samedi 7 janvier 2023

Epiphanie. Ce qu'il y a dans le cœur des hommes (Matthieu 2,1-12)


 Bonne Année, sœurs et frères !
Aujourd'hui, je mets pas mal de texte biblique en ligne
Ainsi qu'un sermon un peu long... et encore,
Je ne savais pas que l'Epiphanie m'intéressait tant que ça.
Plein d'autres idées ! Une autre fois...

Éphésiens 3

1 C'est pourquoi moi, Paul, le prisonnier de Jésus Christ pour vous, les païens... 2 si du moins vous avez appris la grâce que Dieu, pour réaliser son plan, m'a accordée à votre intention, 3 comment, par révélation, j'ai eu connaissance du mystère, tel que je l'ai esquissé rapidement. 4 Vous pouvez constater, en me lisant, quelle intelligence j'ai du mystère du Christ. 5 Ce mystère, Dieu ne l'a pas fait connaître aux hommes des générations passées comme il vient de le révéler maintenant par l'Esprit à ses saints apôtres et prophètes: 6 les païens sont admis au même héritage, membres du même corps, associés à la même promesse, en Jésus Christ, par le moyen de l'Évangile.

 

Esaïe 60

1 Mets-toi debout et deviens lumière, car elle arrive, ta lumière: la gloire du SEIGNEUR sur toi s'est levée. 2 Voici qu'en effet les ténèbres couvrent la terre et un brouillard, les cités, mais sur toi le SEIGNEUR va se lever et sa gloire, sur toi, est en vue. 3 Les nations vont marcher vers ta lumière et les rois vers la clarté de ton lever. 4 Porte tes regards sur les alentours et vois: tous, ils se rassemblent, ils viennent vers toi, tes fils vont arriver du lointain, et tes filles sont tenues solidement sur la hanche. 5 Alors tu verras, tu seras rayonnante, ton cœur frémira et se dilatera, car vers toi sera détournée l'opulence des mers, la fortune des nations viendra jusqu'à toi. 6 Un afflux de chameaux te couvrira, de tout jeunes chameaux de Madiân et d'Eifa; tous les gens de Saba viendront, ils apporteront de l'or et de l'encens, et se feront les messagers des louanges du SEIGNEUR.

Matthieu 2

1 Jésus étant né à Bethléem de Judée, au temps du roi Hérode, voici que des mages venus d'Orient arrivèrent à Jérusalem 2 et demandèrent: «Où est le roi des Juifs qui vient de naître? Nous avons vu son astre à l'Orient et nous sommes venus lui rendre hommage.»

 3 À cette nouvelle, le roi Hérode fut troublé, et tout Jérusalem avec lui. 4 Il assembla tous les grands prêtres et les scribes du peuple, et s'enquit auprès d'eux du lieu où le Messie devait naître. 5 «À Bethléem de Judée, lui dirent-ils, car c'est ce qui est écrit par le prophète: 6 Et toi, Bethléem, terre de Juda, tu n'es certes pas le plus petit des chefs-lieux de Juda: car c'est de toi que sortira le chef qui fera paître Israël, mon peuple.»

 7 Alors Hérode fit appeler secrètement les mages, se fit préciser par eux l'époque à laquelle l'astre apparaissait, 8 et les envoya à Bethléem en disant: «Allez vous renseigner avec précision sur l'enfant; et, quand vous l'aurez trouvé, avertissez-moi pour que, moi aussi, j'aille lui rendre hommage.»

 9 Sur ces paroles du roi, ils se mirent en route; et voici que l'astre, qu'ils avaient vu à l'Orient, avançait devant eux jusqu'à ce qu'il vînt s'arrêter au-dessus de l'endroit où était l'enfant. 10 À la vue de l'astre, ils éprouvèrent une très grande joie. 11 Entrant dans la maison, ils virent l'enfant avec Marie, sa mère, et, se prosternant, ils lui rendirent hommage; ouvrant leurs coffrets, ils lui offrirent en présent de l'or, de l'encens et de la myrrhe.

 12 Puis, divinement avertis en songe de ne pas retourner auprès d'Hérode, ils se retirèrent dans leur pays par un autre chemin.

Prédication : 

            Je voudrais vous raconter une petite anecdote qui appartient à la vie d’un groupe interreligieux auquel j’ai participé à Rillieux la Pape (nord de l’agglomération lyonnaise), entre 2005 et 2010. Les intervenants habituels de ce groupe étaient un rabbin, un imam, un curé et un pasteur. Et à force de rencontres préparatoires et de séances publiques, nous avions noué des liens d’estime, voire de complicité. A la question « Pouvons-nous prier ensemble ? » il fut répondu que oui. De quelle manière ? Il fut répondu : en silence. Mais quelqu’un (je ne vous dis pas de quelle confession) dit : « Il faut mettre une bougie ». Le rabbin demanda : « Mais pour quoi faire ? » Réponse : « C’est le symbole universel de la prière » Et l’imam de rajouter : « Non… » J’arrête là cette petite histoire, vous en imaginerez la suite. Pour la fin, sachez que le temps de prière commun eut finalement lieu. Retenez seulement ceci : symbole universel de la prière.

            Je voudrais ajouter une autre anecdote à celle que nous venons de partager. Ça se passe quelque part dans l’EPUdF, Région parisienne, et ce sont des discussions entre pasteurs sur les activités œcuméniques récentes dans leurs paroisses. L’une de mes collègues rapporte sur un groupe qui se cherche, qui cherche donc quoi faire ensemble, et qui ne trouve pas. Ça n’est pas faute de proposer des idées. Mais ça ne joue pas. Même une étude biblique ça ne joue pas. « Et pourtant, dit ma collègue, c’est la seule chose qui soit universelle. » Et là, quelqu’un lui répond que non. Que c’est une chose qui est très protestante, peut-être même uniquement protestante, branche réformée de l’EPUdF (il est même possible que ce soit plus partagé encore que cela…). Retenez seulement ce petit morceau de phrase : c’est la seule chose qui soit universelle.

            Mais pourquoi parler d’affaires universelles ? Suggestions liées aux textes qui nous sont proposés. Et interprétations le plus souvent retenues de ces textes.

 

            Le salut d’Israël est destiné à toutes les nations – ce qu’affirme le 60ème chapitre du prophète Ésaïe, un salut qui passe par une expérience lumineuse, mystique, et auquel correspond une certaine organisation du monde, clairement centrée sur la Terre Promise et sur Jérusalem, et qui concerne métaphoriquement toutes les nations connues à l’est d’Israël (à l’ouest, il y a la mer). Ajoutons qu’en mentionnant Madian, Ésaïe mentionne le lieu parfois considéré comme la terre de naissance de Dieu lui-même. Et tous ces gens, tous les hommes, apportent en présent de l’or et de l’encens… nous connaissons ces dons, ils nous sont familiers… Nous connaissons aussi un monde bien plus large que celui que connaissait le Prophète Ésaïe. Alors, rapport à ce monde, cette scène a-t-elle quelque chose d’universel ? Elle a une certaine perspective universelle. Mais que penser de cette unification du monde ? S’impose-t-elle d’elle-même ? Peut-elle être proposée à tous ? Jadis ? Aujourd’hui ? Les dons qui sont apportés dans cette scène nous sont familiers – l’or, l’encens. Mais tout ceci est-il universel ?

            C’est sans doute de cette vision d’Ésaïe que s’est inspiré l’auteur de Matthieu pour la scène d’ouverture de son évangile… (rajoutant la myrrhe) Même si le lecteur sait déjà qui est qui, il doit faire un effort pout se tenir proche du récit, dans lequel plein de choses vont aller de soi, vont être universelles, d’emblée. Les rois naissent dans les capitales, tout le monde le sait. Les étoiles annoncent leur naissance (savoir universel babylonien). Les Saintes Écritures annoncent le lieu de leur naissance (savoir universel judéen). Les rois haïssent les prétendants à la royauté. Les successions royales se préparent dans la ruse et se règlent dans le sang. Aux rois qui viennent de naître on apporte des présents somptueux… tout y est, rapport à la démarche des mages – mais nous pourrons dire que rien n’y est en fait. Et nous le savons vraiment bien, le roi qui vient de naître n’est ni ce qu’il devrait être et n’est pas où il devrait être, si bien que nous le récit des universaux que nous venons d’inventorier s’écroule (sauf les étoiles et les Saintes Écritures, éléments stable, indépendamment de ce qu’en font les humains). Tout le reste s’écroule, et même les intentions les plus meurtrières sont réduites à l’impuissance… nous aimerions bien que cette impuissance soit un universel, nous l’aimerions bien…

            Poursuivons. Ainsi donc, tout ce qui est normal et qui pourrait être tenu pour universel s’effondre. Et nous savons nous autres tout de cet effondrement. Dans le berceau, nous savons qui c’est. Les mages se prosternent et nous savons devant qui. La scène elle-même annonce une fin tragique, mais nous savons qui sera l’inspirateur d’une fin féconde (on laisse là comme de côté le massacre des Saints Innocents) ; un enfant au moins sera sauvé, et nous savons lequel. Et il sera sauvé par ce salut le plus ancien mentionné par un prophète d’Israël, Osée, « J’ai appelé mon Fils hors d’Égypte. »

            Mais (ici il faut impérativement dire mais) tout ça, nous le savons, et tout ça, nous – peut-être pas vous et moi – mais les traditions auxquelles nous appartenons, le savent, et ce qui s’ensuit en terme de choses prétendument universelles, et laides. Quelque chose se passe. Comme l’affirme l’auteur de l’épître aux Éphésiens, « les païens sont admis au même héritage, membres du même corps, associés à la même promesse… », mais quelles sont les règles qu’ils doivent respecter ? De quelle manière doivent-ils imiter leurs aînés dans la foi ? La manière dont Dieu se fait connaître produit-elle toujours les mêmes rites, les mêmes cérémonies, les même organisations sociales ? La mission des mages produira-t-elle les mêmes fruits que la mission de Matthieu, ou que la mission vers les Éphésiens ? Laissons un instant tout cela en suspens (même si vous avez déjà compris où nous allons).

 

            Tout en revenant au texte de Matthieu, nous trouvons ceci : « Puis, divinement avertis en songe de ne pas retourner auprès d’Hérode, ils se retirèrent dans leur pays par un autre chemin. » C’est simple, ils ne vont pas repasser par Jérusalem, ils ne vont pas donner à Hérode l’adresse du domicile des parents et de l’enfant, et donc, prenant une chemin de traverse, il retournent chez eux.

            Mais, comme nous l’avons esquissé précédemment, nous pouvons entendre tout cela d’une manière un peu métaphorique. Il aurait été normal, universel, vu ce qu’ils étaient, qu’ils cheminent par une route royale et qu’ils transitent par la demeure des rois, mais autre chose se passe – le merveilleux – qui fait qu’ils prennent un autre chemin. Et tâchons ici d’entendre tout autre chose que la D335 plutôt que N118. Autre chemin : un itinéraire auquel vous n’avez jamais pensé et qui vous mène là où vous n’auriez jamais imaginé. Et ça n’est pas la route qui est changée, mais la vie.

            Sans doute les mages n’avaient-ils pas pensé qu’ils allaient se prosterner devant une mère et un nouveau-né, sans doute n’avaient-ils pas imaginé qu’ils offriraient ainsi leurs trésors royaux, à des gens dépouillés de tout. Et après être rentrés dans leur pays ? Ici cesse l’histoire des mages. A jamais différents. A jamais sans doute avertis en songe de ne pas prendre le chemin habituel pour l’unique chemin, ni aucune voie, pour l’unique voie. Il n’y a pas d’unique voie.

            Ils rentrèrent donc chez eux – ils se retirèrent dans leur pays retiré. Prenant un autre chemin, un chemin toujours autre chemin. Ils disparaissent de l’histoire. Ils sont à jamais transformés. Puisse cette transformation nous arriver aussi, universelle, ou pas. Amen