samedi 12 novembre 2022

Pour une invincible espérance (Luc 21,5-19)

 Luc 21

5 Comme quelques-uns parlaient du temple, de son ornementation de belles pierres et d'ex-voto, Jésus dit:

 6 «Ce que vous contemplez, des jours vont venir où il n'en restera pas pierre sur pierre: tout sera détruit.»

 7 Ils lui demandèrent: «Maître, quand donc cela arrivera-t-il, et quel sera le signe que cela va avoir lieu?»

 8 Il dit: «Prenez garde à ne pas vous laisser égarer, car beaucoup viendront en prenant mon nom; ils diront: ‹C'est moi› et ‹Le moment est arrivé›; ne les suivez pas.

 9 Quand vous entendrez parler de guerres et de soulèvements, ne soyez pas effrayés. Car il faut que cela arrive d'abord, mais ce ne sera pas aussitôt la fin.»

 10 Alors il leur dit: «On se dressera nation contre nation et royaume contre royaume.

 11 Il y aura de grands tremblements de terre et en divers endroits des pestes et des famines, des faits terrifiants venant du ciel et de grands signes.

 12 «Mais avant tout cela, on portera la main sur vous et on vous persécutera; on vous livrera aux synagogues, on vous mettra en prison; on vous traînera devant des rois et des gouverneurs à cause de mon nom.

 13 Cela vous donnera une occasion de témoignage.

 14 Mettez-vous en tête que vous n'avez pas à préparer votre défense.

 15 Car, moi, je vous donnerai un langage et une sagesse que ne pourra contrarier ni contredire aucun de ceux qui seront contre vous.

 16 Vous serez livrés même par vos pères et mères, par vos frères, vos parents et vos amis, et ils feront condamner à mort plusieurs d'entre vous.

 17 Vous serez haïs de tous à cause de mon nom;

 18 mais pas un cheveu de votre tête ne sera perdu.

 19 C'est par votre persévérance que vous gagnerez la vie.

Prédication

            Souvenons-nous, il y a une semaine, parmi les textes biblique que nous avons lus, un grand moment merveilleux. Trois jeunes hébreux exilés en Babylonie refusent avec obstination de s’incliner devant une statue de roi. Ils sont donc condamnés à être jetés dans une fournaise. Ils sont jetés dans la fournaise mais l’ange du Seigneur vient et les protège. Ils sont sauvés, sortent du feu sans une brûlure, et son élevés par le roi à une dignité considérable. Fin de l’épisode merveilleux, de cet épisode-là en tout cas. Dans le même livre, il existe un autre épisode assez fameux. Daniel, qui prie Dieu alors que cela est interdit par le roi, se voit démasqué, et condamné à être jeté dans une fosse pleine de lions… et que croyez-vous que les lions firent ? Il y a aussi, dans le livre de la Genèse, Joseph, 11ème fils de Jacob, qui contre son grès se retrouve projeté en Égypte, où la puissance de Dieu fait qu’il accomplit une merveilleuse carrière. Et puis, il y a Esther, un de ces livres si étranges que, faisant partie de la Bible, on n’y parle même pas de Dieu.

            Dieu ou pas Dieu, ces livres ont bien des choses en commun. Parmi ces points communs, il y a une providence. Ces exilés sont pour la plupart pieux, tous droits et honnêtes, soucieux, toujours, du souverain qui règne. Dieu les protège et les bénit. Et ils réussissent. On rassemble parfois ces textes sous une même appellation : roman du Juif de l’étranger. C’est que, oui, ils ont tout du roman, et même du roman merveilleux. Ils portent un message : le Juif qui réside à l’étranger, et qui demeure fidèle à Dieu, réussit dans tout ce qu’il entreprend, même s’il était au départ un vaincu, et un déporté.

            C’est une promesse. Mais comment accueillir cette promesse ? Peut-être qu’il ne faut pas attendre de cette promesse un exaucement littéral. Car cela pourrait avoir pour conséquence un possible et grave développement de la culpabilité : si cette réussite n’arrive pas, ce doit être de ta faute. Alors peut-être vaut-il mieux penser que le roman merveilleux du juif de l’étranger est un langage de l’espérance, une exhortation à la fidélité à Dieu…

 

            Toute cette méditation après l’un des textes de la semaine dernière (Daniel 3), et nous allons poursuivre, avec l’un des textes d’évangile qui parlent de la fin, fin des temps, pour certains textes, fin de Jérusalem, pour d’autres textes.

            Nous lisons aujourd’hui Luc 21, et nous savons que les évangiles ont tous intégré des textes sur la fin, et même plusieurs textes sur la fin. Luc, dès son 17ème chapitre : « 34 Je vous le dis, cette nuit-là, deux hommes seront sur le même lit: l'un sera pris, et l'autre laissé. 35 Deux femmes seront en train de moudre ensemble: l'une sera prise, et l'autre laissée. » Il parle là de la fin de la fin, c'est-à-dire du grand tri final que Dieu opérera selon sa divine justice. La fin de la fin, parce qu’avant, autre chose se passe, que nous avons lu. C’est l’énumération de tous les malheurs possibles. Et pas seulement les belles pierres du beau Temple. Il ne suffit pas de donner à penser à la chute de Jérusalem, qui doit venir, et qui est peut-être bien déjà venue lorsqu’est écrit l’évangile de Luc. Ces pierres – celles du Temple, celles de la ville – sont infiniment plus que des pierres. Elles sont tout un programme et un projet religieux, elles sont l’écrin dans lequel Dieu demeure, elles sont aussi une histoire, écrite et orale. Et elles ne sont plus. Et elles, qui représentaient l’histoire et l’ordre de Dieu, seront dès lors et toujours un tas, des gravats, un chaos.

            Et ce qui suit, l’énumération qui est faite, après les pierres, ce sont les gens, les humains. Le chaos des pierres et le chaos des gens, c’est toujours le chaos. Et ce chaos humain détruit toutes les structures sociales, familles, et communautés religieuses.

            Et ça n’est pas comme si une puissance étrangère venait, vainquait, asservissait et déportait – ce qui est le champ pour nous connu de l’espérance du juif de l’étranger. Avec le texte que nous méditons, ça se passe pour ainsi dire sur place, c’est domestique. C’est une sorte de chaos qui, dans son développement ultime, ne laisse plus que des individus esseulés. Chacun ne compte que pour lui-même, chacun ne compte que sur lui-même. Peut-être de courts arrangements d’intérêts peuvent-ils être temporairement passés, mais pour un temps très court. Chacun pour soi… et c’est de ce reste du monde, c’est du chaos que parle Jésus…

            Avons-nous connu un tel chaos ? Les Européens que nous sommes doivent faire mémoire de la catastrophe qui eut lieu entre 1933 et 1945. Les plus anciens parmi nous ont pu être témoins de certaines horreurs, de l’arbitraire de l’occupation et de la violence des camps. Mais pour ceux qui sont plus jeunes ? Ils n’auront connu ni l’occupation ni la déportation… Nous n’avons pas non plus connu les martyrs des chrétiens des premiers siècles – n’est pas Sainte Blandine qui veut. Nous avons été épargnés par ces malheurs… mais il peut arriver que la vie soit ravagée, pour diverses raisons, au point qu’on se sente abandonné, désespérément seul, et moqué par nos plus ou moins proches, en raison parfois de la foi (même une ironie ordinaire peut meurtrir). Jésus a-t-il ici quelque chose à dire, qui ressemblerait à de l’espérance ?

 

            Jésus a quelque chose à dire, et que nous avons lu : C’est par votre persévérance que vous gagnerez la vie. C’est la proposition de la TOB. Louis Segond propose : par votre persévérance vous sauverez vos âmes.

            Grande diversité de traduction, gros enjeu… C’est que nous parlons d’existences ravagées par le chaos, des existences rendues par le malheur incapables de tout. Va-t-on prêcher l’endurance, ou la persévérance, à ceux qui sont irrémédiablement défaits ? Va-t-on leur dire qu’un salut est possible et qu’il a pour condition leurs efforts ? Et va-t-on, en fait de salut, leur promettre quelque chose dans l’au-delà, pourvu qu’ici-bas ils se soient bien tenus ?

            Rien sur l’au-delà, semble-t-il, dans ce propos de Jésus. Ni rien non plus à faire. Quelle attitude devant et dans le chaos ? La patience… dirons-nous, faute de mieux, faute d’un autre mot que nous n’avons pas ; ni la résignation. Quelle attitude ? Une certaine détente qui n’est attachée à aucune action et qui ne se réclame d’aucune puissance. Et qui peut être ressemble à la patience. Devant et dans le chaos, la patience, qui est la forme la plus subtile, la plus discrète, et finalement la forme la plus invincible de la vie.

            Jésus, semble-t-il, en évoquant la patience, en exhortant peut-être à la patience, vient suggérer ce qui est peut-être le seul chemin en temps de catastrophe. Et il reste à se demander quelle forme concrète cela peut-il prendre. Et bien l’évangile de Luc nous suggère quelque chose. Lorsque Jésus fut mort et enseveli, « 54 C'était un jour de Préparation et le sabbat approchait. 55 Les femmes qui l'avaient accompagné depuis la Galilée suivirent Joseph; elles regardèrent le tombeau et comment son corps avait été placé. 56 Puis elles s'en retournèrent et préparèrent aromates et parfums. » Devant l’irréparable, devant leur espérance anéantie, « Durant le sabbat, elles observèrent le repos selon le commandement. »  (Luc 23)

            Pensons que nous pouvons, pour notre part, célébrer le culte de l’Eglise Protestante Unie de France, ou ouvrir nos Bibles, ou chanter nos cantiques. Amen