samedi 26 novembre 2022

Premier dimanche de l'Avent 2022 (Matthieu 24,37-44)

Matthieu 24

37 Tels furent les jours de Noé, tel sera l'avènement du Fils de l'homme;

 38 car de même qu'en ces jours d'avant le déluge, on mangeait et on buvait, l'on se mariait ou l'on donnait en mariage, jusqu'au jour où Noé entra dans l'arche,

 39 et on ne se doutait de rien jusqu'à ce que vînt le déluge, qui les emporta tous. Tel sera aussi l'avènement du Fils de l'homme.

 40 Alors deux hommes seront aux champs: l'un est pris, l'autre laissé;

 41 deux femmes en train de moudre à la meule: l'une est prise, l'autre laissée.

 42 Veillez donc, car vous ne savez pas quel jour votre Seigneur va venir.

 43 Vous le savez: si le maître de maison connaissait l'heure de la nuit à laquelle le voleur va venir, il veillerait et ne laisserait pas percer le mur de sa maison.

 44 Voilà pourquoi, vous aussi, tenez-vous prêts, car c'est à l'heure que vous ignorez que le Fils de l'homme va venir.

Prédication : premier dimanche de l’Avent 2022

            Et voici que revient le temps de l’Avent, et pour parler de ce temps, l’on évoque Noé, l’épître aux Romains, et Ésaïe, tous des textes qui évoquent de grands chambardements – étranges – étranges dont il est difficile de dire s’ils sont finalement des fins ou des commencements.

            Pourquoi ces textes ? Pourquoi ces textes, chacun dans son site et dans son temps propres ? Et pourquoi ces textes quatre semaines avant Noël ? L’Avent revient chaque année, c’est du temps cyclique, le premier dimanche de l’Avent 2023 sera le 3 décembre. Mais avec – et pendant – ce temps, il se passera un temps linéaire, un jour passera après un autre jour, et jusqu’à la fin, ou du moins jusqu’à une fin. Cette fin n’est pas la même suivant les auteurs. La fin de l’humanité selon la Genèse (Noé) n’est pas la fin selon Ésaïe – la fin de l’humanité est un accomplissement positif – la fin selon la Genèse ; Noé est sa famille vont seuls survivre au Déluge, ce qui est un recommencement, mais le reste de l’humanité disparaît dévoré par les eaux… et l’humanité qui surgit des fils de Noé sera une humanité confuse et pécheresse sur laquelle Dieu se penchera, pour dire que l’homme est mauvais, mais que Lui, Dieu, n’en veut pas d’autre… Le récit du Déluge pourrait être le support unique de notre méditation du premier dimanche de l’Avent.

            Mais, avec Matthieu, Jésus qui parle à ses disciples – et Paul qui parle aux Romains – nous sommes invités à réfléchir en quelque manière à la première personne du singulier. Réfléchir à la première personne du singulier, mais sur quoi ?

Et bien sur cette fin, qui est peut-être un commencement, et sur la préparation (et je crois que, déjà, l’année dernière, j’ai évoqué pour vous un vieux cantique, que j’ai appris au début des années 70, « Jésus revient, Alléluia… Seras-tu prêt quand il viendra, Alléluia, Alléluia ? … »

            L’affirmation première est donc – si l’on ne fait pas attention – que Jésus va revenir, et que son retour sera précédé de signes considérables et qu’au sujet de ces signes, la question posée à chacune et chacun est : seras-« tu » prêt ? Et l’on entend alors que, au moment où nous parlons, « tu » n’es pas prêt, « tu » n’es pas prête. En avançant encore un peu dans le chant, on chantera « si tu es prêt il te prendra », sans qu’une strophe où une autre n’ait suggéré ce qu’il faudrait faire, ou ce qu’il aurait fallu faire, pour être prêt le moment venu. Si tu es prêt… mais que faire, comment faire, pour être prêt ? Et si je ne suis pas prêt maintenant, le serai-je jamais ? Ainsi envisagé, ce cantique, même s’il vous fait chanter force Alleluia peut laisser dans son sillage une sorte de parfum amer.

            Nous pouvons revenir à ceci : Jésus revient, Alleluia… Bien sûr, cela peut signifier qu’il est en train de revenir, ce que nous avons déjà envisagé. Mais cela peut signifier aussi qu’il est déjà là. Et la suite du cantique va se constituer ainsi : il est là, le reconnais-tu, maintenant ?

 

            Alors voici le premier dimanche de l’Avent, quatre semaines avant Noël et quelqu’un dit, avec audace, Il est là. Ce doit être une affirmation très belle, pleine de confiance, pleine peut-être aussi d’un enthousiasme sacré, d’une jubilation.

            Mais cette même affirmation, « Il est là », peut faire penser à Jacob (Genèse 28) et au rêve qu’il fait, à Beth El – maison Dieu – une échelle qui touche le ciel, et des anges qui montent et qui descendent… L’affirmation « Il est là » nous fait penser à ce que Jacob dit lorsqu’il se réveille, « Ouh là là, Dieu est dans ce saint lieu, et moi je ne le sais pas. » Ce saint lieu, c’est trois cailloux posés par terre au milieu de nulle part, avec l’affirmation, par un homme, que Dieu y est, et que lui, l’homme, il ne sait pas, ne peut, ou ne veut, pas le savoir. Et nous revoilà, Jacob, ou n’importe quel autre, est-il prêt lorsque Dieu est là ? Est-il prêt à voir Dieu au milieu de nulle part avec trois cailloux ? Avec le même vocabulaire, mais transporté au Temple de Jérusalem, ne serait-il pas prêt à voir Dieu, et joyeux, voire tout plein d’orgueil ? Dieu, ou Jésus, à quoi reconnaît-on lorsqu’il est là ?

            Et bien, il y a toute une série de dimanche, toute une série de textes et de sermons qui s’achèvent dans une sorte d’apothéose qu’on nomme  fête du Christ Roi, ou encore fête du Christ Roi de l’Univers. Et c’est comme si la flèche du temps – linéaire – avait atteint son but. C’est Jésus qui, ayant revêtu la toute puissance divine, l’emporte, définitivement. Ou encore c’est le plein accomplissement de l’Exode, lorsque s’effondrent les murailles de Jéricho (Josué 6), ou encore la Divine présence qui revient d’exil pour habiter le Temple restauré… Ce sont des triomphes, et il est aisé  de reconnaître là Dieu, et de reconnaître Jésus s’il s’agit de Lui. Mais est-ce lui, serons-nous prêts à le reconnaître, du point de vue par exemple des habitants de Jéricho, massacrés jusqu’au dernier, ou encore du point de vue de ceux qui seront les laissés pour compte du jugement dernier ? « Deux hommes seront aux champs, l’un sera pris et l’autre laissé » Pourquoi lui, et pas l’autre ? Pourquoi lui, et pas moi ?

            Christ Roi de l’Univers, chacun est, tous sont, prêts à le reconnaitre, évidemment, mais ça n’est pas si simple, parce que même si quelqu’un affirme  que tel est Dieu, le monde est aussi tel qu’il est. Il y a de la beauté. Et il y a – entre autres drames – celui des guerres en cours avec leur cortège infernal de dommages collatéraux. Les Christ en gloire serait-il là-dedans ? Seras-tu prêt à dire que c’est ainsi qu’il vient et que c’est ainsi que tu le reconnais ? Le dire sera, par rapport au Christ, descendre déjà d’un cran. Et ça va descendre d’un cran supplémentaire. Parler des dommages collatéraux d’une guerre, c’est encore parler avec des mots un peu abstraits. Mais il y a des corps déchirés, et il y a des gens aussi que le fer et le feu ont épargnés, mais qui ont tout vu, tout entendu, et dont la vie sera un enfer parce qu’ils ne trouveront plus jamais le sommeil… Seras-tu prêt ? Le reconnaîtras-tu, le Christ ?

            Il ne s’agit pas d’un grand consolateur que chacun veut rencontrer, mais du mal, du ravage lui-même. Et la descente continue. Elle doit continuer, car ces gens ont des noms que nous nous pouvons connaître. Cette descente doit continuer aussi parce que, parmi ces gens, sous les bombes, et en Judée occupée, il y en a qui sont en train de mettre au monde la prochaine génération. Et comment cela se passe-t-il ? Des enfants, des rien du tout. Cela se passe comme ça, avec une mortalité infantile considérable, et comme si ça ne suffisait pas, des massacres viennent compléter ce menu des horreurs (Matthieu 2). Seras-tu prêt pour que tout en bas, un enfant totalement anonyme et incroyablement faible, le Très Bas (Christian Bobin), survive, et soit reconnu juste dans sa survie – et rien d’autre – comme espérance pour l’humanité ?

            Du triomphe cosmique à la fragilité absolue d’un nouveau-né anonyme sur un terrain de guerre, peut-on descendre encore plus bas ? Nous pouvons toujours recueillir un plus affreux récit. Nous le savons mais ça n’est pas pour cela que nous méditons. Le temps cyclique passe par un certain point bas, c’est entendu, et dépouille le croyant de certitudes superflues.

            C’est de là ensuite que vient et revient la vie, dans la révolte et dans les larmes peut-être. Mais c’est la vie.