mercredi 23 novembre 2022

Christ Roi (Luc 23, 32-43)


 A la demande de plusieurs, nous ajoutons à notre liste de sermons celui donné par A. Walter le 20 novembre dernier. Merci à lui.

Luc 23

 32 On en conduisait aussi d'autres, deux malfaiteurs, pour les exécuter avec lui.

 33 Arrivés au lieu dit «le Crâne», ils l'y crucifièrent ainsi que les deux malfaiteurs, l'un à droite, et l'autre à gauche.

 34 Jésus disait: «Père, pardonne-leur car ils ne savent pas ce qu'ils font.» Et, pour partager ses vêtements, ils tirèrent au sort.

 35 Le peuple restait là à regarder; les chefs, eux, ricanaient; ils disaient: «Il en a sauvé d'autres. Qu'il se sauve lui-même s'il est le Messie de Dieu, l'Élu!»

 36 Les soldats aussi se moquèrent de lui: s'approchant pour lui présenter du vinaigre, ils dirent:

 37 «Si tu es le roi des Juifs, sauve-toi toi-même.»

 38 Il y avait aussi une inscription au-dessus de lui: «C'est le roi des Juifs.»

 39 L'un des malfaiteurs crucifiés l'insultait: «N'es-tu pas le Messie? Sauve-toi toi-même et nous aussi!»

 40 Mais l'autre le reprit en disant: «Tu n'as même pas la crainte de Dieu, toi qui subis la même peine!

 41 Pour nous, c'est juste: nous recevons ce que nos actes ont mérité; mais lui n'a rien fait de mal.»

 42 Et il disait: «Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras comme roi.»

 43 Jésus lui répondit: «En vérité, je te le dis, aujourd'hui, tu seras avec moi dans le paradis.»

Prédication 

C’est donc la fête du Christ Roi de l’univers et pourtant l’évangile du jour (Lc 23, 32-43) nous montre Jésus crucifié, donc victime d’un affreux supplice et tout proche de la mort. Comment prétendre que le Christ est roi dans de telles conditions ?

Certes, au-dessus de lui sur la croix il y a une inscription « celui-ci est le roi des Juifs » mais c’est par pure dérision.

Jésus inverse totalement les perspectives : « Les rois des nations commandent en maîtres (...) Pour vous, qu’il n’en soit pas ainsi ; au contraire, que le plus grand d’entre vous se comporte comme le plus petit, et celui qui gouverne comme celui qui sert » dit-il dans l’évangile de Luc (Lc 22, 25-26) mais on retrouve ce thème partout dans les évangiles. Avec le Christ, le concept de royauté change de sens.

Les quatre évangélistes Matthieu, Marc, Luc et Jean nous rapportent de façon assez semblable ces derniers instants de la vie de Jésus. Et pourtant chacun d’entre eux, selon son projet narratif et théologique, met l’accent sur des points différents.

Les quatre évangélistes s’accordent pour dire que Jésus a été crucifié entre deux malfaiteurs.

Dans les trois évangiles synoptiques, Jésus est mis par trois fois au défi de se sauver ou d’appeler Dieu son Père pour le sauver. Ce défi est lancé par les passants (Mt et Mc), les chefs des prêtres (Mt, Mc, Lc), les soldats (Lc), les malfaiteurs crucifiés (Mt, Mc, Lc). Cela fait écho aux trois tentations que Jésus a éprouvées au désert au début de son ministère de la part du diable (Lc 4, 3 et s.). Jésus rejette toutes ces tentations mais l’évangile dit « le diable s’éloigna de lui jusqu’à une autre occasion » (Lc 4, 13). Sur la croix, le diable, par l’intermédiaire des passants, des chefs des prêtres, des soldats, des malfaiteurs, trouve une nouvelle occasion mais, à nouveau, Jésus ne cédera pas à la tentation.

On dit à Jésus : « sauve-toi toi même ». La grande tentation pour chacun d’entre nous est aussi de vivre sans Dieu au cœur de notre vie et de ne compter que sur nous-mêmes. Et de croire qu'on peut se sauver par soi-même.

En rassemblant les quatre évangiles, on compte sept dernières paroles du Christ sur la croix, sept paroles qui ont été mises en musique entre autres par les compositeurs Schütz, Pergolèse, Haydn, Gounod, César Franck.

L’ordre chronologique le plus vraisemblable de ces 7 dernières paroles est celui-ci :

1. « Père, pardonne leur car ils ne savent pas ce qu’ils font » (Lc 23, 34) ;

2. « En vérité je te le dis, aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis », adressée au « bon larron » crucifié avec Jésus (Lc 23, 43) – ces deux premières paroles sont dans le texte du jour ;

3. A sa mère, « Mère, voici ton fils,» en parlant du disciple qu’il aimait, et au disciple : « Voici ta mère » (Jn 19, 26-27) ;

4. « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné », (Mt 27, 46 et Mc 15, 34) ;

5. « J’ai soif » (Jn 19, 28) ;

6. « Tout est achevé » (Jn 19, 30) ;

7. « Père je remets mon esprit entre tes mains » (Lc 23, 46).

Donc le Christ pardonne (à ses bourreaux), a pitié (du larron), protège (sa mère), doute, a soif, s’abandonne et s’offre.

Plus exactement, dans la première parole, qui n’est rapportée que par Luc, Jésus ne dit pas « je vous pardonne » mais demande à son Père « pardonne-leur », peut-être parce qu’il ne se sent pas en mesure de le faire, du fait de la souffrance qu’il éprouve. Ce pardon concerne sans doute non seulement les soldats qui l’ont crucifié mais aussi ceux qui l’ont condamné.

Le pardon pour ses bourreaux consonne avec l’éthique d’amour des ennemis que Jésus a enseigné pendant son ministère (Lc 6, 27-28). Etienne, le premier martyr chrétien, adressera la même demande dans le livre des Actes des Apôtres rédigé également par Luc (Ac 7, 60).

 Jésus dit « Ils ne savent pas ce qu’ils font », c’est-à-dire ils ne savent pas qu’ils crucifient le Messie.

La deuxième parole, qui n’est également rapportée que par Luc, est le dialogue entre Jésus et les deux brigands crucifiés avec lui. Chez Matthieu et Marc, il est seulement dit que ces deux brigands l’insultaient et Jean ne dit rien à leur sujet.

Comme souvent dans l’évangile de Luc, on trouve deux personnages opposés, ici un bon et un mauvais larron, avant il y a eu Marthe et Marie, le fils prodigue et son frère aîné, Lazare et l’homme riche, le pharisien et le collecteur d’impôts, Zacharie le père de Jean-Baptiste et Marie la mère de Jésus … Deux personnages opposés ou peut-être les deux visages d’une même personne, une personne divisée comme nous le sommes tous.

Jésus dit aussi : "un sera pris et un autre laissé!" (Lc 17, 34).

Le mauvais larron n’était peut être pas si mauvais. Il dit à Jésus « sauve-toi toi-même et nous avec toi », il pense donc à ses deux compagnons d’infortune. Mais il désespère de la miséricorde divine, qu’il méprise volontairement.  

Le bon larron, dit « souviens-toi de moi quand tu viendras pour être roi ». Il ne parle donc que de lui mais ne demande même pas à être sauvé. Il accepte son sort et pense qu’il est mérité, au contraire de celui de Jésus, injustement condamné. Sans doute, le bon larron a-t-il été retourné par le pardon de Jésus.

La grâce de Dieu opère une œuvre merveilleuse dans son cœur.

Souvent dans les évangiles et notamment dans celui de Luc, la foi se manifeste chez les personnes les plus inattendues, ainsi un officier romain dont le serviteur était malade (Lc 7, 6-9), la femme qui lava les pieds de Jésus avec ses larmes (Lc 7, 36) ou encore Zachée le collecteur d’impôts (Lc 19 1-10).

La réponse de Jésus au bon larron est : « aujourd’hui, tu seras avec moi dans le paradis ».

Le mot « paradis » est extrêmement rare dans le Nouveau Testament. Paul l’utilise une fois pour parler de sa vision sur le chemin de Damas (2 Cor 12, 3-4) et on le trouve aussi une fois dans l’Apocalypse (Ap 2, 7). Dans les évangiles c’est la seule fois où le mot est utilisé et c’est lorsque Jésus est sur la croix.

De même, le mot « aujourd’hui » est peu utilisé, notamment par Luc. L’aujourd’hui du salut renvoie à la prédication de Jésus à Nazareth au tout début de son ministère (Lc 4, 21).

Jésus prodigue le pardon d’emblée en déclarant au pécheur repenti crucifié à ses côtés qu’aujourd’hui même il sera avec lui au paradis. Il met en acte ce pardon comme il l’a toujours fait – entier, immédiat, sans conditions, fondé sur la foi et l’humilité qui saisissent toute personne mue par une conversion sincère. « Ta foi t’a sauvé, va en paix » a-t-il souvent dit au cours de ses rencontres avec des repentants. La conversion vaut au pécheur la rémission de ses péchés.

Et Luc dit par ailleurs : « il y a plus de joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se repend que pour 99 justes qui n’ont pas besoin de repentance » (Lc 15, 7). 

Mais que signifie que le Christ est mort pour nos péchés ? Et en quoi la mort du Christ sur la croix peut-elle nous sauver ?

L’interprétation de Saint Anselme de Cantorbéry au Moyen Age était que le Christ se donnait sa vie à Dieu pour racheter les fautes que nous avions commises envers celui-ci. Mais l’Ancien Testament le dit, Dieu ne veut pas de sacrifices, et certainement pas de sacrifices humains.

Or sur la croix, Jésus renverse l’image religieuse d’un Dieu violent qui est à l’image de la violence qui nous habite et que les hommes projettent parfois sur une figure divine.

 

Désormais, on ne peut plus dire que c’est Dieu qui frappe, on ne peut plus se servir de Dieu pour juger, haïr, exclure, blesser ou tuer parce que, en Jésus, c’est, au contraire, Dieu qui, sur la croix, se laisse juger, haïr, rejeter et tuer.

 

Dans les évangiles de Luc et Jean, Jésus paraît maître de son destin, il paraît assumer son sort sans faiblir ni douter. La dernière parole de Jésus, « Père entre tes mains je remets mon esprit », issue de l’évangile de Luc, est toute de confiance. On la trouve dans le Psaume 31. Chez Matthieu et Marc, sa dernière parole, sa seule parole sur la croix est « mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » On pourrait croire que Jésus est en proie lui-même au péché qu’il est venu combattre, le plus grand péché, qui est celui de l’incrédulité.

Mais ces paroles de Jésus sont le début du Psaume 22, dans lequel on retrouve des détails du récit de la passion notamment le partage des vêtements de Jésus par les soldats, qui est finalement un Psaume de confiance. Jésus se tourne tout de même vers Dieu, il nous désigne encore la Bonne Nouvelle pour que nous en vivions.

Et la Bonne Nouvelle, c’est que la valeur ultime de la vie, c’est d’être accueilli et reconnu par quelqu’un qui ne tient pas compte de ce que nous sommes au regard des autres comme à nos propres yeux. C’est cela ce que Jésus a fait pour nous sur la croix.

Tout ce qui nous est arrivé de plus beau dans notre vie a toujours eu avant tout le caractère du don, de la rencontre, de l’immérité. La grâce de Dieu est ainsi, offerte, inattendue, injustifiée, à condition de la recevoir les mains vides en s’y abandonnant avec confiance et en y répondant par notre foi, comme le fit Abraham, comme le fait le bon larron à l’instant ultime de sa vie

Dieu attend de nous une réceptivité active, la confession de nos fautes et la foi en la grâce qu’il nous prodigue.

Le bon larron a compris que la mort n’aura pas le dernier mot, il a encore la force de vie qui vient maintenir vivante « la petite flamme espérance » pour reprendre le mot de Charles Péguy.

Le mauvais larron attend tout mais n’espère rien. Le bon larron n’attend rien mais espère tout.

La foi, l’espérance et l’amour, les trois vertus théologales chantées par Paul dans la 1ère épitre aux Corinthiens, au chapitre 13, celles qui ne passeront jamais. La foi qui donne l’espérance, l’espérance qui ouvre sur l’amour et l’amour qui transforme notre vie en vie éternelle, car l’amour est éternel et son message demeure. C’est cela notre Dieu.

Amen !