Luc 5
1 Or, un jour, la foule se serrait contre lui à l'écoute
de la parole de Dieu; il se tenait au bord du lac de Génésareth.
2 Il vit deux barques qui se trouvaient au bord du lac; les pêcheurs qui en étaient descendus lavaient leurs filets. 3 Il monta dans l'une des barques, qui appartenait à Simon, et demanda à celui-ci de quitter le rivage et d'avancer un peu; puis il s'assit et, de la barque, il enseignait les foules. 4 Quand il eut fini de parler, il dit à Simon: «Avance en eau profonde, et jetez vos filets pour capturer du poisson.» 5 Simon répondit: «Maître, nous avons peiné toute la nuit sans rien prendre; mais, sur ta parole, je vais jeter les filets.» 6 Ils le firent et rassemblèrent une grande quantité de poissons; leurs filets se déchiraient. 7 Ils firent signe à leurs camarades de l'autre barque de venir les aider; ceux-ci vinrent et ils remplirent les deux barques au point qu'elles enfonçaient. 8 À cette vue, Simon-Pierre tomba aux genoux de Jésus en disant: «Seigneur, éloigne-toi de moi, car je suis un pécheur.» 9 C'est que l'effroi l'avait saisi, lui et tous ceux qui étaient avec lui, devant la quantité de poissons qu'ils avaient pris; 10 de même Jacques et Jean, fils de Zébédée, qui étaient les compagnons de Simon. Jésus dit à Simon: «Sois sans crainte, désormais ce sont des hommes que tu auras à capturer.» 11 Ramenant alors les barques à terre, laissant tout, ils le suivirent.
Prédication
Vocation prophétique, avec Ésaïe, vocation apostolique, avec Paul, et vocation à être disciple, avec Pierre. Les trois textes qui nous sont proposés ce matin parlent de vocation.
La vocation, c’est un être humain, un appel, un message dans un temps et dans des circonstances uniques, et une réponse positive.
Tous ces éléments sont à peu près cités dans leur ordre habituel d’apparition. Parfois celui qui est appelé répondra non (il restera, dans nos sources bibliques, à examiner si, au cas où celui qui est appelé répond non, Dieu renonce et lâche comme ça celui qu’il avait appelé).
La plupart du temps, la réponse sera positive, et le message divin sera émis.
Quant à la réception du message, c’est à l’avenant.
Ésaïe est appelé par Dieu à délivrer un message incompréhensible, destiné à endurcir le cœur des auditeurs, afin qu’aucune conversion n’advienne ni aucun pardon divin (c’est l’une des pages les plus étranges de la Bible, Ancien et Nouveau Testaments réunis.).
Paul, là où nous avons lu, est absolument sûr de lui-même, sûr de ce qu’il avance, mais il est nettement moins sûr de ses chers Corinthiens. Lui, il répond, mais eux, vont-ils entendre et, s’ils entendent, se laisseront-ils transformer ? Au final, nous ne le savons pas trop. Peut être la première épître de Saint Clément de Rome aux Corinthiens nous permettrait-elle de répondre.
Et il nous reste Pierre, qui en est, là où nous avons lu, à ses tout débuts, comme Esaïe, appelé non pas par une voix du ciel, mais par un autre homme – Jésus. Pierre est appelé à devenir pécheur d’hommes : « Désormais, ce sont des hommes que tu auras à capturer », lui dit Jésus.
Mais capturer des hommes, qu’est-ce que ça signifie ?
Cela signifie bien des choses. Dans les versets que nous lisons, pour décrire ce que Pierre faisait et ce qu’il aura à faire, pêcher, quatre verbes différents sont utilisés (et les traducteurs font ce qu’ils peuvent ; ceux qui commentent font ce qu’ils peuvent aussi.
(1) Lorsqu’on va à la pêche, il arrive qu’on rentre bredouille et c’était le cas de Pierre et de ses associés ce matin-là, ce matin où un homme monta dans leur barque et s’en servit de tribune pour enseigner les foules. On ne sait ce qu’il leur enseigna mais, à la fin son enseignement, il commanda à Pierre d’aller un peu au large, et de lancer le filet en eau profonde, pour attraper du poisson.
Premier verbe, disons attraper, ou saisir… le verbe employé ici par Luc n’est pas un verbe très rare, il porte bien en lui l’idée d’attraper. Vocabulaire de chasse, de pêche, ou de guerre. Il s’agit de prendre le contrôle d’un être vivant, et ce contrôle est bien un contrôle définitif. Les poissons ainsi pris au filet sont des poissons qui sont destinés à nourrir des humains et, avant de nourrir des humains, ils auront péri. Jésus donc commande à Pierre et ses associés d’aller capturer pour mourir des poissons.
(2) Jésus ordonne à Pierre de jeter les filets, et Pierre va obéir à Jésus. « Nous avons trimé la nuit entière sans rien prendre… » Prendre, second verbe que nous rencontrons, qui est ce qu’on pourrait appeler un verbe standard, un verbe à tout faire, un verbe simple pour un homme simple, car Pierre est un homme simple, un homme qui n’est pas nécessairement habité par des subtilités langagières. Et son langage est donc exempt de subtilité. La bredouille, c’est quand on n’a rien pris, et la question de ranger d’une manière ou d’une autre ce qu’on n’a pas pris ne se pose pas. Et si l’on a pris quelque chose, la question ne se pose pas non plus, on met tout ça en vrac sur le fond de la barque – on rangera plus tard, ou pas.
Premier verbe, prendre pour la mort.
Deuxième verbe, tout simplement, prendre.
(3) Et maintenant, troisième verbe, « ils capturèrent une grande quantité de poissons ». Il y en eut tellement que les filets se déchiraient et que les barques menaçaient de sombrer, scène pittoresque.
Le verbe utilisé pour décrire cette capture est très étonnant [συνέκλεισαν] : sa signification c’est enfermer ensemble et on comprend bien ce que cela signifie lorsqu’on pèche au filet, mais il y a une figure de style, une assonance, qui fait que lorsqu’on lit enfermer ensemble, on entend presque église.
Le narrateur de cette histoire, tout en parlant de Pierre, se met à parler de ce rassemblement de gens, qui n’existe pas vraiment encore, mais qui est proche d’arriver. L’Église en germe, c’est peut-être cette foule rassemblée sur la rive. Ces gens, ces paroissiens, comment sont-ils arrivés là ? Par ruse – le pécheur leurre le poisson ? Et ce futur dirigeant d’Église qu’est Pierre, comment attirera-t-il les croyants ? Par du boniment ? Et dans quel but ? Les enfermer ensemble dans un filet d’actes de puissance et de raisonnements fumeux ? Si tel est le cas, ce qui est promis, c’est que le filet se rompra… Mais l’évangile de parie pas sur le pire.
Troisième verbe, rassembler dans un espace fermer.
(4) Il y a un quatrième verbe, qui fait écho au premier verbe. Le premier verbe, c’était prendre mort, et le quatrième, c’est prendre vivant.
Ce que Pierre aura à faire, lui déclare Jésus, c’est prendre vivant des hommes. Non pas les prendre vivants comme des poissons pour les mettre dans un aquarium ou un vivier afin de disposer d’eux plus tard, non pas les prendre comme, à la guerre, on fait des prisonniers, mais les prendre et les rendre, les prendre pour les rendre à la vie (tout autre compréhension de ce quatrième verbe reviendrait en arrière, reviendrait aux verbes précédents, et surtout au premier).
Pierre aura à les prendre vivants, ce qui exclut que ces hommes soient préalablement leurrés. Ce qui oblige qu’ayant entendu l’appel, ce soit leur volonté et leur choix qui les conduise à entrer dans cet espace décrit comme un filet, mais un filet ouvert, et que nous appelons Église.
Quelqu’un donc a entendu l’Évangile, quelqu’un a entendu l’appel, il entre tel qu’il est, sans forcément savoir ce qui va se passer, et c’est la liberté qu’il trouve, celle de partir et celle de rester.
Quatre verbes donc : prendre pour la mort, prendre, rassembler dans un lieu hermétiquement clos et finalement prendre pour la vie. Et avec ces quatre verbes de quoi nourrir une année entière d’études bibliques consacrées à la vocation, de quoi nourrir des journées de réflexion sur des épisodes de l’histoire des Églises, et de quoi nourrir des heures de réflexion personnelle, chacun sur sa manière de recevoir la Bonne Nouvelle, et chacun aussi sur sa manière de partager cette Bonne Nouvelle, qui sera transmise Dieu voulant.
Ce jour-là, Pierre, Jacques et Jean ont choisi de laisser derrière eux tous leurs outils, pour suivre Jésus. Ils sont entrés dans un long travail d’apprentissage, il y aurait du boulot... Jacques et Jean, souvenez-vous, étaient du genre à vouloir incendier un village parce qu’on leur avait refusé l’hospitalité, et Pierre était du genre à faire de grande promesses à son Maître, puis du genre à le renier.
Ce jour-là, en laissant tous leurs outils, ils ont franchi une première étape, importante, voire essentielle : on n’attrape pas les hommes vivants avec des outils. Avec tous les sens que prend le mot outil, nous pouvons penser que ce début est un assez bon début. Puissions les suivre sur ce chemin. Amen