Jean 1
1 Au commencement était le Verbe, et le Verbe était dans l’intimité de Dieu, et le Verbe était Dieu. 2 Il était au commencement dans l’intimité de Dieu.
4 En lui était la vie et la vie était la lumière des
hommes,
5 et la lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres
ne l'ont point comprise.
6 Il y eut un homme, envoyé de Dieu: son nom était Jean.
7 Il vint en témoin, pour rendre témoignage à la lumière,
afin que tous croient par lui.
8 Il n'était pas la lumière, mais il devait rendre
témoignage à la lumière.
9 Le Verbe était la vraie lumière qui, en venant dans le
monde, illumine tout homme.
10 Il était dans le monde, et le monde fut par lui, et le
monde ne l'a pas reconnu.
11 Il est venu chez
lui, et les siens ne l'ont pas pleinement
reçu.
12 Mais à ceux qui l'ont reçu, à ceux qui croient en son
nom, il a donné possibilité de devenir
enfants de Dieu.
13 Ceux-là ne sont pas nés du sang, ni d'un vouloir de
chair, ni d'un vouloir d'homme, mais de Dieu.
Prédication :
Veillée de Noël, pour certains
célébration à minuit, puis culte du matin de Noël, deux célébrations qui
semblent inséparables l’une de l’autre. Probablement elles se soutiennent l’une
l’autre.
Veillée de Noël, il nous est proposé
de lire un récit de nativité, Matthieu, ou Luc : l’enfant naît. Et cette
évocation biblique pourrait effectivement suffire, car il a un nom, déjà, et
une destinée, avec chacun des deux récits. Cela devrait donc suffire, car ainsi
l’histoire de Jésus commence, et la flèche du temps est déjà lancée, « de
Bethléem à la Croix, de la Crèche à Golgotha, de la misère à la joie », de
la naissance à la mort… il n’y a que Jésus. Et cela suffit – cela devrait
suffire : Jésus de Nazareth est le message, homme envoyé de Dieu, reconnu
comme Christ... fin de la veillée de Noël.
Mais voici que, le lendemain matin,
culte du matin de Noël, il nous est proposé, chaque année, de lire un autre
récit, « Au commencement… », début, ou encore principe, de l’évangile
de Jean. Et voici que le commencement de l’évangile de Jean semble bien vouloir
commencer là où les autres évangiles ne commencent pas. Jean commence plus haut
– on peut le dire ainsi – ou plus loin, ou ailleurs… Jean commence à l’origine
même des temps ; « Au commencement… il y avait tout ce que le langage
humain a jamais pu et pourra jamais exprimer, et cela était dans l’intimité de
Dieu ». Certains proposent de parler pour cela de la Parole. Parole, ou
Verbe, c’est à peu près la même chose, et c’est surtout la même idée. Cette
idée, c’est que Dieu est au cœur de la Parole, au cœur du Verbe, au cœur de
tout ce que l’être humain peut penser et dire. Et avec cela Dieu n’est pas à
l’extérieur de ce que l’être humain fait et dit, mais à l’intérieur. Et
l’intimité dont nous parlons est tellement profonde que l’auteur de l’évangile
de Jean affirme ceci : « Et le Verbe était Dieu ». C’est une
affirmation considérable : tout ce que l’être humain peut imaginer, penser
et dire, tout ce qu’il est capable de mettre en œuvre, par des gestes et par
des mots, c’est cela qui est Dieu, sans qu’il soit nécessaire de se réclamer
d’une puissance extérieure, supérieure et autonome. Le langage suffit. Cette
affirmation, « et le Verbe était Dieu », rend compte d’une foi
totalement incarnée… Et l’on se dit que peut-être, il suffirait d’y croire et,
y croyant, il suffirait d’accomplir ce qu’elle dit. A savoir que la parole de
Dieu et la parole humaine se confondent absolument. Et ce serait une
extraordinairement bonne nouvelle.
Ils étaient… et ensuite ?
L’intimité est-elle perdue pour toujours ? Cette unité défaite peut-elle être
reconstruite ? Si l’on s’en tient à ce qui est écrit, et si l’on se tient
du côté des humains, cela semble brisé, et nous devrons comprendre ici que le
langage – le Verbe – ici repris par les humains est au mieux neutre, mais
souvent ne sert plus qu’à la ruse et à la domination. Sauf que – message
essentiel d’espérance – le Verbe – la parole – persiste. C’est un peu l’idée,
qu’on pourrait qualifier d’enfantine, que la Parole, celle dont nous avons
parlé, celle dont Jean parle, reste la plus forte. Ce que l’un de nos cantiques
de Pâques (Mon rédempteur est vivant) ose formuler ainsi : « Mais
Dieu reste le plus fort, Jésus a vaincu la mort ».
Vaincre la mort, dans le commencement de l’évangile de Jean, c’est affirmer que les mots et le langage, résistent aux offenses que leur font subir les humains. Vaincre la mort, c’est oser dire que le langage, et donc l’âme humaine, ne peuvent être totalement corrompus. Bien sûr, nous devons hésiter un peu en affirmant cela, car nous savons bien à quels désastres les humains en arrivent parfois. Souvenons-nous seulement du premier génocide du 20ème siècle, un génocide oublié, celui perpétré par la puissance coloniale allemande, en Namibie, contre deux peuples, les Namas et les Hereros. Mais, affairés que nous sommes aujourd’hui à célébrer Noël, nous ne pouvons pas désespérer… Oui, toutes ces histoires de désagrégation du Verbe, toutes ces histoires de refus d’une lumière venue d’en-haut, du refus du témoignage de Jean sont rappelées. Mais est-ce là la fin de l’histoire ? Nous avons déjà entrevu qu’il n’en est rien et que – on peut toujours le dire ainsi sans se tromper sur ce que les mots désignent – « Jésus a vaincu la mort. » Mais Pâques, sera célébré le 9 avril, aujourd’hui c’est Noël et l’évangile de Jean nous offre ceci : « Et le Verbe s’est fait chair. »
Bien sûr, apparemment sans
hésitation, certains proposeront « La Parole est devenue un homme »
et quant au nom de cet homme, ils penseront sans délai à Jésus de Nazareth. Et
pourquoi pas. Ça n’est pas faux. Mais si cela est affirmé d’une manière trop
massive, autre chose risque d’être perdu.
Est-ce une fois pour toutes et en Jésus de Nazareth uniquement que le Verbe s’est fait chair ? Ou bien, est-ce que l’affirmation que le Verbe s’est fait chair est le signe que cela peut advenir encore ? Nous devons choisir. Choisissons : nous choisissons d’affirmer que pour tout ce qui est chair il n’est de salut que par le Verbe, entendons salut par la Parole, salut par ce que les humains sont capables de dire, par ces propos efficients, par des actes conséquents, salut par ce divin dont ils sont capables. Bien sur, si un homme naît, c’est une fois pour toutes. Mais pour ce qu’il en est du Verbe qui se fait chair, pour ce qu’il en est d’une résorption de la Parole réputée divine dans la Parole humaine, ça n’est jamais sans reste, et ça n’est jamais sans repousse. Et si cette vérité est perdue, la parole humaine accomplira une mutation dramatique en se transformant en parole de pouvoir…
Raison pour laquelle on n’en a
jamais fini de célébrer Noël. La proposition du calendrier chrétien est qu’il
faut célébrer Noël au moins une fois par an. Il faut une fois par an au moins s’exposer à Noël. Et penser toujours
à ce qui, dans notre environnement, peut nous rappeler l’importance de ce
mouvement, le Verbe qui se fait chair et rend capable de dire ce que Dieu dit
et de faire ce que Dieu fait. Amen.
P.S. : Et le
Verbe s’est fait et se fera chair en ces enfants dont les noms suivent, nés à
Vincennes entre le 1er et le 31 octobre (je n’ai pas trouvé de liste
plus récente), Rose, César, Ilaï, Léa, Camille, Léonard, Orso, Maël, Nahyl,
Noé, Gauvain, Lorenzo, Yumi, Émile, Basile, Amaury, Gaia, Romane, Eva, Louisa,
Pierre, Gaby, Roberto, Clara, Arthur, Jeanne, Marc, Gaspard, Andrea, Gaspard,
Helena, Clémence, Juliette, Hector…