mercredi 15 avril 2020

Lettre pastorale du 15 avril : Pour autrui



Église protestante unie Vincennes-Montreuil
Chères sœurs, chères frères, nous sommes toujours confinés, nous continuons observer les gestes barrières, et voici donc une cinquième lettre pastorale.

Pour autrui

            Si nous comprenons bien les consignes que nous devons observer, elles sont moins destinées à nous protéger nous-mêmes qu’elles ne sont destinées à protéger autrui. Elles ne sont pas pour nous, mais pour autrui. C’est l’occasion de méditer sur la foi en Dieu et le pour autrui.

Nous avons tous bien appris dans nos jeunes années qu’Abraham engendra Isaac et qu’Isaac engendra Jacob, et que Jacob eut 12 fils. L’alliance que Dieu conclut avec Abraham concernait évidemment, et  par avance, Isaac, Jacob, ses 12 fils et tous leurs descendants. Ayant un peu grandi, et commençant à lire la Bible par nous-mêmes, nous avons repéré que ça n’a pas dû être aussi simple. Joseph fut haï par ses 11 frères ; Jacob vola la bénédiction paternelle ; Isaac manqua d’être assassiné par son père ; et en Abraham nous devons voir deux hommes au moins dont les récits de vie ont été opportunément soudés par un rédacteur tardif. Tout cela nous saute aux yeux. Et si nous nous aventurons dans le livre du prophète Osée, nous trouvons (chap. 12) que s’agissant du peuple élu, quatre généalogies se disputent la légitimité, avec Osée comme juge arbitre évidemment partial.
D’où la question : la promesse faite par Dieu à Abraham est-elle aussi pour autrui, à commencer par Isaac ?
Revenons-en à nos jeunes années. Isaac fut un fils longtemps attendu et ardemment désiré. Il finit par apparaître, enfant improbable d’un couple de vieillards. On raconte volontiers cela à de jeunes enfants, mais la suite… Or, il advint que Dieu, voulut mettre à l’épreuve la foi d’Abraham, et lui demanda illico le sacrifice de l’enfant (Genèse 22). Cher lecteur, à quel âge t’a-t-on raconté cela ? Je me souviens de mes dix ans, et de la perplexité que cela a semé en moi. Ma grand-mère, femme de foi et de pasteur, était la catéchète de service. « Mais enfin, grand-maman, il n’a pas refusé ? » « Et si Dieu n’était pas intervenu, il aurait été jusqu’au bout ? » « Et grand-papa, lui, qu’aurait-il fait ? » Sur cette question, ma grand-mère avait battu en retraite, elle dont l’enfant aîné était un fils. Mais pour le reste, elle s’en était tenue au happy end biblique : Abraham va jusqu’au bout, Dieu intervient au tout dernier instant, et un bélier qui passait par là est dûment sacrifié. Ouf ! Bien plus tard, j’ai remarqué que lorsqu’Abraham redescend de la montagne, il est seul… Où est donc passé Isaac ?

Retour sur notre question. La promesse que Dieu fait à Abraham, vaut-elle aussi pour autrui, à commencer par Isaac ? Abraham a obéi, jusqu’au bout, et Dieu conclut donc qu’Abraham croit vraiment en Dieu. Mais la foi d’Abraham, celle que célèbre le texte, celle par laquelle il obéit à l’injonction de Dieu, exclut carrément son fils Isaac du périmètre de la promesse. Il est incompréhensible qu’Abraham prenne contre Dieu la défense de Sodome (Genèse 18) et obéisse sans question à l’ordre de sacrifier son fils. Aussi – avec cette perplexité qui est la mienne depuis bientôt 50 ans – je pense qu’Abraham a été dévasté : sa foi en Dieu était pour lui-même, et excluait Isaac.
Ainsi, conclurons-nous aujourd’hui : la foi en Dieu doit être pour autrui avant d’être pour soi-même.

Pasteur Jean DIETZ, 15 avril 2020