Vous allez tout de suite sentir la nécessité de relire le début du chapitre 4 de Luc. Vous sentirez un peu plus tard la nécessité de lire Jérémie 1,1-19, et de lire aussi 1Corinthiens 12,31-13,13... ce qu'est l'amour... et si je ne l'ai pas...
Luc 4
21 Alors il commença à leur dire: «Aujourd'hui, cette écriture est accomplie
pour vous qui l'entendez.»
22 Tous lui rendaient témoignage; ils s'étonnaient du message de la grâce qui sortait de sa bouche, et ils disaient: «N'est-ce pas là le fils de Joseph?» 23 Alors il leur dit: «Sûrement vous allez me citer ce dicton: ‹Médecin, guéris-toi toi-même.› Nous avons appris tout ce qui s'est passé à Capharnaüm, fais-en donc autant ici dans ta patrie.» 24 Et il ajouta: «Oui, je vous le déclare, aucun prophète ne trouve accueil dans sa patrie. 25 En toute vérité, je vous le déclare, il y avait beaucoup de veuves en Israël aux jours d'Elie, quand le ciel fut fermé trois ans et six mois et que survint une grande famine sur tout le pays; 26 pourtant ce ne fut à aucune d'entre elles qu'Elie fut envoyé, mais bien dans le pays de Sidon, à une veuve de Sarepta. 27 Il y avait beaucoup de lépreux en Israël au temps du prophète Elisée; pourtant aucun d'entre eux ne fut purifié, mais bien Naamân le Syrien.»
28 Tous furent remplis de colère, dans la synagogue, en entendant ces paroles. 29 Ils se levèrent, le jetèrent hors de la ville et le menèrent jusqu'à un escarpement de la colline sur laquelle était bâtie leur ville, pour le précipiter en bas. 30 Mais lui, passant au milieu d'eux, alla son chemin.
Prédication :
1.
Jérémie est un prophète
qui observa et commenta les règnes des derniers descendants de David, Rois de
Juda à Jérusalem. Ainsi commence le livre de Jérémie : « 1 Paroles de Jérémie, fils de
Hilqiyahou, l'un des prêtres résidant à Anatoth, dans le territoire de
Benjamin. 2 Où la parole du SEIGNEUR s'adressa à lui, au temps de
Josias, fils d'Amôn, roi de Juda, la treizième année de son règne. » Dans
ces deux versets, quantité d’informations précieuses. Nous n’en commenterons
qu’une, qui tient en peu de mots : « au temps de Josias ».
Josias est sans doute,
dans le second livre des Rois, celui dont les chroniqueurs religieux ont gardé le
souvenir le plus fourni. Il faut dire que, sous son règne, eut lieu une
certaine réforme religieuse. Le Temple était resté à l’abandon, et la Loi était
en déshérence. Josias eut l’idée de restaurer le Temple. Or, pendant qu’on
restaurait le Temple, il advint qu’un certain rouleau y fut découvert. Un
prêtre vint dire au Roi : « J’ai trouvé le rouleau de la Loi dans la
maison du Seigneur » (2 Rois 22:8).
Cette phrase est à elle
seule un programme politique et religieux, un programme centralisateur, et
unificateur. Il y eut donc unification : destruction de tous les anciens
poteaux cananéens, destruction de tous les sanctuaires d’inspiration étrangère,
liquidation des lieux sacrés de l’ancienne religion de Iahvé, destruction de ces
hauts lieux où l’on rendait un culte, où l’on rendait justice et où l’on
festoyait rituellement, destruction des lieux aussi où les textes sacrés
étaient conservés, et mis à jour… On liquida par la même occasion les familles
de sacrificateurs, de prêtres et de juges qui exerçaient sur ces lieux depuis
des temps immémoriaux. « (Josias) sacrifia sur les autels tous les prêtres des
hauts lieux… » Afin – nous l’avons dit déjà – qu’il ne subsiste que
Jérusalem, son Temple et son culte.
Ainsi l’unité fut-elle
atteinte. Prix de cette unité : des centaines de morts.
2.
Ça n’est pas la seule
fois, dans l’histoire biblique, que l’unité fut atteinte par la voie des armes.
Lorsque Moïse revint du
Mont Sinaï avec les tables que Dieu avait gravées, il découvrit que le peuple
et Aaron avaient tourné casaque et choisi de se vouer à une statue taurine.
L’histoire du veau d’or est connue, mais la fin de cette histoire est rarement
contée. Sur ordre de Moïse, il y eut une reprise en main du peuple, une
unification. Des membres de la tribu de Lévi, épée en main, radicalisés, traversèrent
le camp et massacrèrent sans distinction. Unité de terreur, et prix de l’unité
selon Moïse et après le veau d’or : 3.000 morts (Exode 32:28).
3.
Nous ne commenterons pas
l’unité selon Esdras et Néhémie, ni l’unité selon les extrémistes du Lévitique,
ni l’unité selon Pierre dans le temps qui suivit la première Pentecôte, ni
l’unité dont rêvait Paul l’apôtre des gentils, ni l’unité qu’envisageaient
Jacques et Jean, disciples de Jésus, prêts à incendier un village parce qu’on
leur avait refusé l’hospitalité.
Ce qui nous intéresse est
la notion de prix de l’unité, et sur ce point les deux Testaments nous donnent à
réfléchir sérieusement.
Le prix de l’unité, c’est
ce qui est exigé pour former l’unité, ou pour la maintenir, et ce sur quoi l’on
ne transige jamais. C’est, lorsqu’existe une frontière, ce que doivent apporter
ceux qui veulent entrer, et aussi ceux qui veulent rester. C’est ce qu’ils doivent payer.
Il peut s’agir d’argent et de biens matériels. Il peut s’agir d’une adhésion inconditionnelle
à telle confession de foi, ou l’adhésion à certaines convictions. Toujours,
celui qui veut entrer doit payer. Toujours aussi celui qui veut rester doit
payer. Payer et se conformer, se conformer ou disparaître. C’est ce que nous
appelons le prix de l’unité.
4.
Dans l’évangile de Luc, là
où nous avons lu, Jésus se rend à Nazareth, et il y prêche… Avant de prêcher à
Nazareth, il avait prêché à Capharnaüm, et il y avait accompli semble-t-il
d’assez nombreux miracles.
Lorsqu’à Nazareth il
proclame "Aujourd’hui, cette écriture est entièrement accomplie pour vous
qui l’entendez", il parle de lui-même, de son ministère messianique,
paroles et actes, il annonce la proximité de Dieu et du Règne de Dieu. Et, vous
l’aurez remarqué dès la lecture de l’évangile, il n’exige rien de personne.
Il n’en est pas de même de
ses auditeurs à Nazareth, qui exigent de lui au moins autant que ce qui s’est passé
ailleurs, de fait, à Capharnaüm. "Si tu es Fils de Dieu, fais-en ici
encore plus qu’ailleurs…" Ils exigent de Jésus plus, et plus encore, sous
peine de mort : prix de l’unité.
Devant autant d’exigence
et autant de brutalité, devant autant de rage destructrice, devant ce qu’on
allait lui faire payer à cause de la vérité et de la singularité de son message,
ce que nous avons appelé le prix de l’unité, Jésus, se faufilant entre eux, "partit
sur son propre chemin."
5.
Que Jésus parte sur son
propre chemin ne signifie pas seulement qu’il quitta Nazareth, le lieu où il
avait été éduqué, pour ne plus jamais y revenir. Cela signifie qu’il renonça à
l’éducation qu’il y avait reçue, qu’il renonça à ses avantages d'artisan notable. Cela
signifie qu’il résista une fois encore à la tentation : il renonça à tout
qui lui aurait fait mériter quelque chose.
Jésus poursuivit son
propre chemin, ce chemin sur lequel il donna, sans condition. Il donna sa
parole, il donna son enseignement, il donna sa puissance en nourrissant des
foules, en guérissant de pauvres gens, et en sauvant ses disciples du naufrage, naufrage en barque, et naufrage spirituel…
Il ne fit que donner jusqu’au moment où il donna son propre corps, son propre
sang, et sa propre vie. L’engagement de Jésus fut sans limite et sans reste.
Ainsi là où tous exigeaient le prix de l’unité, Jésus, lui, donna le prix de la
grâce.
6.
Les humains que nous
sommes sont-ils capables de tels engagements ? Lorsque les protestants que
nous sommes entendent "prix de la grâce", ils pensent au pasteur
Dietrich Bonhoeffer (1906-1945), à sa participation à l’opposition allemande au
troisième Reich, aux dangereux engagements qu’il prit et qui lui coutèrent la
vie. Le prix de la grâce, c’est ce que chacun est appelé à donner en libre
réponse à ce qu’il a reçu par grâce. Chacun est appelé à donner, pour le service
du prochain, de l’Église et de Dieu. Le martyre n’est pas exigé de tous, car
tous ne sont pas nés dans un moment dramatique de l’histoire et tous n’ont pas
la force des géants. Mais nul n’est trop pauvre pour n’avoir rien à donner.
7.
Les deux Testaments,
avons-nous dit tout à l’heure, donnent à réfléchir. Ils donnent aussi à
espérer.
Ainsi cette nouvelle alliance que Dieu promet par Jérémie : "Je déposerai ma Loi (Torah) au fond d'eux-mêmes, les inscrivant dans leur être; je deviendrai Dieu pour eux, et eux, ils deviendront un peuple pour moi. 34 Ils ne prétendront plus s’instruire entre compagnons, entre frères, répétant à l’envi : «Apprenez de moi à connaître le Seigneur», car ils me connaîtront tous, petits et grands. » " Et s’il est vrai que la connaissance de l’homme et la connaissance de Dieu sont une seule et même chose (Calvin), alors cette nouvelle alliance sera semblable à celle de l’amour dont Paul, en son temps, aura eu l’intuition et dont il aura admirablement parlé.
Puisse cette nouvelle
alliance être en vérité toujours celle qui nous appelle à l’unité. Amen