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Luc 6
27 «Mais je vous dis, à vous qui m'écoutez: Aimez vos ennemis, faites du bien
à ceux qui vous haïssent,
28 bénissez ceux qui vous
maudissent, priez pour ceux qui vous calomnient.
29 «À qui te frappe sur
une joue, présente encore l'autre. À qui te prend ton manteau, ne refuse pas
non plus ta tunique.
30 À quiconque te
demande, donne, et à qui te prend ton bien, ne le réclame pas.
31 Et comme vous voulez
que les hommes agissent envers vous, agissez de même envers eux.
32 «Si vous aimez ceux
qui vous aiment, quelle reconnaissance vous en a-t-on? Car les pécheurs aussi
aiment ceux qui les aiment.
33 Et si vous faites du
bien à ceux qui vous en font, quelle reconnaissance vous en a-t-on? Les
pécheurs eux-mêmes en font autant.
34 Et si vous prêtez à
ceux dont vous espérez qu'ils vous rendent, quelle reconnaissance vous en
a-t-on? Même des pécheurs prêtent aux pécheurs pour qu'on leur rende
l'équivalent.
35 Mais aimez vos
ennemis, faites du bien et prêtez sans rien espérer en retour. Alors votre
récompense sera grande, et vous serez les fils du Très-Haut, car il est bon,
lui, pour les ingrats et les méchants.
36 «Soyez généreux comme
votre Père est généreux.
37 Ne vous posez pas en
juges et vous ne serez pas jugés, ne condamnez pas et vous ne serez pas
condamnés, acquittez et vous serez acquittés.
38 Donnez et on vous
donnera; c'est une bonne mesure, tassée, secouée, débordante qu'on vous versera
dans le pan de votre vêtement, car c'est la mesure dont vous vous servez qui
servira aussi de mesure pour vous.»
1 Samuel 26
2 Saül se mit en route et
descendit au désert de Zif, avec trois mille hommes, l'élite d'Israël, pour
rechercher David au désert de Zif.
3 Saül campa sur la
colline de Hakila, qui est en face de la steppe, près de la route. David
demeurait dans le désert. Il vit que Saül était venu le poursuivre au désert.
4 Ayant envoyé des
éclaireurs, David fut certain de l'arrivée de Saül.
5 David se mit en route
et parvint à l'endroit où campait Saül. David aperçut l'endroit où étaient
couchés Saül et Avner, fils de Ner, le chef de son armée. Saül était couché à
l'intérieur de l'enceinte, et la troupe campait autour de lui.
6 David prit la parole et
dit à Ahimélek, le Hittite, et à Avishaï, fils de Cerouya et frère de Joab:
«Qui veut descendre avec moi jusqu'à Saül, au camp?» Avishaï dit: «Je
descendrai avec toi.»
7 David et Avishaï
arrivèrent de nuit auprès de la troupe, alors que Saül était couché, endormi,
dans l'enceinte, sa lance fichée en terre à son chevet. Avner et la troupe
dormaient autour de lui.
8 Avishaï dit à David:
«Aujourd'hui, Dieu a remis ton ennemi entre tes mains. Permets-moi donc de le
clouer au sol d'un seul coup de lance. Je n'aurai pas à lui en donner un
deuxième.»
9 David dit à Avishaï:
«Ne le tue pas! Qui pourrait porter la main sur le messie du SEIGNEUR et
demeurer impuni?»
10 Et David dit: «Par la
vie du SEIGNEUR! C'est le SEIGNEUR qui le frappera, quand viendra l'heure de sa
mort ou quand il descendra au combat pour y périr.
11 Que le SEIGNEUR m'ait
en abomination si je porte la main sur le messie du SEIGNEUR! Prends donc la
lance qui est à son chevet et la gourde d'eau, et allons-nous-en.»
12 David prit la lance et
la gourde d'eau qui étaient au chevet de Saül, et ils s'en allèrent. Personne
n'en vit rien, personne ne le sut, personne ne s'éveilla. Ils dormaient tous:
une torpeur venue du SEIGNEUR était tombée sur eux.
13 David passa de l'autre
côté et se tint sur le sommet de la montagne, au loin. Il y avait entre eux une
longue distance.
14 David cria en
direction de la troupe et d'Avner, fils de Ner: «Avner, vas-tu me répondre?»
Avner répondit: «Qui es-tu, toi qui cries aux oreilles du roi?»
15 David dit à Avner: «Tu
es un homme, n'est-ce pas, et tu n'as pas ton pareil en Israël. Pourquoi donc
n'as-tu pas veillé sur le roi, ton maître? Quelqu'un du peuple est venu pour
tuer le roi, ton maître.
16 Ce n'est pas bien, ce
que tu as fait là. Par la vie du SEIGNEUR, vous méritez la mort pour n'avoir
pas veillé sur votre maître, le messie du SEIGNEUR. Regarde maintenant où sont
la lance du roi et la gourde d'eau qui étaient à son chevet.»
17 Saül reconnut la voix
de David et il dit: «Est-ce là ta voix, mon fils David?» David dit: «C'est ma
voix, mon seigneur le roi.»
18 Et il dit: «Pourquoi
donc mon seigneur poursuit-il son serviteur? Qu'ai-je donc fait, et quel mal y
a-t-il en moi?
19 Et maintenant, que mon
seigneur le roi daigne écouter les paroles de son serviteur. Si c'est le
SEIGNEUR qui t'a excité contre moi, qu'il respire le parfum d'une offrande!
Mais si ce sont des hommes, qu'ils soient maudits devant le SEIGNEUR pour
m'avoir chassé aujourd'hui et coupé du patrimoine du SEIGNEUR, en me disant:
‹Va servir d'autres dieux!›
20 Et maintenant, que mon
sang ne tombe pas à terre loin de la face du SEIGNEUR, car le roi d'Israël
s'est mis en campagne pour rechercher une simple puce, comme on pourchasse la
perdrix dans les montagnes.»
21 Saül dit: «J'ai péché.
Reviens, mon fils David! Je ne te ferai plus de mal puisque ma vie a été
précieuse à tes yeux en ce jour. Oui, j'ai agi comme un fou, je me suis
lourdement trompé.»
22 David répondit: «Voici
la lance du roi. Que l'un des garçons traverse et qu'il la prenne.
23 Que le SEIGNEUR rende
à chacun ce qu'il a fait de juste et de sincère. C'est le SEIGNEUR qui t'avait
livré aujourd'hui entre mes mains, et j'ai refusé de porter la main sur le
messie du SEIGNEUR.
Prédication :
S’agissant du roi David,
nous avons en mémoire qu’il était le dernier fils de Jéssé. Ça se passait à
Bethléem, en Judée. Le prophète Samuel avait préféré ce petit gars insignifiant
à tous ses grands gaillards de frères. L’onction royale avait donc été conférée
à David. Désormais, deux hommes étaient oints.
David et l’autre, l’autre étant le roi Saül. Saül était, à ce qu’on dit, le
premier roi d’Israël, oint lui aussi par le prophète Samuel… puis disgracié
pour avoir transgressé divers interdits.
Après avoir été oint,
David s’en alla grandir à la cour du roi Saül où il s’illustra comme musicien,
seul capable d’apaiser les fureurs du roi, et surtout comme homme de guerre.
Et puis, l’état mental de
Saül se dégradant, il prit David en haine, et David dut fuir, se réfugiant chez
les Philistins, ou dans le désert. Et Saül le poursuivit… C’est là qu’il nous
est proposé de lire.
Saül, qui voulait la mort
de David, se trouva à la merci de David. Une question se posa donc :
« Celui qui veut ma mort se trouvant à ma merci, est-il légitime que je le
tue ? » Oui ? Non ? Réponse de David : non !
David semble mettre en
œuvre une sorte de commandement : si celui qui veut votre mort se trouve à
votre merci, vous l’épargnerez. C’est un commandement très intéressant. Mais
peut-on le généraliser ainsi que nous sommes en train de le faire ? D’abord,
nous avons là deux personnage ayant reçu l’onction, et donc ce ne sont pas des
gens ordinaires. Pourtant nous les avons appelés simplement David et Saül, oui,
ce sont des noms de rois et nous parlons donc du régicide, plus loin, nous
avons pu laisser résonner l’idée d’un fils, de son père, et du parricide ,
et en plus nous pouvons évoquer le serviteur et son Seigneur, et finalement
toute relation de pouvoir… Ces généralisations sont-elles légitimes ?
Est-ce que le geste –
retenir son bras est aussi un geste – est-ce que le geste de David peut servir
de fondement à un commandement très général interdisant tout meurtre ? Dans
d’autres fragments du récit, nous pouvons voir David, petit chef de bande, détruire
des villages entiers, massacrer toute la population, et ne conserver que le
bétail.
Mais ça n’est pas parce
que David le fait que ça légitime quoi que ce soit. C’est d’ailleurs une erreur
courante que de considérer que ce qui est fait, ou pas fait dans la Bible doit être
considéré immédiatement comme un modèle, ou une loi. La Bible ne nous dispense
jamais ni de la réflexion, ni de la foi.
Et il nous faut en revenir
à la Bible.
Épargner Saül, cela
peut-il être exigé ? Et si oui, cela peut-il être exigé indépendamment des
circonstances ? Difficile de répondre à cet instant.
Continuons. David motive
précisément sa décision. Saül, même disgracié, même renié, demeure le roi, demeure
celui qui a reçu l’onction royale et divine, et personne ne doit, personne ne
peut porter la main sur lui. Paroles de David : « C’est Le
Seigneur qui le frappera lorsque viendra l’heure… Que Le Seigneur me maudisse si je porte la
main sur le messie du Seigneur. » Selon David, que Saül meure n’appartient
qu’au Seigneur seul. D’où la décision de David d’épargner Saül.
Et nous nous demandons en
quoi la décision de David, avec ses motivations, peut nous concerner… nous qui
ne sommes ni rois, ni oints, ni armés, ni ennemis d’untel… Nous ne sommes rien
de tout cela. Et sans doute n’aurons-nous jamais à contempler notre ennemi livré
à notre merci, en nous demandant, pistolet à la main, s’il nous faut frapper ou
retenir notre main… Jamais. Cette histoire donc, David épargnant Saül, ne nous
concerne pas.
Soit, elle ne nous
concerne pas. Mais en le disant, nous sentons que c’est faux, et qu’il y a là
quelque chose à méditer, quelque chose de délicat, quelque chose d’important.
Quelque chose que l’être humain ne peut jamais décider que par soi- même, dans
lequel son engagement est total, et totale aussi sa retenue. Pour le dire
autrement, c’est la situation qui est inédite, avec un sujet dans une position
de toute puissance, une toute puissance qui est invitée à se reconnaître
elle-même, à se méditer elle-même, et à s’effacer d’elle-même. C’est une sorte
de processus pour lequel il n’y a ni théorie ni diplôme.
David avec Saül, laissons
là le fragment du récit. Et venons-en à Luc.
Qu’en est-il de ce
fragment de discours de Jésus (Luc 6,27-38) que nous avons associé au fragment
de récit de Samuel ?
Ce fragment de discours
comporte quantité d’impératifs (17 en 12 versets) et chacun de ces impératifs
correspond d’assez près à une situation dans laquelle celui qui y est engagé,
de gré ou de force, est invité à être engagé d’avantage encore, voire engagé sans
aucune restriction.
Celui qui engagé est
invité à l’être plus encore, et comme le texte est très structuré, il est
tentant d’affirmer que c’est la raison qui est en jeu, que c’est la raison qui
appelle à cet engagement extrême, alors qu’il est possible de dire que cet
engagement est déraisonnable. Car ça n’est pas en raison qu’on présente l’autre
joue, ça n’est pas en raison qu’on donne la tunique en plus du manteau, qu’on
prête sans perspective de remboursement, etc..
Ajoutons à la déraison que
si tous ces impératifs faisaient l’objet d’une proclamation contraignante, ou étaient
constitués en un règlement, ça serait le signal de la présence d’un gourou dans
les environs, mais certainement pas celle d’un berger ou d’un sauveur.
Prenons cependant pour
nous-mêmes tous ces impératifs ensemble, et tâchons d’imaginer la situation, ou
le genre de situation qu’ils décrivent. C’est une situation dans laquelle le
peu de puissance dont on dispose est appelé à s’exercer en s’épuisant
totalement. Il est alors question de don absolu, de don éperdu, absolument
gratuit, avec récompense dans les cieux, c'est-à-dire on ne sait ni quoi, ni
où, ni quand.
Plus encore, ces nombreux
impératifs considérés tous ensemble viennent, dans leurs différences cumulées
décrire quantité de situations très particulières, pendant que dans leur
ressemblance ils renvoient à ce dont nous avons parlé déjà tout à l’heure en parlant
de David : celui qui doit s’engager, agir, est seul, absolument impréparé.
Il nous reste une étape à
franchir. La singularité de la situation, la solitude et l’impréparation de
celui qui agit peuvent être reprises en un seul mot : liberté. Liberté de
Dieu, et peut-être bien liberté de l’homme. La toute puissance de celui qui
agit s’exténuant, c’est à la liberté qu’il se trouve de plus en plus invité. Quant
à celui auquel il est fait grâce, il se trouve libre de toute obligation.
Ainsi pour Saül et David.
Ainsi pour Jésus Christ,
ses disciples et les disciples de ses disciples après lui.
Ainsi de nous-mêmes.