Lettre
pastorale : sur l’espérance
70 ans ! A ceux de ses
compatriotes qui avaient été exilés et confinés en Babylonie, le prophète
Jérémie (Jérémie 29) annonça, par courrier postal, qu’il leur faudrait
patienter 70 ans avant de pouvoir espérer revenir vers la terre de leurs
ancêtres. Une durée considérablement longue, trop longue, une durée sans doute désespérante.
« Qui d’entre nous, dans 70 ans,
sera encore là et en état de supporter le voyage retour ? »
Pour occuper ces 70 années,
Jérémie leur recommanda de vivre, de persister
à vivre là où les hasards de la vie les avaient placés. Et s’agissant de vivre,
il leur recommanda les deux choses en lesquelles l’humanité entière se
retrouve : produire leur nourriture et engendrer des enfants.
Voici donc que Jérémie, l’un des
plus grand prophètes de l’histoire, donne à ceux qui sont siens des conseils de
pur bon sens, conseils pour le quotidien, conseils dans lesquels Dieu n’a
finalement rien à voir. Car Jérémie ne
donne aucune recommandation, ni aucun conseil de piété. Forme, sens, et
périodicité du culte, tout est oublié. Forme et fréquence de la prière
domestique, néant. Seule recommandation concernant la piété : prier pour la
paix, la santé, le salut et la prospérité (en un seul mot : shalom) de Babylone et des Babyloniens.
Cette seule recommandation frise le blasphème, car ce shalom, don de Dieu seul, comment pourrait-il être donné à l’ennemi
babylonien plutôt qu’aux enfants d’Israël ?
Les exilés ont dû être
profondément déçus, voire furieux, de recevoir cette lettre. Car ils
appartenaient à l’élite de la société judéenne. Ils avaient un Pays, une Ville,
un Temple, ils étaient propriétaires terriens, ils avaient des palais, de la
fortune et des esclaves… Ils rêvent de retrouver la jouissance de tout ce qu’on
leur a pris, et ce Jérémie vient au nom de Dieu leur prescrire de se mettre au
jardinage ? Certainement pas ! Alors, qu’allaient-ils faire ? Se
tourner vers un autre prophète, qui leur annoncerait, évidemment de la part de
Dieu, ce qu’ils voulaient entendre ? Se trouver un autre Dieu ? Se
perdre dans d’interminables discussions sur les causes et les fins de leur exil ?
Et se demander pendant combien d’années encore ?
Et l’espérance, alors ? Dans
sa lettre, Jérémie parle d’espérance. Il ne parle même que d’espérance.
Jérémie parle d’espérance en
commençant par les inciter à sortir de leur sidération. En dépit du choc de la
défaite, de l’épreuve de la déportation, et des doutes qui y sont liés, Jérémie
affirme que Dieu parle, Dieu s’adresse encore à eux en tant que Dieu de combat,
Dieu ne les a donc pas abandonnés. Espérer, c’est donc, envers et contre
tout, se relever.
Jérémie parle d’espérance parce
qu’il ne les laisse pas ses lecteurs se faire d’illusions ni sur la durée ni
sur la dureté de l’exil. Oui, 70 ans ! Oui, comme une durée symbolique, et
non pas comme une durée calendaire. La condition des enfants d’Israël, la
condition même du croyant, est de n’être qu’un exilé, dont la patrie est la
prière et la demeure la foi. Espérer, c’est donc aussi être lucide.
Jérémie parle d’espérance parce
qu’il leur indique des tâches très concrètes, indispensables à leur
survie : cultiver, enfanter. Car la génération suivante, et celle aussi
qui la suivra, ne se lèveront pas toutes seules. Espérer, c’est donc enfin choisir
de vivre et de faire vivre.
Chères sœurs, chers frères, Jérémie
le prophète a bien écrit pour nous. Qu’il s’agisse d’une défaite militaire ou
d’une épidémie, qu’il s’agisse d’exil ou de confinement, qu’il s’agisse
d’ennemis ou d’un virus, l’espérance est toujours la même : se relever et
tenir debout, perdre ses illusions et progresser en lucidité, choisir
concrètement de vivre. Notre espérance, c’est ce que nous faisons.
Pasteur Jean DIETZ, 1er
avril 2020
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Je suis confiné, tout comme vous. Mais le partage de belles photos ignore le confinement. |