Luc 5
1 Or, un jour, la foule
se serrait contre lui à l'écoute de la parole de Dieu; il se tenait au bord du
lac de Génésareth.
2 Il vit deux barques qui se trouvaient au bord du
lac; les pêcheurs qui en étaient descendus lavaient leurs filets.
3 Il monta dans l'une des barques, qui appartenait
à Simon, et demanda à celui-ci de quitter le rivage et d'avancer un peu; puis
il s'assit et, de la barque, il enseignait les foules.
4 Quand il eut fini de parler, il dit à Simon:
«Avance en eau profonde, et jetez vos filets pour attraper du poisson.»
5 Simon répondit: «Maître, nous avons peiné toute
la nuit sans rien prendre; mais, sur ta parole, je vais jeter les filets.»
6 Ils le firent et capturèrent une grande quantité
de poissons; leurs filets se déchiraient.
7 Ils firent signe à leurs camarades de l'autre
barque de venir les aider; ceux-ci vinrent et ils remplirent les deux barques
au point qu'elles enfonçaient.
8 À cette vue, Simon-Pierre tomba aux genoux de
Jésus en disant: «Seigneur, éloigne-toi de moi, car je suis un coupable.»
9 C'est que l'effroi l'avait saisi, lui et tous
ceux qui étaient avec lui, devant la quantité de poissons qu'ils avaient pris;
10 de même Jacques et Jean, fils de Zébédée, qui étaient
les compagnons de Simon. Jésus dit à Simon: «Sois sans crainte, désormais ce
sont des hommes que tu auras à capturer.»
11 Ramenant alors les barques à terre, laissant
tout, ils le suivirent.
Prédication :
Au 10ème verset
du texte de ce matin, nous lisons :
« Ce sont des hommes que tu auras à capturer », c’est la traduction
que nous propose notre chère bonne TOB. Louis Segond propose « tu seras
pêcheur d’hommes ». Et pour regarder du côté de la Bible de Jérusalem,
nous avons « ce sont des hommes que tu prendras. » Ces trois
traductions vont ensemble dans le même sens : la tâche de Pierre sera de
prendre des hommes ; le pêcheur Pierre, qui pêchait des poissons pour
gagner sa vie, va désormais – parole de Jésus – pêcher des hommes.
Un petit chant d’école biblique me revient, dont
le titre est Sur ta parole, Marie de
Magdala… et dont voici le refrain : « Sur ta parole, je jetterai,
mes filets, dans les mers du monde. Sur ta parole, j’amasserai belle pêche dans
mes filets ». Et me revient avec ce chant un souvenir très ancien, d’un
peu moins de 50 ans, d’une catéchèse biblique qui parlait justement de cette
mission du chrétien : évangéliser, être pêcheur d’hommes. Le texte que j’ai
en mémoire se finit bien par cette injonction « Suis-moi, et je ferai de
toi un pêcheur d’hommes ». Je ne parviens pas à me souvenir lequel des
trois premiers évangiles avait été lu ; mais cette histoire de retour
bredouille puis de pêche miraculeuse m’est si familière que je pense que cette
catéchèse a pu être basée sur Luc. Je me souviens aussi très bien du pasteur
qui expliquait par ce texte l’échec de notre évangélisation : nous n’avions
pas tout abandonnée pour suivre Jésus… Mon premier souvenir de ce texte n’est
ainsi pas un souvenir bien agréable : celui, étant à peine plus qu’un
enfant, d’avoir été pris dans les filets des discours de ce pasteur et de
certains de ses séides, en ayant un fort sentiment d’oppression, voire de
promiscuité, et en étant incapable de me défaire de ces gens ; en somme
tout comme un poisson dans un filet…
Pierre et ses compagnons étaient des pêcheurs. Ils
pêchaient pour se nourrir et pour gagner leur vie. Le sort des poissons qu’ils
réussissaient à capturer n’était guère enviable. Pêche-t-on des hommes tout
comme on pêche des poissons ? Pêche-t-on des hommes dans le même but qu’on
pêche des poissons ? Non… et pourtant, les évangiles de Marc et de
Matthieu utilisent exactement les mêmes mots pour décrire Pierre, Jacques, et
Jean avant et après leur rencontre de Jésus : des pêcheurs de poissons
qu’ils sont, Jésus promet
Lisons l’évangile de Luc, un peu mot à mot, en le développant.
La foule se serrait contre Jésus, entendez une grosse bousculade,
une forte compression, on ne peut plus respirer, et les plus faibles
sont en danger d’asphyxie ou de piétinement. L’opportunité de prendre une
barque arrive à point ; le son chemine bien sur l’eau et la baie fera
amphithéâtre. Puis Jésus commande à Simon le pêcheur de jeter son filet pour attraper
du poisson, c'est-à-dire priver ce poisson de sa liberté et de sa vie.
Simon obéit, même s’ils ont trimé toute la nuit sans rien prendre :
la contrainte qu’ils se sont imposée a été vaine. Là-dessus, Jésus
ordonne et Simon obéit. L’obéissance de
Simon est payée en retour : ils attrapent des poissons, les enferment
tous ensemble dans les filets. La quantité prise est considérable,
si considérable que Simon et les autres sont saisis d’effroi… Tous ces mots
que nous venons d’utiliser en traduction du texte grec indiquent la contrainte,
le pouvoir des hommes sur ces malheureux poissons qui vont finir en
bouillabaisse et qui, s’ils avaient la parole, demanderaient que ce filet passe
loin d’eux, tout comme Simon, tombant aux pieds de Jésus, lui demande de
s’éloigner, car il – Simon – est un pécheur, pris dans les filets de sa
conscience et de sa culpabilité. En quoi Simon aurait-il péché ? Peut-être
juste en étant un pêcheur, fils de pêcheur. Question de pureté, les pêcheurs
allant sur cette étendue d’eau qu’est le lac, dans laquelle tout se mélange,
les pêcheurs aussi touchant ces choses mortes que sont les poissons, sortis de
ce milieu impur, etc.
A ce moment de notre méditation, nous revenons au
verset par lequel nous avions commencé : « Ce sont des hommes que tu
auras à capturer ». La langue grecque dispose d’un verbe qui exprime en un
seul souffle le fait de capturer et la vie ; capturer vivant, ou, mieux
encore, capturer vivant dans le but de faire vivre. Nous n’avons pas cela en
langue française, il nous faut plusieurs mots. « Ce sont des hommes que tu
prendras vivants » (Chouraqui), ou, mieux encore « ce sont des hommes
que, pour leur vie, prendront tes filets. » (Delebecque). C’est un peu mieux,
mais aucune de ces deux traduction n’est encore vraiment satisfaisante… Après
tout, le poisson, on le prend vivant et si on le laisse en vie, c’est pour
qu’il reste frais plus longtemps ; et on le prend pour disposer de lui,
pour s’en nourrir, sa mort pour notre vie. Il ne saurait en être de même avec
l’Evangile, surtout après avoir résisté à la seconde tentation : tu ne
feras pas des humains tes obligés, tel est le commandement que nous retenons de
cette tentation. La destinée de Simon devenu disciple de Jésus, sera bien de
prendre des humains, mais de les prendre vivants, et de les prendre vivants
pour les rendre à la vie, renouvelés, guéris, affranchis de leurs servitudes,
ceci au plan individuel, et capables, s’ils le veulent, sans s’y aliéner et
sans s’y perdre, de former ensemble et librement une communauté (le mot y est
aussi) [κοινωνοὶ] humaine vivant de
l’Evangile et pour l’Evangile.
Et le poisson, alors ? Les filets craquent,
les barques sont si chargées qu’elles s’enfoncent… et que fait le poisson, un
temps retenu ? Il reprend sa liberté. Et que font les pêcheurs ? Ils
ramènent les barques sur la rive et, laissant tout, y compris leur vie de
pêcheurs, ils suivent Jésus. Si donc la pêche des poissons avait pour principe leur mort pour notre vie, la pêche des
humains annoncée par Jésus aura pour principe notre vie pour leur vie, voire même notre mort pour leur vie.
Toute la suite de l’évangile de Luc, et tous les
Actes des Apôtres, peuvent être lus comme un grand récit d’apprentissage, non
pas simplement pour apprendre à tout abandonner une fois, mais bien plus pour
apprendre à tout abandonner à chaque fois. Qui sont les apprentis ? Les
disciples ; nous savons combien ils peineront, ce que leur vie de
disciples devenus Apôtres leur apportera de douleurs et de joies, et combien
aussi l’aide de Dieu, le Saint Esprit, leur sera abondamment accordée.
Mais les apprentis sont surtout les lecteurs. Les
lecteurs sont – nous sommes – les apprentis de l’Evangile, les apprentis de la
miséricorde et de la grâce. Sans doute même avons-nous à apprendre que nous
sommes, et serons toujours, apprentis de la miséricorde et de la grâce,
toujours pris tout vivants dans les filets de l’Evangile, et toujours rendus
libres et tout vivants à la vie par l’Evangile.
Telle est notre destinée. Pour notre vie nous
avons été pris dans les filets de l’Eglise protestante unie de France… et cette
Eglise veille sur nous. C’est ainsi que, pour nous, Jésus Christ nous a pris
dans ses filets, individuellement et collectivement ; et il veille sur
chacun d’entre nous et sur son Eglise.
Grâces lui soit rendue. Amen