5 Comme quelques-uns parlaient du temple, de son
ornementation de belles pierres et d'ex-voto, Jésus dit:
6 «Ce que vous contemplez, des
jours vont venir où il n'en restera pas pierre sur pierre: tout sera détruit.»
7 Ils lui demandèrent: «Maître,
quand donc cela arrivera-t-il, et quel sera le signe que cela va avoir lieu?»
8 Il dit: «Prenez garde à ne pas
vous laisser égarer, car beaucoup viendront en prenant mon nom; ils diront:
‹C'est moi› et ‹Le moment est arrivé›; ne les suivez pas.
9 Quand vous entendrez parler de
guerres et de soulèvements, ne soyez pas effrayés. Car il faut que cela arrive
d'abord, mais ce ne sera pas aussitôt la fin.»
10 Alors il leur dit: «On se
dressera nation contre nation et royaume contre royaume.
11 Il y aura de grands tremblements
de terre et en divers endroits des pestes et des famines, des faits terrifiants
venant du ciel et de grands signes.
12 «Mais avant tout cela, on
portera la main sur vous et on vous persécutera; on vous livrera aux
synagogues, on vous mettra en prison; on vous traînera devant des rois et des
gouverneurs à cause de mon nom.
13 Cela vous donnera une occasion
de témoignage.
14 Mettez-vous en tête que vous
n'avez pas à préparer votre défense.
15 Car, moi, je vous donnerai un
langage et une sagesse que ne pourra contrarier ni contredire aucun de ceux qui
seront contre vous.
16 Vous serez livrés même par vos
pères et mères, par vos frères, vos parents et vos amis, et ils feront
condamner à mort plusieurs d'entre vous.
17 Vous serez haïs de tous à cause
de mon nom;
18 mais pas un cheveu de votre tête
ne sera perdu.
19 C'est par votre persévérance que
vous gagnerez la vie.
Souvenons-nous, il y a une semaine, parmi les textes
biblique que nous avons lus, un grand moment merveilleux. Trois jeunes hébreux
exilés en Babylonie refusent avec obstination de s’incliner devant une statue
de roi. Ils sont donc condamnés à être jetés dans une fournaise. Ils sont jetés
dans la fournaise mais l’ange du Seigneur vient et les protège. Ils sont
sauvés, sortent du feu sans une brûlure, et son élevés par le roi à une dignité
considérable. Fin de l’épisode merveilleux, de cet épisode-là en tout cas. Dans
le même livre, il existe un autre épisode assez fameux. Daniel, qui prie Dieu
alors que cela est interdit par le roi, se voit démasqué, et condamné à être
jeté dans une fosse pleine de lions… et que croyez-vous que les lions
firent ? Il y a aussi, dans le livre de la Genèse, Joseph, 11ème
fils de Jacob, qui contre son grès se retrouve projeté en Égypte, où la
puissance de Dieu fait qu’il accomplit une merveilleuse carrière. Et puis, il y
a Esther, un de ces livres si étranges que, faisant partie de la Bible, on n’y
parle même pas de Dieu.
Dieu ou pas Dieu, ces livres ont bien des choses en
commun. Parmi ces points communs, il y a une providence. Ces exilés sont pour
la plupart pieux, tous droits et honnêtes, soucieux, toujours, du souverain qui
règne. Dieu les protège et les bénit. Et ils réussissent. On rassemble parfois
ces textes sous une même appellation : roman du Juif de l’étranger. C’est
que, oui, ils ont tout du roman, et même du roman merveilleux. Ils portent un
message : le Juif qui réside à l’étranger, et qui demeure fidèle à Dieu,
réussit dans tout ce qu’il entreprend, même s’il était au départ un vaincu, et un
déporté.
C’est une promesse. Mais comment accueillir cette
promesse ? Peut-être qu’il ne faut pas attendre de cette promesse un
exaucement littéral. Car cela pourrait avoir pour conséquence un possible et
grave développement de la culpabilité : si cette réussite n’arrive pas, ce
doit être de ta faute. Alors peut-être vaut-il mieux penser que le roman
merveilleux du juif de l’étranger est un langage de l’espérance, une
exhortation à la fidélité à Dieu…
Toute cette méditation après l’un des textes de la
semaine dernière (Daniel 3), et nous allons poursuivre, avec l’un des textes
d’évangile qui parlent de la fin, fin des temps, pour certains textes, fin de
Jérusalem, pour d’autres textes.
Nous lisons aujourd’hui Luc 21, et nous savons que les
évangiles ont tous intégré des textes sur la fin, et même plusieurs textes sur
la fin. Luc, dès son 17ème chapitre : « 34 Je
vous le dis, cette nuit-là, deux hommes seront sur le même lit: l'un sera pris,
et l'autre laissé. 35 Deux femmes seront en train de moudre
ensemble: l'une sera prise, et l'autre laissée. » Il parle là de la fin de
la fin, c'est-à-dire du grand tri final que Dieu opérera selon sa divine
justice. La fin de la fin, parce qu’avant, autre chose se passe, que nous avons
lu. C’est l’énumération de tous les malheurs possibles. Et pas seulement les
belles pierres du beau Temple. Il ne suffit pas de donner à penser à la chute
de Jérusalem, qui doit venir, et qui est peut-être bien déjà venue lorsqu’est
écrit l’évangile de Luc. Ces pierres – celles du Temple, celles de la ville –
sont infiniment plus que des pierres. Elles sont tout un programme et un projet
religieux, elles sont l’écrin dans lequel Dieu demeure, elles sont aussi une
histoire, écrite et orale. Et elles ne sont plus. Et elles, qui représentaient
l’histoire et l’ordre de Dieu, seront dès lors et toujours un tas, des gravats,
un chaos.
Et ce qui suit, l’énumération qui est faite, après les
pierres, ce sont les gens, les humains. Le chaos des pierres et le chaos des
gens, c’est toujours le chaos. Et ce chaos humain détruit toutes les structures
sociales, familles, et communautés religieuses.
Et ça n’est pas comme si une puissance étrangère venait, vainquait,
asservissait et déportait – ce qui est le champ pour nous connu de l’espérance
du juif de l’étranger. Avec le texte que nous méditons, ça se passe pour ainsi
dire sur place, c’est domestique. C’est une sorte de chaos qui, dans son
développement ultime, ne laisse plus que des individus esseulés. Chacun ne
compte que pour lui-même, chacun ne compte que sur lui-même. Peut-être de
courts arrangements d’intérêts peuvent-ils être temporairement passés, mais pour
un temps très court. Chacun pour soi… et c’est de ce reste du monde, c’est du
chaos que parle Jésus…
Avons-nous connu un tel chaos ? Les Européens que
nous sommes doivent faire mémoire de la catastrophe qui eut lieu entre 1933 et
1945. Les plus anciens parmi nous ont pu être témoins de certaines horreurs, de
l’arbitraire de l’occupation et de la violence des camps. Mais pour ceux qui
sont plus jeunes ? Ils n’auront connu ni l’occupation ni la déportation… Nous
n’avons pas non plus connu les martyrs des chrétiens des premiers siècles – n’est
pas Sainte Blandine qui veut. Nous avons été épargnés par ces malheurs… mais il
peut arriver que la vie soit ravagée, pour diverses raisons, au point qu’on se
sente abandonné, désespérément seul, et moqué par nos plus ou moins proches, en
raison parfois de la foi (même une ironie ordinaire peut meurtrir). Jésus
a-t-il ici quelque chose à dire, qui ressemblerait à de l’espérance ?
Jésus a quelque chose à dire, et que nous avons lu :
C’est par votre persévérance que vous
gagnerez la vie. C’est la proposition de la TOB. Louis Segond propose :
par votre persévérance vous sauverez vos âmes.
Grande diversité de traduction, gros enjeu… C’est que
nous parlons d’existences ravagées par le chaos, des existences rendues par le
malheur incapables de tout. Va-t-on prêcher l’endurance, ou la persévérance, à
ceux qui sont irrémédiablement défaits ? Va-t-on leur dire qu’un salut est
possible et qu’il a pour condition leurs efforts ? Et va-t-on, en fait de
salut, leur promettre quelque chose dans l’au-delà, pourvu qu’ici-bas ils se
soient bien tenus ?
Rien sur l’au-delà, semble-t-il, dans ce propos de Jésus.
Ni rien non plus à faire. Quelle attitude devant et dans le chaos ? La
patience… dirons-nous, faute de mieux, faute d’un autre mot que nous n’avons
pas ; ni la résignation. Quelle attitude ? Une certaine détente qui n’est
attachée à aucune action et qui ne se réclame d’aucune puissance. Et qui peut être
ressemble à la patience. Devant et dans le chaos, la patience, qui est la forme
la plus subtile, la plus discrète, et finalement la forme la plus invincible de
la vie.
Jésus, semble-t-il, en évoquant la patience, en
exhortant peut-être à la patience, vient suggérer ce qui est peut-être le seul
chemin en temps de catastrophe. Et il reste à se demander quelle forme concrète
cela peut-il prendre. Et bien l’évangile de Luc nous suggère quelque chose.
Lorsque Jésus fut mort et enseveli, « 54 C'était un jour de
Préparation et le sabbat approchait. 55 Les femmes qui l'avaient
accompagné depuis la Galilée suivirent Joseph; elles regardèrent le tombeau et
comment son corps avait été placé. 56 Puis elles s'en retournèrent
et préparèrent aromates et parfums. » Devant l’irréparable, devant leur
espérance anéantie, « Durant le sabbat, elles observèrent le repos selon
le commandement. » (Luc 23)
Pensons que nous pouvons, pour notre part, célébrer le
culte de l’Eglise Protestante Unie de France, ou ouvrir nos Bibles, ou chanter
nos cantiques. Amen