Jean
11 Croyez-moi, je suis dans le Père, et le Père est
en moi; et si vous ne croyez pas ma parole, croyez du moins à cause de ces
œuvres.
12 En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui
croit en moi fera lui aussi les œuvres que je fais; il en fera même de plus
grandes, parce que je vais au Père.
13 Tout ce que vous demanderez en mon nom, je le
ferai, de sorte que le Père soit glorifié dans le Fils.
14 Si vous me demandez quelque chose en mon nom, je
le ferai.
15 «Si vous m'aimez, vous observerez mes
commandements;
16 moi, je prierai le Père: il vous donnera un autre
ami-défenseur-consolateur qui restera avec vous pour toujours.
17 C'est lui l'esprit de vérité, celui que le monde
ne peut accueillir parce qu'il ne le voit pas et qu'il ne le connaît pas. Vous,
vous le connaissez, car il demeure auprès de vous et il est en vous.
18 Je ne vous laisserai pas orphelins, je viens à
vous.
19 Encore un peu, et le monde ne me verra plus;
vous, vous me verrez vivant et vous vivrez vous aussi.
20 En ce jour-là, vous connaîtrez que je suis en mon
Père et que vous êtes en moi et moi en vous.
21 Celui qui a mes commandements et qui les observe,
celui-là m'aime: or celui qui m'aime sera aimé de mon Père et, à mon tour, moi
je l'aimerai et je me manifesterai à lui.»
Prédication
Christ est présent dans la vie des gens et dans la vie des communautés, disions-nous récemment. Voici justement que nos versets
d’aujourd’hui conjuguent les verbes alternativement, au singulier et au
pluriel. Tantôt Jésus s’adresse à la communauté de ses disciples, et tantôt il
s’adresse comme personnellement à chacun de ses disciples.
La semaine dernière, nous repérions que, dans le discours de Jésus, il y a
des éléments mystiques, et des éléments éthiques. Il semble bien que les
éléments mystiques, tout ce qui porte sur le Père, sur le Fils, et maintenant
aussi sur le défenseur l’esprit de vérité, sont adressés au collectif, à la
communauté, comme s’ils relevaient de la foi de l’Église. Ou encore comme s’ils
réclamaient une forme particulière d’adhésion, une forme dans laquelle
l’individu s’estompe – nous ne pouvons pas dire s’efface – s’incline – nous ne
pouvons pas dire se soumet… devant une vérité qu’il reçoit, qu’il explore, mais
qui est et demeure toujours infiniment plus que ce qu’une pensée croyante peut
approcher et s’approprier.
Ces « je vous dis… » qui sortent là de la bouche de Jésus évoquent
certaines confessions de foi – peu fréquentes en protestantisme réformé –
entièrement composées en « nous… ». Et il est vrai que notre protestantisme (réformé,
français…) a souvent d’avantage insisté sur une réception et une adhésion
personnelles, et laissé un peu de côté cette dimension pourtant importante,
celle de l’appartenir. On dit rarement, chez nous, « j’appartiens à l’Église
protestante unie de France », on dit plutôt « Je suis protestant… »
Nous constatons donc que la théologie propre à l’évangile de Jean s’adresse
à la communauté avant de s’adresser à la personne.
Nous avons d’ailleurs ici sous nos yeux une belle synthèse de cette
théologie particulière de l’évangile de Jean. Nous avons le Père, et le Fils,
le Fils dans le Père et le Père dans le Fils, l’unité donc du Père et du Fils.
Mais il apparaît quelque-chose d’autre, de nouveau dans le paysage de cet
évangile, l’ami-défenseur-consolateur ; Jésus déclare tout de go à ses
disciples que cet ami-défenseur-consolateur est en eux. On peut bien entendu
voir dans ces trois réalités une sorte de trinité, l’ami-défenseur-consolateur
étant assimilé à l’Esprit de vérité. Mais trois, c’est trop peu pour l’évangile
de Jean dans sa dimension mystique. Car Jésus rajoute un membre à cette
trinité, un membre dont nous avons déjà parlé, et qui se dit « vous… » : « Je
suis en mon Père, (…) vous êtes en moi et moi en vous ».
Dans l’évangile de Jean le 3 se fait 4. Et, si l’on veut insister sur
l’importance du 4ème, sur l’importance du « vous » de la communauté, on pourra
aller jusqu’à dire que, si le « vous » vient à manquer, c’est tout l’édifice
qui s’écroule et que Dieu lui-même devient comme un grand vide, peut-être même
une imposture.
Nous venons donc de parler abondamment du « vous », de la mystique, de la
communauté humaine et de la communauté divine.
Or, en revenant au texte, nous remarquons que, lorsqu’il s’agit de
l’éthique, c'est-à-dire d’œuvrer, ça n’est plus le collectif que Jésus
interpelle, mais l’individu. Lisons seulement, « celui qui croit en moi fera
lui aussi les œuvres que je fais; il en fera même de plus grandes… » et encore
« Celui qui a mes commandements et qui les observe, celui-là m'aime… ».
Ceci nous indique que, dans l’évangile de Jean, le passage au concret,
l’incarnation en somme de la confession de foi de l’Église, relève
exclusivement de l’être humain, d’un être humain, de chacun de ces êtres
humains qui forment ensemble la communauté.
La communauté confesse collectivement sa foi. En même
temps, le concret de la foi, œuvrer, cela relève de la responsabilité
personnelle de chaque membre de la communauté. C’est ce que nous avons compris
des quelques versets que nous méditons.
Il y a un autre moment de la vie de la communauté qui est
évoqué dans les versets d’aujourd’hui, c’est la prière.
Et elle est évoquée en nous, sans aucune restriction de demande, et sans
aucune limite thématique. La communauté peut tout demander à Jésus : « Si vous
demandez quelque chose en mon nom, je le ferai. » (Jean 14,14). Le côté absolu
de cette promesse appelle bien entendu un chant de gratitude. Cependant, nous
connaissons – je connais – des communautés qui ont unanimement prié pour la
guérison d’un être particulièrement cher et fragile… et cet être est pourtant
mort. Est-ce parce que la prière n’était pas unanime, ou encore est-ce que
cette prière n’était pas au nom du Fils ? Nous pouvons, chacun peut,
s’interroger sur le sens de l’inexaucement de sa prière. Chacun peut dans la
foi, dans la prière et dans l’étude, interroger le Fils et les textes
bibliques, sur le sens de l’exaucement et de l’inexaucement de la prière de
demande.
Dans l’évangile de Jean, que peut bien signifier "Si vous demandez
quelque chose en mon nom" ? Cela signifie que la communauté se réunit dans
la mémoire et la connaissance de la vie de Jésus de Nazareth telle que la raconte
l’évangile de Jean, et aussi dans la mémoire et la connaissance du premier
chapitre – du prologue donc – de ce récit, et encore dans la mémoire et la
connaissance du grand discours d’adieu de Jésus aux siens. Bien entendu, la
communauté ne relit pas tout l’évangile chaque fois qu’elle se réunit. Mais
chaque fois qu’elle se réunit, elle tâche de se redire ce résumé.
Et quel résumé peut-elle se donner ? Cela tourne autour d’un verbe, le
verbe aimer. Dans l’évangile de Jean, la vie communautaire et la vie
personnelle du croyant se pensent, se vivent et s’évaluent dans une méditation
du verbe aimer. Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés, ce
commandement est énoncé deux fois par Jésus, au 13ème et au 15ème chapitre de
Jean. Nous, qui sommes lecteurs de cet évangile ainsi que des trois petites
épîtres de Jean, nous savons que, dès l’origine, le compte n’y était pas.
Et nous devinons que s’il n’y était pas dans la communauté, c’est qu’il n’y
était pas non plus dans les individus… Même après que le Ressuscité, le soir de
la résurrection, leur eût donné l’Esprit, le compte n’y était toujours pas.
C’est avec ce constat que nous en revenons à la prière, collective, et
individuelle. Si Jésus de Nazareth est le nom de quelque chose, c’est le nom de
l’amour. S’il s’agit de prier, de lui demander quelque chose en son nom, il ne
peut s’agir que d’amour.
Cette demande concerne la communauté toute entière ; elle prendra toute sa
portée par l’engagement de chacune et de chacun. Qu’il en soit ainsi. Amen