Ésaïe 7
10 Le SEIGNEUR parla encore à Akhaz en ces termes:
11 «Demande un signe pour toi au
SEIGNEUR ton Dieu, demande-le au plus profond ou sur les sommets, là-haut.»
12 Akhaz répondit: «Je n'en
demanderai pas et je ne mettrai pas le SEIGNEUR à l'épreuve.»
13 Il dit alors: Écoutez donc,
maison de David! Est-ce trop peu pour vous de fatiguer les hommes, que vous
fatiguiez aussi mon Dieu?
14 Aussi bien le Seigneur vous
donnera-t-il lui-même un signe: Voici que la jeune femme est enceinte et
enfante un fils et elle lui donnera le nom d'Emmanuel.
15 De crème et de miel il se
nourrira, sachant rejeter le mal et choisir le bien.
16 Avant même que l'enfant sache
rejeter le mal et choisir le bien, elle sera abandonnée, la terre dont tu
crains les deux rois.
Matthieu 1
18 Voici quelle fut l'origine de Jésus Christ.
Marie, sa mère, était accordée en mariage à Joseph; or, avant qu'ils aient
habité ensemble, elle se trouva enceinte par le fait de l'Esprit Saint.
19 Joseph, son époux, qui était un
homme juste et ne voulait pas la diffamer publiquement, résolut de la répudier
secrètement.
20 Il avait formé ce projet, et
voici que l'ange du Seigneur lui apparut en songe et lui dit: «Joseph, fils de
David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse: ce qui a été
engendré en elle vient de l'Esprit Saint,
21 et elle enfantera un fils auquel
tu donneras le nom de Jésus, car c'est lui qui sauvera son peuple de ses
péchés.»
22 Tout cela arriva pour que
s'accomplisse ce que le Seigneur avait dit par le prophète:
23 Voici que la vierge concevra et
enfantera un fils auquel on donnera le nom d'Emmanuel, ce qui se traduit: «Dieu
avec nous».
24 À son réveil, Joseph fit ce que
l'ange du Seigneur lui avait prescrit: il prit chez lui son épouse,
25 mais il ne la connut pas jusqu'à
ce qu'elle eût enfanté un fils, auquel il donna le nom de Jésus.
Prédication
Je me souviens d’une exposition qui a tourné dans nos
temples, dont le titre était Protestants,
qui était sortie en 2000, panneaux et livrets, avec force citations
intéressantes dont celle-ci : « Un nom commence généralement comme un surnom,
voire une insulte. Il est repris comme un drapeau et une confession. » En
avril 1529, devant l’Empereur Charles Quint, qui souhaite rétablir le catholicisme
comme seule religion pour tout le Saint Empire, certains princes refusent de se
soumettre : Protestamus… En
latin du 16ème, protester signifie confesser sa foi. On les nommera Protestants. Et l’insulte deviendra un
drapeau. Un peu comme s’ils avaient dit : Protestants ? Chiche !
Il semble qu’il y ait eu des phénomènes linguistiques un peu semblables avec Huguenots, avec Camisards, et sans-culottes.
Nous sommes à peu près certains que le nom de chrétiens fut attribué, à
Antioche, à ceux qui se réclamaient du Christ, christ signifiant oint, chrétien
signifiant donc par dérision ceux qui sont pommadés, « sentant à dix pas
le cosmétique »… Et à chaque fois, dans ces bribes d’histoire que nous
partageons, le surnom et l’insulte sont repris comme un drapeau et une
confession. « Chiche… » Et le plus bas, le plus vil, devient un peu
comme une gloire.
Mais cette gloire, en laquelle habitent fierté et
consolation, épuise-t-elle la peine traversée et l’état de peine dans lequel on
a vécu ?
Si nous évoquons aujourd’hui ces questions de noms, voire
d’origine, c’est parce que deux d’entre elles nous sont proposées dans les
textes que nous venons de lire. Pour l’une, le surnom devenant nom c’est Esprit
Saint, pour l’autre, c’est Emmanuel. Et elles sont très intimement arrimées
l’une à l’autre.
Évoquons, tout d’abord, l’Esprit Saint, et surtout
l’Esprit Saint avec Marie. Et nous avons tous bien en tête l’épisode de la
visite à Marie de l’ange Gabriel, lequel lui apprend qu’afin qu’elle devienne
mère l’Esprit Saint la couvrira de son ombre… Évangile de Luc, le récit de la
rencontre de Marie avec l’ange, et ce qui s’ensuit, a trouvé dans les
traditions chrétiennes, et comment elles pensent la femme, une réception
superlative, pendant que l’évangile de Matthieu est plus prosaïque, au point
qu’on sent certains traducteurs gênés : ils introduisent du Luc à l’intérieur
de Matthieu. Matthieu : une très jeune femme est – littéralement – trouvée
enceinte – verbe trouver au passif – il y a quelque chose à l’intérieur – sans
ombre ni mystère, sauf un : mais de
qui ? C’est la question des villageois et de sa famille, question qui
concentre en elle tous les bonheurs, et tous les malheurs possibles pouvant
arriver à une femme. Celle qui est trouvée enceinte est promise à un homme….
Cette grossesse disons précoce la met en grand danger, affaire d’honneur. Si
l’homme se plaint publiquement, elle est morte.
Or, l’homme n’en fera rien. Un ange du Seigneur lui
commande d’agir autrement – nous savons comment. Mais pourquoi le commandement
de l’ange est-il possible ? C’est que l’homme est juste. Joseph est –
selon Matthieu – un homme juste. Mais qu’est-ce qu’un homme juste ? C’est
un homme qui, sans aucunement regarder à sa propre réputation, ni d’ailleurs
parfois à sa propre sécurité, fait pour autrui dans la détresse le choix de la
vie (et ça ressemble pas mal à la définition de ce qu’est un juste parmi les
nations). Le commencement de l’histoire de Jésus dans l’évangile de Matthieu
est une généalogie assez brillante… mais le commencement de l’histoire de Jésus
est aussi une affaire glauque, et tragique, très ras du sol, d’une ignominie
trouvée contre une femme, mais qu’un homme rachètera. L’évangile, donc, selon
Matthieu, commence avec le nom d’un juste : Joseph. Mais pas un juste
seulement. Le nom du juste n’est rien s’il n’est pas le nom de la justice. Le
nom du juste est le nom de la justice, le nom de toutes celles et ceux qui,
inspirés par cette histoire, agiront dans la justice et pour tels de leurs
semblables (27.712 personnes ont reçu – 1er janvier 2020 – le titre
de juste parmi les Nations).
L’Évangile donc, a son commencement dans l’engagement
d’un homme. Non pas de l’homme Joseph exclusivement, mais d’un être humain. Le
commencement de l’Évangile peut être totalement anonyme. Il n’est alors
possible que sous la clause d’une espérance. Et c’est de cette espérance que
nous allons parler maintenant.
L’ange nous met sur la voie qui rappelle qu’Emmanuel, le
nom donné à l’enfant qui doit naître, signifie Dieu avec nous. Les compétences de cet enfant devenu adulte :
sauver son peuple de ses péchés… Jésus et Emmanuel, dans la pensée de Matthieu, c’est le même. Cela
devrait être le même. Pourquoi deux noms ? Nous avons vu tantôt que l’acte
peut porter le nom d’une personne, mais que ce qui motive l’acte peut être épuisé
par le nom d’une personne. Transmettre la mémoire de l’acte est simple,
transmettre la motivation de l’acte, de sorte qu’il ait lieu de nouveau, c’est
bien plus difficile.
Pour le faire, Matthieu évoque l’un de ses prédécesseurs,
qui, en son temps, a dû penser l’espérance dans les larmes, la fécondité dans
l’impossible, et a inventé pour cela le nom d’Emmanuel, enfant mis au monde par
une très jeune femme, enfant qui, devenu adulte, saura – entre autres – rejeter
le mal et choisir le bien. En regardant en amont, Matthieu rencontre Ésaïe
(7,10-16 – texte du jour), il rencontre un texte et un nom, rencontre qui est
comme condition de possibilité de l’espérance et de l’engagement – de Matthieu.
Mais Ésaïe, lui, que rencontre-t-il ? Ésaïe a-t-il
un nom, ou quelque chose, à quoi il se réfère et qui soit, pour lui,
inépuisable motif et de l’espérance et de son engagement ? Nous ne le
savons pas. Dans nos Bibles savantes, nous ne recueillons pas de citations
provenant d’autres auteurs et d’autres cultures. Mais il y a d’autres
ressources pour le prophète. Emmanuel, c’est – redisons-le – Dieu avec nous. Peu de temps avant le
ravage d’un pays entier, profitant d’une sorte d’accalmie, le prophète commet
un jeu de mot – il s’agit bien de cela – qu’il propose comme formule de
l’action de grâce, et aussi comme formule l’espérance aux temps mauvais. Un
seul nom pour un seul homme, un seul nom pour un seul Dieu, quels que soient
les moments de l’histoire, la douceur de vivre, ou la catastrophe. Mais où
trouve-t-il ce nom ?
Il trouve ce nom dans le langage, dans des bouts de
langage qui, associés judicieusement les uns aux autre, produisent de
l’inspiration et du sens. Avant donc qu’Emmanuel devienne le nom de quelqu’un,
et que son sens s’épuise dans une reconnaissance trop souvent parcourue, il y a
trois fragments de langage qui, pour
toujours, peuvent rester ce qu’ils sont, mais qui, associés peut-être à
d’autres fragments, peuvent renouveler l’espérance et faire se recommencer
l’engagement. L’espérance ainsi située repart de tout en bas, là où les mots
s’élaborent, dans ces lieux humains qui sont inépuisables.
L’espérance peut-elle repartir de plus bas encore que ces
fractions de mots ? Oui. Elle peut repartir d’une lettre, comme le i, et même du point sur le i
(Matthieu 5,18) comme du point sur l’iota des grecs ; et pour ceux
qui sont de culture hébraïque, l’espérance peut toujours renaître d’une de ces
petites cornes qui décorent les caractères avec lesquels on écrit. Ainsi,
« (…) avant que ne passent le ciel et la terre, pas un i, pas une corne
d’une lettre de la loi ne passera que tout ne soit arrivé » (Matthieu 5:18).
Avant que tout ne soit arrivé ? Tout quoi ?
Quelle totalité ? Des maux et des drames ? Comme si la totalité des
drames possibles pouvait un jour être atteinte dans l’histoire… Non. Ou peut-être.
Mais plutôt – nous le croyons – comme si la totalité des bonheurs possibles
pouvait être atteinte dans l’histoire ? Et nous disons que non. Ce que
nous avons dit des Écritures, nous pouvons le dire aussi de l’espérance. Rien
ne les épuise, rien de l’épuisera. Un être humain s’en empare, choisit d’en
vivre et de la partager. Et tout peut recommencer. Amen.