15 Le peuple était dans l'attente et tous se posaient en eux-mêmes des questions au sujet de Jean: ne serait-il pas le Messie? 16 Jean répondit à tous: «Moi, c'est d'eau que je vous baptise; mais il vient, celui qui est plus fort que moi, et je ne suis pas digne de délier la lanière de ses sandales. Lui, il vous baptisera dans l'Esprit Saint et le feu; 17 il a sa pelle à vanner à la main pour nettoyer son aire et pour recueillir le blé dans son grenier; mais la bale, il la brûlera au feu qui ne s'éteint pas.» 18 Ainsi, avec bien d'autres exhortations encore, il annonçait au peuple la Bonne Nouvelle.
21 Or comme tout le peuple était baptisé, Jésus, baptisé lui aussi, priait; alors le ciel s'ouvrit; 22 l'Esprit Saint descendit sur Jésus sous une apparence corporelle, comme une colombe, et une voix vint du ciel: «Tu es mon fils, moi, aujourd'hui, je t'ai engendré.»
Prédication :
Ces quelques versets que nous méditons ce matin sont porteurs, depuis
toujours, d’une controverse sur la personne de Jésus. Ça ne se voit pas trop si
l’on ne consulte qu’une traduction. Il faut en lire plusieurs, et on finira par
trouver d’intéressantes différences. Aujourd’hui,
je t’ai engendré, c’est ce que nous avons trouvé aujourd’hui, mais on
trouvera aussi en toi ma joie est
parfaite (et quelques autres variantes mineures).
Aujourd’hui, je t’ai engendré et en toi ma joie est parfaite, la tradition nous a transmis deux textes bien différents, deux textes qui sont prononcés par une même voix du ciel ; autrement dit c’est Dieu en direct, et ce sont donc des énoncés décisifs. En tout cas suffisamment décisifs pour que les auteurs et certains copistes après les auteurs ne se soient jamais arrangés. Examinons un peu ces deux phrases.
Aujourd’hui, je t’ai engendré. Citation de Psaume 2,7, cette
phrase, dans les commencements de l’évangile de Luc, signifie que Dieu engendre
Jésus le jour de son baptême. Et cet engendrement est un engendrement parfait
(le verbe grec est au parfait). Soit, dirons-nous. Mais si Jésus n’est engendré
qu’au jour de son baptême, qu’était-il avant son baptême ? La réponse à
laquelle nous pouvons penser est qu’avant cet engendrement, il était un homme,
seulement un homme, rien d’autre qu’un homme. Ce qui signifie que c’est un
homme, rejeton mâle de l’espèce humaine, qui a traversé sa vie ordinaire,
jusqu’à ce jour-là, celui de son baptême. Derrière cette affirmation, il y a trois
idées au moins.
Première idée, autant Dieu
que son Messie sont d’une sainteté si insondablement élevée qu’ils ne vont
jamais connaître les affres de la gestation, ni de la naissance, ni des
premières années de toute vie humaine, lorsqu’on apprend la locomotion, le
langage, la propreté, etc.
Deuxième idée, c’est que
tout ce qui est conté dans l’évangile de Luc en fait d’Annonciation, de
Nativité, apparitions d’Anges et autres prodiges doit être lu comme contes et rapports
merveilleux certes édifiants si l’on veut, mais essentiellement dépourvus de
valeur normative.
Troisième idée, la mission
du Messie commençant donc juste après son baptême… quand finit-elle ? Car
il est difficile d’imaginer qu’une sainteté insondablement élevée puisse
connaître l’humiliation, la souffrance et la mort. Certains auteurs écriront
donc qu’une substitution eut lieu et que ça n’est pas Jésus qui aura été mis à
mort, mais un autre homme. N’ayant donc pas été mis à mort, Jésus pourra
réapparaître au bon moment, quelques jours plus tard.
Cette proposition, Aujourd’hui, je t’ai engendré, conduit,
vous le voyez, à des conclusions qui nous semblent étranges. Encore qu’elles ne
soient rien d’autre que des points de vue sur la sainteté, sur l’insondable
sainteté du Fils et du Père. Qu’est-ce que cette sainteté ? Nous ne
l’avons pas dit. D’elle nous avons seulement trouvé qu’elle est totalement
étrangère à la chair, à l’humanité ; que Dieu, très haut, très saint,
descend vers son Fils, pour et avec son Fils, mais sans que ni l’un ni l’autre n’épouse
la chair ou le sort des humains…
Ce qui fait que les
humains en quête de leur Messie n’auront pas d’autre voie que celle de
l’ascèse, une ascèse infinie vers une sainteté inatteignable. Une ascèse
toujours plus rigoureuse…
Et peut-être n’est-ce pas ce que vous voulez…
Examinons maintenant la
deuxième phrase En toi ma joie est
parfaite. Et l’on peut bien entendre ici que la perfection de la joie de la
voix divine désigne ce Jésus qui, ayant vécu dès le début ce que vivent les
humains, Jésus ayant été instruit et signifiant publiquement par son baptême
son engagement inconditionnel et perpétuel en faveur des humains, la voix du ciel le
proclame Fils. Dieu se réjouit de cet homme et en cet homme, qu’il proclame
Fils. Fils est alors juste un titre, mais pas une nature.
Car le Fils réjouit le
Père, mais c’est depuis toujours que le Père est père et que le Fils est fils.
Autrement dit, même si ce qui est dit est dit par une voix venue du ciel, le
Fils est depuis le commencement fils selon l’humanité des humains, fils selon
l’engendrement, selon la gestation, la parturition, fils selon l’apprentissage
du métier d’homme et selon l’apprentissage de la foi.
Ainsi, comprendrons-nous
aussi sans difficultés que Jésus, sujet doué, enfance studieuse, enseigne ses
contemporains, notamment en paraboles, mais aussi en tant que brillant
polémiste. Ainsi aussi comprendrons-nous que la qualité de sa parole et de
l’attention qu’il porte aux gens soient de nature à provoquer certains
retournements et certaines guérisons, oui. Et nous pourrons comprendre sans
trop de difficultés que ses propos et son engagement auront été subversifs et
l’auront mené à la croix.
Jésus ainsi n’est qu’un
homme. Mais nous devons remarquer qu’en ne faisant de Jésus qu’un homme nous
mettons de côté tout ce qui vient du ciel, les voix divines, les éléments
apaisés, les guérisons, et même la résurrection – sans parler de tout ce qu’il
y a de merveilleux dans les Actes des Apôtres. Nous ne pouvons pas mettre tout
cela de côté en douce… car, dès le début de notre méditation, nous n’avons pas
mis de côté la voix du ciel qui dit …en
toi ma joie est parfaite ! Alors, nous avons le choix entre deux
attitudes, avec Dieu, ou sans Dieu.
Il est toujours possible
d’affirmer que tous les actes de puissance que rapportent les textes bibliques
– pas seulement les évangiles – sont des récits que les humains ont pensés,
écrits et construits dans le but de donner un langage à la méditation et à
l’espérance. Dans notre méditation d’aujourd’hui, nous considérerons plutôt que
lorsque la Voix du ciel, Dieu, déclare à Jésus et publiquement en toi ma joie est parfaite, Dieu
expérimente des émotions humaines, et se fait avec et en Jésus, tout proche,
infiniment proche des êtres humains, si proche que Dieu finit par se confondre
avec l’humanité, puis par se fondre en elle.
Il ne reste alors que la
mémoire de Dieu conservée sous forme textuelle. Et le disciple du Messie de ce
Dieu-là n’aura d’autre ressource que ces textes, ni d’autre voie que la
scrutation de ces textes dans une quête infinie d’une sagesse immortelle.
Aujourd’hui, je t’ai engendré… ou bien en toi ma joie est parfaite… Comme nous
l’avons vu, les traducteurs choisissent. Ils doivent choisir (ils ont bien
entendu la possibilité d’ajouter des notes à leur texte, mais, pour ce que j’ai
pu voir, les notes ajoutées ferment le débat et ne l’ouvre guère, comme s’il
était absolument nécessaire de choisir et en plus de se justifier). Pour nous,
nous ne sommes pas obligés de choisir.
Nous ne sommes pas obligés
de choisir entre la sainteté de Dieu et la sagesse de Dieu. Nous ne sommes pas
obligés de choisir entre Dieu infiniment éloigné et Dieu infiniment proche. Nous
ne sommes pas obligés de choisir entre l’aridité de l’ascèse et l’aridité de la
réflexion.
Ce sont des voies
possibles, elles sont réservées si l’on veut à des champions. Seulement, la foi
chrétienne n’est pas une foi réservée à des champions. Nous ne voyons pas que
ces deux voies ouvertes devant nous soient réconciliables. C’est ainsi, et
c’est même bien ainsi. Plus que des voies, nous avons des nuances, nous avons
des moments, moments spirituels, moments réflexifs, auxquels il nous faut
ajouter les moments diaconaux pour équilibrer, pour incarner notre foi.
Au jour de son baptême
Jésus est un humain que Dieu hausse au Divin ; et pour le faire Dieu, lui
qui est divin, s’abaisse à l’humain. Et, nous n’en avons rien dit encore,
l’Esprit Saint lui-même participe de cet événement, en prenant corps de colombe,
en descendant sur Jésus…
A partir de ce moment, les
territoires de la foi ayant été convenablement balisés, l’Évangile peut
commencer.
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