Matthieu 3
1 En ces jours-là paraît
Jean le Baptiste, proclamant dans le désert de Judée:
2 «Convertissez-vous: le Règne des
cieux s'est approché!»
3 C'est lui dont avait parlé le
prophète Ésaïe quand il disait: «Une voix crie dans le désert: ‹Préparez le
chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers.› »
4 Jean avait un vêtement de poil de
chameau et une ceinture de cuir autour des reins; il se nourrissait de
sauterelles et de miel sauvage.
5 Alors Jérusalem, toute la Judée
et toute la région du Jourdain se rendaient auprès de lui;
6 ils se faisaient baptiser par lui
dans le Jourdain en confessant leurs péchés.
7 Comme il voyait beaucoup de
Pharisiens et de Sadducéens venir à son baptême, il leur dit: «Engeance de
vipères, qui vous a montré le moyen d'échapper à la colère qui vient ?
8 Produisez donc du fruit qui
témoigne de votre conversion;
9 et ne vous avisez pas de dire en
vous-mêmes: ‹Nous avons pour père Abraham.› Car je vous le dis, des pierres que
voici, Dieu peut susciter des enfants à Abraham.
10 Déjà la hache est prête à attaquer
la racine des arbres; tout arbre donc qui ne produit pas de bon fruit va être
coupé et jeté au feu.
11 «Moi, je vous baptise dans l'eau
en vue de la conversion; mais celui qui vient après moi est plus fort que moi:
je ne suis pas digne de lui ôter ses sandales; lui, il vous baptisera dans
l'Esprit Saint et le feu.
12 Il a sa pelle à vanner à la
main, il va nettoyer son aire et recueillir son blé dans le grenier; mais la
bale, il la brûlera au feu qui ne s'éteint pas.»
Prédication : Vincennes, 4 décembre 2022, 2ème Dimanche de l’Avent
Je voudrais d’abord me souvenir avec vous de cette infinie
grandeur que nous avons évoquée tout récemment, celle du Christ Roi de
l’Univers, très haut, plus haut que tout, grandeur qu’en pensée, dans la foi,
et guidés par les Saintes Écritures, nous avons ramenée à la naissance d’un
enfant, non pas l’enfant de Bethléem que nous connaissons déjà si bien, mais un
enfant tout à fait anonyme. Il s’agit, dans cette méditation (pour la période
de l’Avent 2022) de tâcher de rester – peut-être de retrouver – une certaine
simplicité, un certain dénuement. Alors un enfant anonyme, des parents anonymes
donc aussi – voire pas de parents du tout – appelé à l’existence par l’attention
patiente à lui prodiguée par quelqu’un.
Et voici que – au second dimanche de l’Avent – Jean Baptiste
apparaît dans le paysage des Judaïsmes, disons vers les années 30, comme il est
écrit : en ces jours-là, Jean le Baptiste parut. Il parut, soudainement,
personne ne l’attendait, personne ne le connaissait. Ça n’est pas l’évangile de
Luc que nous méditons, évangile dans lequel est rapporté tout le pédigrée de
Jean le Baptise. Dans l’évangile de Matthieu, il apparaît (idem Marc) comme ça,
et nous pourrons dire qu’il apparaît anonymement. Il n’est fils, ou petit fils,
ni neveu de personne, et ne s’exprime que de sa propre autorité. Il emprunte leur
look et leur verbe aux anciens prophètes d’Israël. En tout cela, en-deçà de la
description que nous donnons de lui, il semble bien n’être intéressé ni par le
succès ni par une postérité.
Laissons-le là, comme une parole singulière, et
intéressons-nous plutôt à ce qu’il dit. Et avant ce qu’il dit, intéressons-nous
à qui il le dit. D’abord, il le dit au peuple. Il est un prédicateur de la fin
des temps, et le salut dont il parle tient au repentir de la personne, associé à
une confession personnelle des péchés, et à un baptême. Il semble bien que Jean
le Baptiste ait rencontré un grand succès. Il nous est difficile de dire
pourquoi. Nous n’avons que des conjectures… essayons.
Les gens de ce pays avaient un besoin religieux, un
besoin de pardon, besoin de sentir pardonnés par Dieu. En quel lieu, et
comment, ce besoin pouvait-il être satisfait ? C’est toute une histoire.
Le lieu et la manière n’ont pas toujours été uniques. Mais disons qu’à l’époque
du Baptiste, il y avait le Temple de Jérusalem. Lisant l’évangile de Matthieu,
nous nous limitons à ce lieu-là. Le recours à Dieu y était possible, et le
pardon de Dieu y était obtenu, moyennant l’accomplissement de sacrifices
compliqués, et tarifés. Le tarif des sacrifices – le prix du pardon – a dû être
l’objet de bien des contestations, de contestations violentes, si l’on en juge
par l’action de Jésus dans le Temple (Matthieu 21). Le repentir et l’engagement
de ceux qui venaient au Temple ne sont jamais interrogés… Le succès du Baptiste
était phénoménal, nous dit Matthieu… phénoménal un peu trop.
Phénoménal un peu trop : nous avons parlé pour l’instant
d’une adhésion un peu main stream,
des gens du peuple, peut-être sincères, incapables de se payer les sacrifices
du Temple… c'est-à-dire incapables de s’offrir par eux-mêmes les moyens de leur
salut. Et ceux-ci venaient en foule. Et venaient aussi, nombreux, des
Pharisiens et des Sadducéens…
Et deux questions se posent. Ce salut, peuvent-ils en
faire profiter leurs compatriotes ? La réponse devait pouvoir être
positive. Sauf que, Sadducéen, on l’était par appartenance à une lignée, hors
de laquelle il n’était point de salut. Et que Pharisien, il était possible de
le devenir en fréquentant telle ou telle école, mais cette fréquentation n’était
pas chose vraiment possible pour ceux qui avaient besoin de travailler dur pour
manger le soir. Et voilà que Jean le Baptiste propose à ses contemporains un
salut qui leur soit accessible, un salut qui ne réclame même pas l’ascèse,
comme nous l’avons déjà dit.
Deux questions se posent, avons-nous dit, celle d’abord d’un
salut accessible. L’autre question est beaucoup plus fine, et incisive :
Pharisiens et Sadducéens ont-ils cru en ce qu’ils pratiquaient eux-mêmes ?
C’est une question redoutable. Et avec ce que nous venons de dire, nous pouvons
répondre non. Ils n’y croyaient pas. Une simple observation nous permet d’être
catégoriques. Ils ne croyaient pas en ce qu’ils pratiquaient ; s’ils y croyaient,
pourquoi venaient-ils se présenter devant le Baptiste pour être baptisés par
lui ?
Fureur du Baptiste. Et à ces gens qui certainement se
pensaient très élevés, très saints, très au-dessus des autres hommes, il
adresse les invectives que vous savez. Ils sont très haut, et il va les mettre
très bas. Il leur propose un abaissement considérable. D’abord il les insulte :
ils sont des serpents, insulte désignant leur ruse et leur fourberie, ils sont
des végétaux, du genre qui épuisent la terre et ne produisent rien ; ils
sont de la balle, juste bon à brûler, et, gardons cela pour la fin, ils sont
des pierres, et certainement pas de nobles pierres de construction, mais des
pierres du désert de Judée, de la pierraille qui rend pour toujours impossible
toute fertilité.
C’est ce que leur dit, en substance, Jean le Baptiste. Une
descente vertigineuse, leur dit-il, c’est ce que vous avez accompli.
Le récit que nous méditons nous enseigne qu’une ascèse rigoureuse
comme celle de Jean le Baptiste n’est pas une nécessité. Plaise à Jean le
Baptiste de mener cette ascèse et d’être extraordinairement libre dans ses
paroles, d’interpeller dignitaires, princes et rois. Il propose à ses sœurs et
frères une vie religieuse, pleine, entière, et possible.
A bien des égards, Jésus en son temps ne fera pas
autrement. Ce dont nous parlerons plus tard dans l’année. Pour l’heure, avec
Jean le Baptiste, nous voyons quel chemin est possible, et en rendons grâce à
Dieu. Amen