samedi 10 décembre 2022

Troisième dimanche de l'Avent (Matthieu 11,2-11 & Esaïe 35,1-10) Jean le Baptiste a-t-il cru ce qu'il prêchait ?


Matthieu 11

2 Or Jean, dans sa prison, avait entendu parler des œuvres du Christ. Il lui envoya demander par ses disciples:

 3 «Es-tu ‹Celui qui doit venir› ou devons-nous en attendre un autre?»

 4 Jésus leur répondit: «Allez rapporter à Jean ce que vous entendez et voyez:

 5 les aveugles retrouvent la vue et les boiteux marchent droit, les lépreux sont purifiés et les sourds entendent, les morts ressuscitent et la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres;

 6 et heureux celui qui ne tombera pas à cause de moi!»

 7 Comme ils s'en allaient, Jésus se mit à parler de Jean aux foules: «Qu'êtes-vous allés regarder au désert? Un roseau secoué par le vent?

 8 Alors, qu'êtes-vous allés voir? Un homme vêtu d'habits élégants? Mais ceux qui portent des habits élégants sont dans les demeures des rois.

 9 Alors, qu'êtes-vous allés voir? Un prophète? Oui, je vous le déclare, et plus qu'un prophète.

 10 C'est celui dont il est écrit: Voici, j'envoie mon messager en avant de toi; il préparera ton chemin devant toi.

 11 En vérité, je vous le déclare, parmi ceux qui sont nés d'une femme, il ne s'en est pas levé de plus grand que Jean le Baptiste; et cependant le plus petit dans le Royaume des cieux est plus grand que lui.

Esaïe 35

1 Qu'ils se réjouissent, le désert et la terre aride, que la steppe exulte et fleurisse,

 2 qu'elle se couvre de fleurs des champs, qu'elle saute et danse et crie de joie! La gloire du Liban lui est donnée, la splendeur du Carmel et du Sharôn, et on verra la gloire du SEIGNEUR, la splendeur de notre Dieu.

 3 Rendez fortes les mains fatiguées, rendez fermes les genoux chancelants.

 4 Dites à ceux qui s'affolent: Soyez forts, ne craignez pas. Voici votre Dieu: c'est la vengeance qui vient, la rétribution de Dieu. Il vient lui-même vous sauver.

 5 Alors, les yeux des aveugles verront et les oreilles des sourds s'ouvriront.

 6 Alors, le boiteux bondira comme un cerf et la bouche du muet criera de joie. Des eaux jailliront dans le désert, des torrents dans la steppe.

 7 La terre brûlante se changera en lac, la région de la soif en sources jaillissantes. Dans le repaire où gîte le chacal, l'herbe deviendra roseau et papyrus.

 8 Là on construira une route qu'on appellera la voie sacrée. L'impur n'y passera pas - car le Seigneur lui-même ouvrira la voie - et les insensés ne viendront pas s'y égarer.

 9 On n'y rencontrera pas de lion, aucune bête féroce n'y accédera - on n'en trouvera pas. Ceux qui appartiennent au Seigneur prendront cette route.

 10 Ils reviendront, ceux que le SEIGNEUR a rachetés, ils arriveront à Sion avec des cris de joie. Sur leurs visages, une joie sans limite! Allégresse et joie viendront à leur rencontre, tristesse et plainte s'enfuiront.

Prédication : 

             Nous parlons souvent de la destruction de Jérusalem et du Temple de Salomon, 585 av. J.C., et de la destruction de Jérusalem et du second Temple, 70 ap. J.C., mais nous parlons rarement de la destruction de Samarie, capitale du Royaume du nord, vers 722 av. J.C. Pourquoi en parlons-nous si peu ? Parce que les auteurs – religieux – de l’ancien testament n’ont guère aimé ces gens du « nord » qu’ils considéraient comme de vils polythéistes, qui avaient mis IHVH dans leur soupe religieuse, et qu’ils considéraient comme coupables d’avoir noué de vilaines alliances avec des Rois étrangers. Les auteurs de l’ancien testament donc ont mal parlé de ces gens-là. Cependant, et pour notre culture, le Royaume du nord a connu une période de prospérité économique, et de puissance politique, l’archéologie le dit avec précision. Et ce royaume a laissé aussi une littérature originale, à une époque où, au « sud », c'est-à-dire à Jérusalem, l’écriture n’était pas encore apparue.

            Peut-on lire cette littérature ? Oui, en lisant la Bible. Les auteurs de l’ancien testament (des gens du sud) ont utilisé certains textes et fragments (des auteurs du Nord) comme matériaux. Et en exerçant un peu nos yeux, nous pouvons apercevoir des paysages que les auteurs de Jérusalem ne connaissaient probablement pas, comme le Mont Carmel, comme la Plaine du Sharôn, et vous ajouterez à ces lieux la splendeur du Liban, entre autres. Ce sont bien les auteurs du Nord qui ont choisi cela comme expression imagée de leur espérance. Et tous ces noms sont les noms de leur tristesse, de leur nostalgie, mais aussi les noms de leur joie passée et de leur joie à venir.

             Car, vous l’avez entendu – nous l’avons lu – en Ésaïe 35 les verbes sont plutôt au futur. L’espérance se conjugue au futur, qu’il s’agisse des auteurs du Royaume du Nord, qu’il s’agisse aussi des auteurs du Royaume du Sud, prophètes et scribes, le bonheur se vit par anticipation du retour de l’exil, et parfois aussi par anticipation de l’avènement d’un guide qui conduira le peuple à la pleine réalisation de la vision ; il ira les chercher jusqu’au bout du monde, il les rassemblera, il les mènera, etc.. Retenez bien que les verbes sont au futur.

            Et Jean le Baptiste ? Tel qu’il est présenté au commencement de l’évangile de Matthieu, sa prédication diffère radicalement de ce que nous venons de rappeler. Il n’évoque pas un passé glorieux, il évoque un présent, (Matthieu 3,2) le Royaume des cieux s’est approché ; c’est ce qu’il annonce et nous devons bien comprendre ce que cela signifie : ce Royaume – le Royaume des cieux, n’a jamais été aussi proche qu’il ne l’est au moment où Jean le Baptiste parle, et ce Royaume ne pourra jamais être plus proche qu’il n’est maintenant. Nous pouvons appeler cela la première intuition de Jean le Baptiste : le Royaume des cieux est déjà là ! Et voici une seconde intuition de Jean le Baptiste : le Royaume des cieux ne tient pas tant à une intervention de Dieu qu’à un libre engagement humain. Celui de Jean, d’abord, celui aussi des gens qui adhèrent à sa prédication, et bien sûr ensuite l’engagement de Jésus, etc..

             Le Royaume donc, c’est au présent la prédication et l’engagement de Jean le Baptiste, prédicateur bouillonnant, qui fut jeté en prison. Et qui envoya ses disciples vers Jésus avec la question : « Es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? »

            Je vous parle, une fois encore, des traducteurs et de leurs traductions. Le mot à mot grec ne parle pas de devoir venir, ni de devoir attendre. Beaucoup plus simplement, et sans aucune notion de devoir, cela donne « Es-tu celui qui vient ? Ou en attendons-nous un autre ? En disant devoir venir, ce qui est un présent redevient un futur, et ce qui est librement offert redevient une chose qui doit être saisie. Et alors ce que nous avons appelé les intuitions de Jean le Baptiste se trouve être effacé.

            Nous demandons, pour quelle raison le libre accomplissement de l’espérance du temps présent est ainsi effacé, par les traducteurs… mais pas par eux seulement, il l’est aussi par Jean le Baptiste lui-même, en ce qu’il s’interroge, et en ce qu’il envoie ses disciples pour interroger Jésus. Et nous nous disons que si Jean le Baptiste vient lui-même effacer sa propre espérance, c’est que la reconnaître pour ce qu’elle est et la vivre comme simple mais magnifique illumination concrète du temps présent… cela ne doit pas être si facile. Ainsi, le prédicateur prêche, il donne une forme verbale à son espérance, avec des tournures suffisamment imagées  pour que le message reste pertinent suffisamment longtemps. Et le message vit sa propre vie. Et le message trouve ses auditeurs, et ses lecteurs. Et quelque chose un jour s’accomplit, littéralement, ou pas. Il y a un écart. Comment les gens envisageront-ils l’écart entre le message et les événements ? Et comment le prédicateur, s’il est encore en vie, envisagera-t-il l’écart entre ce qu’il a prêché et ce qui arrive ?

             Et nous revoilà auprès de Jean le Baptiste… avec sa question : Es-tu celui qui vient ? Nous connaissons la réponse. Oui et trois fois oui. Mais comme souvent dans la Bible, le lecteur est plus savant que certains personnages. Nous avons, si j’ose dire, deux millénaires d’avance sur Jean le Baptiste, et nous savons donc que Jésus est celui qui vient – non pas celui qui est venu et qui reviendra, ça n’est pas le propos aujourd’hui, ça n’est peut-être même jamais le propos. Ce qui importe, c’est l’intuition de Jean le Baptiste, assumée pleinement par Jésus le Christ, « les aveugles retrouvent la vue et les boiteux marchent droit, les lépreux sont purifiés et les sourds entendent, les morts ressuscitent et la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres. » Et pour nous, femmes et hommes de 2022, il nous faut porter les yeux sur le monde qui est le nôtre, trouver là où ça a lieu, et accomplir avec grâce ce que nous pouvons accomplir : et c’est bien là qu’Il est, il n’y en a pas d’autre à attendre, là est le Royaume des cieux, et c’est bien là que se perpétue l’espérance dont nous parlons depuis tout à l’heure.

             Jean le Baptiste a eu manifestement du mal à repérer tout ça. Et nous-mêmes ? En ce troisième culte de l’Avent, revenons sur ce que nous avons exploré, le très-haut, le très bas, et cette descente spirituelle – et peut-être même éthique – qui fait que, dans une sorte de parcours de la foi, le croyant peut frayer un chemin qui soit le sien.

            Jean le Baptiste est parti de très haut, et Jésus lui-même le reconnaît : « parmi tous ceux qui sont nés d’une femme, il ne s’en est pas levé de plus grand que Jean le Baptiste ». Aucun n’a mieux que lui saisi ce que sont la mémoire, le présent, le temps et l’espérance. Tout ce qu’il faut une fois au moins s’entendre dire, et qu’il faut profondément méditer, Jean le Baptiste l’a pensé, et l’a formulé. En ajoutant que c’est le Christ lui-même qui le dit de Jean, nous mesurons l’importance du propos. Cependant, ajoute Jésus, « le plus petit dans le Royaume des cieux est plus grand que lui. » Jean le Baptiste n’a pas cru à ce qu’il prêchait… un moment, au moins, il n’a pas cru.

             Ce qui n’empêche pas que, dans le Royaume des cieux, les choses s’accomplissent toujours pour le plus grand bien des hommes et pour la plus grande gloire de Dieu. Et le plus petit, tout en bas, les reconnait comme telles, sans hésitation aucune, et avec la plus grande joie. A cela, à l’espérance, au Royaume plus qu’au baptême, à suivre Jésus plutôt que Jean, les premiers croyants furent invités. Il me semble que nous sommes nous aussi invités. Amen