dimanche 24 mai 2020

L'unité de la communauté (Jean 17,1-11) Trois jours après l'Ascension

Introduction

Il y a trois jours, nous fêtions l’Ascension, point final de la présence du Ressuscité parmi les vivants. Jésus parti, il n’est plus en mesure de transmettre son message de vive voix. Et commence alors pour les croyants le temps de l’héritage. Le testament est là, offert à tous. Et en l’absence désormais définitive du testateur, chacun des héritiers pourra y puiser librement.
Que feront-ils, les uns, et les autres ? Que mettront-ils en avant ? Que considéreront-ils comme essentiel, comme dernier mot du message du Christ ?
Il est clair que les uns et les autres, à commencer d’ailleurs par Paul, puis par les auteurs des évangiles, ne considéreront pas le même point d’enseignement comme essentiel du message. Nous pourrions consacrer d’intéressants temps d’étude à explorer ces points essentiels, ceux des livres bibliques, ceux des Églises, et les nôtres…
Aujourd’hui, nous sommes invités à lire dans l’évangile de Jean, le chapitre  17, versets 1 à 11. Dans le déroulement de l’évangile de Jean, c’est un texte de la Passion, et même le dernier texte avant l’arrestation de Jésus. Jésus y est physiquement présent : c’est lui qui parle. Mais en même temps, il déclare qu’il n’est désormais plus dans le monde. Cette situation particulière a dû intéresser ceux qui ont créé la liste des lectures que nous suivons, et qui s’appelle Dimanches et fêtes. Pourquoi suivons-nous cette liste ? Et quel en est le point essentiel ?
C’est dans un souci œcuménique que nous suivons cette liste. Elle fut d’abord – en latin – l’Ordo Lectionum Missæ, ordre dans lequel sont lus, sur un cycle de 3 ans, les textes bibliques de la messe dominicale. Cette liste est donc d’abord catholique romaine. Mais, en 1969, elle est adoptée aussi par la plus grande partie des protestants luthériens et réformés historiques.
Les plus anciens d’entre nous se souviennent certainement de la fin des années 60, et des années 70, lorsque, certaines frontières étaient tombées, et une fois clos le Concile Vatican II (8 décembre 1965), protestants et catholiques se sont découverts et aimés… L’adoption œcuménique du lectionnaire Dimanche et fêtes date de ce moment-là…
Héritiers du Christ, tous ensemble, unis… protestants et catholiques se sont appropriés conjointement cette partie de l’héritage du Christ, avec une perspective et un fin mot : unité.
Et c’est ainsi que nous sommes en train de lire, entre Ascension et Pentecôte, c'est-à-dire entre le départ définitif de Jésus Christ et l’advenue du Saint Esprit, un texte du Jeudi Saint dans lequel, à la fin, le Fils lui-même prie le Père pour l’unité des disciples...
Lecture biblique :

1 Après avoir (ainsi) parlé à tous ses disciples réunis pour la dernière fois avant sa mort,

Jésus leva les yeux au ciel et dit: «Père, l'heure est venue, glorifie ton Fils, afin que ton Fils te glorifie
2 et que, selon le pouvoir sur toute chair que tu lui as donné, il donne la vie éternelle à tous ceux que tu lui as donnés.
3 Or la vie éternelle, c'est qu'ils te connaissent, toi, le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ.
4 Je t'ai glorifié sur la terre, j'ai achevé l'œuvre que tu m'as donnée à faire.
5 Et maintenant, Père, glorifie-moi auprès de toi de cette gloire que j'avais auprès de toi avant que le monde fût.
6 «J'ai manifesté ton nom aux hommes que tu as tirés du monde pour me les donner. Ils étaient à toi, tu me les as donnés et ils ont observé ta parole.
7 Ils connaissent maintenant que tout ce que tu m'as donné vient de toi,
8 que les paroles que je leur ai données sont celles que tu m'as données. Ils les ont reçues, ils ont véritablement connu que je suis sorti de toi, et ils ont cru que tu m'as envoyé.
9 Je prie pour eux; je ne prie pas pour le monde, mais pour ceux que tu m'as donnés: ils sont à toi,
10 et tout ce qui est à moi est à toi, comme tout ce qui est à toi est à moi, et j'ai été glorifié en eux.
11 Désormais je ne suis plus dans le monde; eux restent dans le monde, tandis que moi je vais à toi. Père saint, garde-les en ton nom que tu m'as donné, pour qu'ils soient un comme nous sommes un.
Prédication :
Nous voyons trois raisons pour lesquelles Jésus prie ainsi le Père :

(1) Première raison pour laquelle Jésus prie : tout a été dit. Jésus a dit tout ce qu’il avait à dire. Plus fortement même, il a dit tout ce qui pouvait être dit, c'est-à-dire tout ce que, depuis avant même l’aube des temps, il avait entendu du Père. Et bien, maintenant, tout cela, les disciples le connaissent. Ils ont donc une connaissance immense, à la fois haute et profonde, de ce qu’il en est du Fils et de ce qui en est aussi du Père. Nous pouvons nous réjouir de cela, et nous pouvons, peut-être aussi, en lisant l’évangile de Jean, partager au moins quelques mots de cette connaissance.
Mais – parce qu’il y a un mais – nous ne savons pas ce que, individuellement, les disciples vont faire de cette connaissance. La question de ce que les gens font de la connaissance qu’ils ont en matière divine a été posée, longtemps avant l’évangile de Jean, par le prophète Jérémie. Cette connaissance, individuellement, ils la mettent en avant, et se disent, à tout propos, l’un à l’autre : « Connaissez le Seigneur ! » (Jérémie 31,34), sous entendu, "je connais le Seigneur, moi, plus et mieux que vous, et je vais vous apprendre ; soumettez-vous donc etc." Les autres, en face, en ont autant à dire, mais pas la même chose, et c’est le clash…
La première raison donc pour laquelle Jésus prie le Père pour ses disciples, c’est qu’il a un doute, une réserve… sur ce que ses disciples, sur ce que les humains, vont faire de la connaissance qu’ils ont de Dieu. Et lorsque Jésus affirme que « la vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi, le seul vrai Dieu », le risque pris est considérable d’avoir en ces disciples et autres humains de prétentieuses personnes se figurant compétentes au regard de l’éternité, non seulement pour mettre en avant leur personne et leur Dieu, mais aussi pour récuser absolument tous les autres…

(2) Deuxième raison pour laquelle Jésus prie : Jésus n’est déjà plus là, comme il le dit dans sa prière. Il n’est plus dans le monde. Même s’il est encore physiquement avec ses disciples, et il le sera jusqu’à son arrestation, il n’est déjà plus là : il n’a plus rien à leur dire qu’il ne leur ait déjà dit.
Jésus n’étant plus là, que vont faire les disciples ? C’est que Jésus était là, parfois pour les enseigner et les servir, mais, aussi, parfois pour les redresser et les reprendre. Que va-t-il donc arriver, désormais, alors que, leur maitre n’étant plus dans le monde, les disciples, eux, y restent, au sens propre, comme au sens figuré ?
Nous retrouvons ici quelque chose qui ressemble à notre première raison. Les disciples ont-ils été transformés par ce qu’ils ont cru, auquel cas s’édifiera entre eux et par eux une communauté humaine renouvelée, fraternelle, ayant le souci de servir plutôt que celui de commander ? Ou bien, ces choses entendues de la bouche du maître ne sont elles qu’un beau vernis posé sur de grossiers appétits de pouvoir ?

(3) Troisième raison pour laquelle Jésus prie : la proximité de la Pentecôte. Pentecôte est seulement dans huit jours… mais il est inutile de faire comme si la Pentecôte n’était pas déjà advenue, inutile de feindre d’ignorer que l’onction d’Esprit Saint est un puissant principe individualisant, une puissante force qui peut disloquer la vie communautaire ; et de cela, nous avons une description consternante dans la première épître de Paul aux Corinthiens. L’évangile de Jean connaît bien cela lui aussi, qui, de par la bouche de Jésus lui-même, affirme « L’Esprit souffle où il veut, et tu entends sa voix, mais tu ne sais ni d’où il vient ni où il va ; ainsi en est-il de tout homme qui est né de l’Esprit. » (Jean 3,8).
L’onction de l’Esprit, qui n’est absolument pas chose rare ni réservée à certains, revient à avoir tout Dieu en soi, union de Dieu et du croyant. L’être humain ainsi promu, de cette puissance, que fera-t-il ? La communauté des disciples et autres premiers témoins va-t-elle être proprement atomisée par cet événement ? Ou bien va-t-elle connaître, dans son existence humaine, la même unité que celle du Père et du Fils ?
La semaine prochaine, en nous intéressant à Pentecôte selon le récit qui en est fait dans les Actes des Apôtres, nous verrons quelle proposition – pour ne pas dire solution – est apportée face à risque de dislocation de l’assemblée. Pour l’heure, ce que nous voyons, c’est que Jésus prie le Père. Jésus sera-t-il exaucé ?

Plusieurs réponses sont possibles… d’abord, nous pouvons lire la fin de l’évangile de Jean ainsi que les trois petites épîtres de Jean.
Mais avant même de le faire, nous pouvons nous dire que si Jésus prie ainsi le Père, c’est que, certainement, pour les humains, l’unité ne doit pas aller de soi.
En même temps, nous pouvons considérer que même cette prière fait partie de l’unité du Père et du Fils, qu’elle fait partie de la nature même de cette d’unité. Et comme cette unité est aussi celle du Fils et des disciples, cette prière, qui est adressée à Dieu, est en même temps adressé par chaque fidèle à tous les autres fidèles. Et en cela, elle est à elle-même son propre exaucement.
Prions donc, mes chers amis, sœurs et frères, pour notre propre unité. Amen