désignées sous le nom de
Pharisiens. Voici les derniers versets de ce chapitre 9 : « 39
Jésus dit alors: «C'est pour un jugement que je suis venu dans le monde, pour
que ceux qui ne voyaient pas voient, et que ceux qui voyaient deviennent
aveugles.» 40 Les Pharisiens qui étaient avec lui entendirent ces
paroles et lui dirent: «Est-ce que, par hasard, nous serions des aveugles, nous
aussi?» 41 Jésus leur
répondit: «Si vous étiez des aveugles, vous n'auriez pas de péché. Mais à
présent vous dites ‹nous voyons›: votre péché demeure. »
Polémique sur la cécité, celle des yeux, ou celle de
l’intelligence ? Polémique sur la manière de faire le bien ?
Polémique sur les prétentions de certains ? Pourquoi cette polémique ? Parce que la
guérison avait eu lieu un jour de sabbat ? Parce que Jésus et ses
détracteurs n’étaient pas de la même école ? Parce que Dieu exauçait Jésus
bien que Jésus ne respectât pas le sabbat ? Oui… bien sûr, tout cela. Mais
il y a plus, et plus grave. Le chapitre 10 de l’évangile de Jean continue
clairement le chapitre 9. Nous allons essayer de comprendre ce plus grave : histoire d’aveugles et
de brebis, de guides d’aveugles et de bergers, de croyants et de leurs
pasteurs...
Commençons par une question toute simple :
l’aveugle, livré à lui-même, où va-t-il, peut-il choisir son chemin ? Cet
aveugle ne va nulle part, il prend un chemin sans le choisir, il est livré à la
fantaisie de ceux qui acceptent de le guider.
L’aveugle est une sorte de paroissien idéal. Quelle initiative pourrait-il
avoir ? Et la brebis, toute seule, où va-t-elle ? Elle ne va nulle
part. Elle bêle après son troupeau. Et quand elle le retrouve enfin…
La brebis est un animal qui vit en troupeau, le troupeau avance en cohorte,
ou en file indienne. Un animal suit un autre animal, l’animal ne voit du
paysage ambiant que l’arrière-train de l’animal qui le précède. La brebis suit,
pour le meilleur et pour le pire, toujours sans aucun discernement. La brebis pourrait
être une sorte de paroissien, ou de paroissienne idéale, qui discute peu, qui
avance sans rechigner, qu’on peut même aller jusqu’à tondre…
Et si par malheur les brebis deviennent trop peu nombreuses, on peut toujours
voler celles des autres.
Pauvres bêtes, et pauvres paroissiens s’ils sont ainsi traités.
A ces manières brutales, Jésus oppose une toute autre image, de la brebis, du
troupeau, bien entendu, mais aussi une toute autre image du berger – nous
relisons les quelques versets du 10ème chapitre de l’évangile de
Jean :
- Un enclos, une porte ; on ne se déguise pas, on n’escalade pas
les murs, on en reste d’abord à des dispositions d’usage ; c’est par
ces dispositions d’usage que tout peut commencer ;
- Les brebis toutes ensemble forment bien une sorte de communauté, mais
chacune est appelée par son propre nom, question de respect de la personne
et de son histoire ;
- On fait sortir les brebis de l’enclos traditionnel, car ce n’est pas
dans les enclos que se trouve la nourriture ; si l’on maintient trop
longtemps les brebis dans l’enclos, elles y dépérissent assurément ;
- Le berger digne de ce nom, ne se contente pas de les mener dehors et
de les garder dans son sillage pour les faire revenir, serviles, toujours
aux mêmes endroits ; le berger digne de ce nom apprend au contraire à
ses brebis à aller et venir, à examiner, à discerner, à choisir parmi ce
qu’elles trouvent et ce qu’on leur propose ; il leur apprend à
trouver elles-mêmes de quoi se nourrir ;
- Le berger selon le cœur de Jésus prépare toujours l’émancipation de
ses propres brebis ; c’est même à cela qu’il consacre le plus clair
de son temps.
Mais s’agit-il de brebis, ou s’agit-il d’êtres humains ? S’agit-il de
l’Église, des croyants, paroissiens, et
fidèles ? Qu’est-ce que leurs bergers espèrent pour elles, et pour
eux ? L’aliénation, ou l’émancipation ?
Et que se joue-t-il dans cette parabole d’apparence si simple ? Une
affaire de brebis qui ont réellement besoin de bergers, ou une affaire de
bergers qui ont désespérément besoin de brebis ?
Avec une audace folle, Jésus – Jean 10,8 – affirme que « tous ceux qui
sont venus avant (lui) sont des voleurs et des brigands ». Il défie ainsi
l’histoire et les responsables religieux de son temps, il défie aussi – il
interroge radicalement – les responsables religieux de tous les temps :
bergers, ou brigands, du bétail, ou des êtres humains, aliénation, ou
émancipation, servitude, ou responsabilité ?
Avec une audace folle aussi, Jésus affirme que « les brebis ne les ont
pas écoutés », qu’elles les ont même fuis. Jésus affirme ainsi qu’il a foi
en ceux qui croient. Il affirme qu’une foi vivante sait d’elle-même
instinctivement discerner les mauvais bergers des bons bergers, les bons
pâturages des mauvais pâturages.
A ceux qui Le suivront, Jésus promet la vie, la vie en abondance. Il leur
promet surabondance de vie, une vie toujours risquée, toujours renouvelée, de
réflexion, de décision, et d’engagement.
Notre Seigneur Jésus Christ a mené cette vie-là comme personne. Il en a
proclamé la nécessité. Il en a connu l’intensité. Il en a célébré la beauté. Il
en a payé, délibérément, le prix.
Puissions-nous, brebis que nous sommes, et ayant bien reconnu sa voix,
décider de le suivre. Amen
Prière
Seigneur, je ne peux pas
oublier l'obscurité et les souffrances de notre temps, les malentendus et les
erreurs qui nous font nous tourmenter les uns les autres, les fardeaux et
craintes que tant d'humains doivent porter en ce moment dans l’incertitude, et
sans beaucoup de repères.
Je me tourne vers toi car
je ne veux pas penser ou agir en mouton.
Je te demande de m’aider
à réfléchir chaque fois que j’entends ou lis quelque chose, chaque fois que je
suis tenté de donner mon avis sur tout et de colporter des propos simplistes ou
accusateurs. Donne-moi, donne à tous un peu de ton discernement pour que les
paroles que nous prononçons favorisent des échanges respectueux et
constructifs.
Je te demande aussi le
courage d’intervenir, chaque fois que nécessaire, et même à contre temps si
besoin, pour mettre en œuvre concrètement dans l’ordinaire des jours, le
commandement de la justice et de la fraternité.
Je ne veux pas penser ou
agir en mouton, Seigneur.
Mais je ne suis pas seul
au monde et fais partie de la foule de tes créatures.
Aide-moi à respecter le
bien commun,
- malgré mon besoin de me
défouler, à ne pas faire trop de bruit pour respecter le sommeil de ce voisin
qui a besoin de repos,
- malgré ma peur de
manquer, à ne pas acheter plus que nécessaire,
- malgré ma peur tout
court, à ne pas tyranniser les autres par mes pronostics, mes opinions ou mes
certitudes.
Seigneur, je ne veux
avoir ni Dieu ni Maître hormis toi Seul.
Fais-moi sentir ta
présence et obéir à la seule voix de ton Fils, notre Seigneur Jésus Christ,
venu nous offrir la Vie. Amen