samedi 8 janvier 2022

Le baptême de Jésus, où l'homme et Dieu se rencontrent, et sont définitivement transformés (Luc 3,15-22)

 Luc 3

15 Le peuple était dans l'attente et tous se posaient en eux-mêmes des questions au sujet de Jean: ne serait-il pas le Messie? 16 Jean répondit à tous: «Moi, c'est d'eau que je vous baptise; mais il vient, celui qui est plus fort que moi, et je ne suis pas digne de délier la lanière de ses sandales. Lui, il vous baptisera dans l'Esprit Saint et le feu; 17 il a sa pelle à vanner à la main pour nettoyer son aire et pour recueillir le blé dans son grenier; mais la bale, il la brûlera au feu qui ne s'éteint pas.» 18 Ainsi, avec bien d'autres exhortations encore, il annonçait au peuple la Bonne Nouvelle.

21 Or comme tout le peuple était baptisé, Jésus, baptisé lui aussi, priait; alors le ciel s'ouvrit; 22 l'Esprit Saint descendit sur Jésus sous une apparence corporelle, comme une colombe, et une voix vint du ciel: «Tu es mon fils, moi, aujourd'hui, je t'ai engendré.»

Prédication :

Ces quelques versets que nous méditons ce matin sont porteurs, depuis toujours, d’une controverse sur la personne de Jésus. Ça ne se voit pas trop si l’on ne consulte qu’une traduction. Il faut en lire plusieurs, et on finira par trouver d’intéressantes différences. Aujourd’hui, je t’ai engendré, c’est ce que nous avons trouvé aujourd’hui, mais on trouvera aussi en toi ma joie est parfaite (et quelques autres variantes mineures).

            Aujourd’hui, je t’ai engendré et en toi ma joie est parfaite, la tradition nous a transmis deux textes bien différents, deux textes qui sont prononcés par une même voix du ciel ; autrement dit c’est Dieu en direct, et ce sont donc des énoncés décisifs. En tout cas suffisamment décisifs pour que les auteurs et certains copistes après les auteurs ne se soient jamais arrangés. Examinons un peu ces deux phrases.

            Aujourd’hui, je t’ai engendré. Citation de Psaume 2,7, cette phrase, dans les commencements de l’évangile de Luc, signifie que Dieu engendre Jésus le jour de son baptême. Et cet engendrement est un engendrement parfait (le verbe grec est au parfait). Soit, dirons-nous. Mais si Jésus n’est engendré qu’au jour de son baptême, qu’était-il avant son baptême ? La réponse à laquelle nous pouvons penser est qu’avant cet engendrement, il était un homme, seulement un homme, rien d’autre qu’un homme. Ce qui signifie que c’est un homme, rejeton mâle de l’espèce humaine, qui a traversé sa vie ordinaire, jusqu’à ce jour-là, celui de son baptême. Derrière cette affirmation, il y a trois idées au moins.

            Première idée, autant Dieu que son Messie sont d’une sainteté si insondablement élevée qu’ils ne vont jamais connaître les affres de la gestation, ni de la naissance, ni des premières années de toute vie humaine, lorsqu’on apprend la locomotion, le langage, la propreté, etc.

            Deuxième idée, c’est que tout ce qui est conté dans l’évangile de Luc en fait d’Annonciation, de Nativité, apparitions d’Anges et autres prodiges doit être lu comme contes et rapports merveilleux certes édifiants si l’on veut, mais essentiellement dépourvus de valeur normative.

            Troisième idée, la mission du Messie commençant donc juste après son baptême… quand finit-elle ? Car il est difficile d’imaginer qu’une sainteté insondablement élevée puisse connaître l’humiliation, la souffrance et la mort. Certains auteurs écriront donc qu’une substitution eut lieu et que ça n’est pas Jésus qui aura été mis à mort, mais un autre homme. N’ayant donc pas été mis à mort, Jésus pourra réapparaître au bon moment, quelques jours plus tard.

            Cette proposition, Aujourd’hui, je t’ai engendré, conduit, vous le voyez, à des conclusions qui nous semblent étranges. Encore qu’elles ne soient rien d’autre que des points de vue sur la sainteté, sur l’insondable sainteté du Fils et du Père. Qu’est-ce que cette sainteté ? Nous ne l’avons pas dit. D’elle nous avons seulement trouvé qu’elle est totalement étrangère à la chair, à l’humanité ; que Dieu, très haut, très saint, descend vers son Fils, pour et avec son Fils, mais sans que ni l’un ni l’autre n’épouse la chair ou le sort des humains…

            Ce qui fait que les humains en quête de leur Messie n’auront pas d’autre voie que celle de l’ascèse, une ascèse infinie vers une sainteté inatteignable. Une ascèse toujours plus rigoureuse…

            Et peut-être n’est-ce pas ce que vous voulez… 

            Examinons maintenant la deuxième phrase En toi ma joie est parfaite. Et l’on peut bien entendre ici que la perfection de la joie de la voix divine désigne ce Jésus qui, ayant vécu dès le début ce que vivent les humains, Jésus ayant été instruit et signifiant publiquement par son baptême son engagement inconditionnel et perpétuel  en faveur des humains, la voix du ciel le proclame Fils. Dieu se réjouit de cet homme et en cet homme, qu’il proclame Fils. Fils est alors juste un titre, mais pas une nature.

            Car le Fils réjouit le Père, mais c’est depuis toujours que le Père est père et que le Fils est fils. Autrement dit, même si ce qui est dit est dit par une voix venue du ciel, le Fils est depuis le commencement fils selon l’humanité des humains, fils selon l’engendrement, selon la gestation, la parturition, fils selon l’apprentissage du métier d’homme et selon l’apprentissage de la foi.

            Ainsi, comprendrons-nous aussi sans difficultés que Jésus, sujet doué, enfance studieuse, enseigne ses contemporains, notamment en paraboles, mais aussi en tant que brillant polémiste. Ainsi aussi comprendrons-nous que la qualité de sa parole et de l’attention qu’il porte aux gens soient de nature à provoquer certains retournements et certaines guérisons, oui. Et nous pourrons comprendre sans trop de difficultés que ses propos et son engagement auront été subversifs et l’auront mené à la croix.

            Jésus ainsi n’est qu’un homme. Mais nous devons remarquer qu’en ne faisant de Jésus qu’un homme nous mettons de côté tout ce qui vient du ciel, les voix divines, les éléments apaisés, les guérisons, et même la résurrection – sans parler de tout ce qu’il y a de merveilleux dans les Actes des Apôtres. Nous ne pouvons pas mettre tout cela de côté en douce… car, dès le début de notre méditation, nous n’avons pas mis de côté la voix du ciel qui dit …en toi ma joie est parfaite ! Alors, nous avons le choix entre deux attitudes, avec Dieu, ou sans Dieu.

            Il est toujours possible d’affirmer que tous les actes de puissance que rapportent les textes bibliques – pas seulement les évangiles – sont des récits que les humains ont pensés, écrits et construits dans le but de donner un langage à la méditation et à l’espérance. Dans notre méditation d’aujourd’hui, nous considérerons plutôt que lorsque la Voix du ciel, Dieu, déclare à Jésus et publiquement en toi ma joie est parfaite, Dieu expérimente des émotions humaines, et se fait avec et en Jésus, tout proche, infiniment proche des êtres humains, si proche que Dieu finit par se confondre avec l’humanité, puis par se fondre en elle.

            Il ne reste alors que la mémoire de Dieu conservée sous forme textuelle. Et le disciple du Messie de ce Dieu-là n’aura d’autre ressource que ces textes, ni d’autre voie que la scrutation de ces textes dans une quête infinie d’une sagesse immortelle. 

            Aujourd’hui, je t’ai engendré… ou bien en toi ma joie est parfaite… Comme nous l’avons vu, les traducteurs choisissent. Ils doivent choisir (ils ont bien entendu la possibilité d’ajouter des notes à leur texte, mais, pour ce que j’ai pu voir, les notes ajoutées ferment le débat et ne l’ouvre guère, comme s’il était absolument nécessaire de choisir et en plus de se justifier). Pour nous, nous ne sommes pas obligés de choisir.

            Nous ne sommes pas obligés de choisir entre la sainteté de Dieu et la sagesse de Dieu. Nous ne sommes pas obligés de choisir entre Dieu infiniment éloigné et Dieu infiniment proche. Nous ne sommes pas obligés de choisir entre l’aridité de l’ascèse et l’aridité de la réflexion.

            Ce sont des voies possibles, elles sont réservées si l’on veut à des champions. Seulement, la foi chrétienne n’est pas une foi réservée à des champions. Nous ne voyons pas que ces deux voies ouvertes devant nous soient réconciliables. C’est ainsi, et c’est même bien ainsi. Plus que des voies, nous avons des nuances, nous avons des moments, moments spirituels, moments réflexifs, auxquels il nous faut ajouter les moments diaconaux pour équilibrer, pour incarner notre foi.

            Au jour de son baptême Jésus est un humain que Dieu hausse au Divin ; et pour le faire Dieu, lui qui est divin, s’abaisse à l’humain. Et, nous n’en avons rien dit encore, l’Esprit Saint lui-même participe de cet événement, en prenant corps de colombe, en descendant sur Jésus…

            A partir de ce moment, les territoires de la foi ayant été convenablement balisés, l’Évangile peut commencer.        


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