Prologue
Lorsque viennent les dimanches d’après Pâques et d’avant
Pentecôte, vient aussi le temps de lire, et de relire, certains des textes qui
viennent clore les évangiles. Certains de ces textes mettent en avant la
nécessité du baptême (Marc), le côté essentiel de la Sainte Cène (Luc), la
primauté de Pierre (Luc, et Jean), toutes ces sortes de choses en lesquelles
l’ancienneté, l’authenticité et la nécessité se confondent. Comme si le respect
de ce saint patrimoine était non seulement promesse, mais aussi gage de salut.
Pouvons-nous
considérer que nos ancêtres nous ont transmis ces textes juste pour que nous
réglions sur eux notre vie spirituelle et communautaire ? Ces textes
n’ont-ils pas une dimension réflexive, voire critique ?
Pour ce
second dimanche après Pâques, il nous est proposé de lire et de méditer un
récit que seul Luc donne, celui des pèlerins d’Emmaüs.
Nous lisons
la première partie de ce récit.
Luc 24
13 Et voici que, ce même jour (le dimanche de la résurrection), deux (disciples)
se rendaient à un village du nom d'Emmaüs, à deux heures de marche de
Jérusalem.
14 Ils parlaient entre eux de tous ces événements.
15 Or, comme ils parlaient et discutaient ensemble, Jésus
lui-même les rejoignit et fit route avec eux;
16 mais leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître.
17 Il leur dit: «Quels sont ces propos que vous échangez en
marchant?» Alors ils s'arrêtèrent, l'air sombre.
18 L'un d'eux, nommé Cléopas, lui répondit: «Tu es bien le
seul à séjourner à Jérusalem qui n'ait pas appris ce qui s'y est passé ces
jours-ci!» -
19 «Quoi donc?» leur dit-il. Ils lui répondirent: «Ce qui
concerne Jésus de Nazareth, qui fut un prophète puissant en action et en parole
devant Dieu et devant tout le peuple:
20 comment nos grands prêtres et nos chefs l'ont livré pour
être condamné à mort et l'ont crucifié;
21 et nous, nous espérions qu'il était celui qui allait
délivrer Israël. Mais, en plus de tout cela, voici le troisième jour que ces
faits se sont passés.
22 Toutefois, quelques femmes qui sont des nôtres nous ont
bouleversés: s'étant rendues de grand matin au tombeau
23 et n'ayant pas trouvé son corps, elles sont venues dire
qu'elles ont même eu la vision d'anges qui le déclarent vivant.
24 Quelques-uns de nos compagnons sont allés au tombeau, et
ce qu'ils ont trouvé était conforme à ce que les femmes avaient dit; mais lui,
ils ne l'ont pas vu.»
25 Et lui leur dit: «Esprits sans intelligence, cœurs lents
à croire tout ce qu'ont déclaré les prophètes!
26 Ne fallait-il pas que le Christ souffrît cela et qu'il
entrât dans sa gloire?»
27 Et, commençant par Moïse et par tous les prophètes, il
leur expliqua dans toutes les Écritures ce qui le concernait.
Prédication
Qui est cet homme, qui se joint à
deux disciples dépités ? Cela nous est annoncé d’emblée, à nous, les
lecteurs. Et les lecteurs en savent ainsi d’emblée très long, trop long même…
Et les lecteurs, s’ils veulent espérer comprendre, doivent alors faire un
effort, non pas l’effort de se souvenir, mais plutôt l’effort, bien plus
difficile, d’oublier. D’oublier qui est ce troisième homme, d’oublier la
résurrection, d’oublier aussi qu’après les apparitions viendra l’Ascension, et
qu’après l’Ascension viendra la Pentecôte. Oublier presque tout… et se mettre
dans la peau de ces deux hommes dépités, qui croyaient qu’il était celui qui
allait libérer – racheter – Israël.
Dans la
peau de ces deux hommes, qui furent disciples de Jésus de Nazareth – sans
toutefois être membres du cercle restreint des 12 – nous avons la mémoire de
ses paroles et de ses gestes, la mémoire aussi de son assassinat. Et, bien
entendu, nous sommes des lecteurs des livres des prophètes.
Et voici ce
que nous dit l’inconnu qui fait route avec nous : « Esprits sans
intelligence, cœurs lents à croire tout ce qu’on déclaré les prophètes !
Ne fallait-il pas que le Christ souffrît cela et qu’il entrât dans sa
gloire ? »
A cet
instant, nous devons faire un autre effort encore, celui de nous souvenir de
notre connaissance et de notre compréhension des prophètes. Et c’est à partir
de cela que nous devrions comprendre ce qu’il en est du Christ, de sa passion,
et de sa gloire. Quelque chose nous vient-il à l’esprit ?
Sans doute
pas grand-chose. Ou plutôt deux ou trois morceaux du prophète Ésaïe et de
Zacharie… en lesquels nous avons pris l’habitude de voir, comme figuré par
avance, ce Christ que nous révérons. Mais, procédant ainsi, nous comprenons les
prophètes à partir du Christ, alors que la proposition qui nous est faite, dans
le texte que nous méditons, est, au contraire, de comprendre le Christ à partir
des prophètes.
Alors, que pouvons-nous dire des prophètes ? Que
pouvons-nous dire, retenir, de ces 15 livres bibliques qui portent des noms de
prophètes, ainsi que des livres de Samuel et des Rois, sans oublier les Juges,
et Moïse qui, bien souvent, parle et agit comme un prophète ? (vous pouvez
faire l’exercice chez vous, un quart d’heure, une feuille blanche, et vous
notez ce dont vous vous rappelez, puis, au bout de ce quart d’heure, vous
faites l’exercice que suggère Jésus : tous les prophètes ont parlé du
Christ…)
![]() |
Le prophète Samuel, enfant (Jan Victors, 1645) |
Et voici
mon résultat :
(1) Un prophète interpelle. Qu’il
s’agisse d’un peuple, d’un prêtre ou d’un roi, le prophète interpelle. Il
interpelle, parfois très vigoureusement, ceux qui en prennent à leur aise avec
la puissance qui est la leur. Et comme cette puissance, dans les anciennes
traditions hébraïques, est toujours puissance donnée par Dieu, le prophète
interpelle tous ceux qui en prennent à leur aise avec Dieu. Et il interpelle
aussi, vigoureusement, ceux qui, oubliant Dieu, changent de dieu. Nous notons
aussi que cette mission, le prophète peut l’accomplir sur la terre d’Israël,
mais aussi à l’étranger. Ainsi peut-on dire que le combat du prophète, c’est le
combat pour Dieu, contre l’idole, quelle que soit l’allure que prend l’idole,
et quel que soit le lieu où cette idole se manifeste.
(2) Un prophète manifeste la
puissance de Dieu, en guérissant, en ressuscitant, et en activant toutes sortes
de forces naturelles...
(3) Un
prophète exhorte et console. A divers moment de son histoire, le peuple des fils
de Jacob se trouve dominé, exilé, déporté, asservi… et le prophète est là pour
donner un sens – pas toujours une explication, mais toujours un sens – aux
événements en cours.
(4) Un
prophète guide. C'est-à-dire qu’il se tient toujours sur le chemin qui est le
sien, chemin que Dieu lui a fait choisir.
(5) Le prophète paie toujours
lui-même le prix de son propre engagement. C’est parfois un prix de solitude,
un prix de raillerie, un prix de persécution… Ce prix, parfois, c’est sa propre
vie.
(6) La parole du prophète n’est
jamais perdue, sa pertinence ne se dégrade pas avec le temps qui passe, et sa
puissance peut être réactivée à chaque génération.
Nous pouvons, dans les six
propositions que nous venons de faire, remplacer le prophète par Christ. Et nous considérerons qu’en effet, cela
correspond.
Mais là n’est pas la question
posée. Voici la question posée : si les disciples d’Emmaüs avaient un peu réfléchi,
est-ce qu’à partir de ces six propositions, ils auraient identifié en Jésus le
Christ ? Il nous est facile de répondre oui, parce que c’est dans une
certaine tranquillité d’esprit que nous nous posons la question, et aussi parce
que notre espérance est bien fondée dans le nom de Jésus Christ.
Mais qu’aurions-nous répondu si,
disciples de Jésus, nous avions dû répondre trois jours après son
assassinat ? Nous sommes déjà moins certains… Et si nous devions répondre
de notre espérance au cœur de la tempête, ou devant des abîmes de
déréliction ?
Et que répondons-nous, au titre
de notre foi, pendant cette pandémie que nous n’avons pas encore fini de
traverser ?
Sœurs et frères, puissions-nous
toujours trouver en nous les paroles des prophètes et du Christ. Et si nous ne
les trouvons plus, que le Dieu tout puissant nous envoie de ces gens qui nous
rappelleront en qui nous devons croire.
Amen