dimanche 3 février 2019

Le fils de Joseph et la grâce (Luc 4,14-31)



En partageant le pain, et le vin.
Luc 4
14 Alors Jésus, avec la puissance de l'Esprit, revint en Galilée, et sa renommée se répandit dans toute la région. 15 Il enseignait dans leurs synagogues, glorifié par tous.
                       
16 Il vint à Nazara où il avait grandi. Il entra suivant son habitude le jour du sabbat dans la synagogue, et il se leva pour faire la lecture.
17 On lui donna le livre du prophète Esaïe, et en le déroulant il trouva le passage où il était écrit:
18 L'Esprit du Seigneur est sur moi parce qu'il m'a conféré l'onction pour annoncer une bonne nouvelle aux pauvres. Il m'a envoyé proclamer aux captifs la libération et aux aveugles le retour à la vue, renvoyer les opprimés en liberté,
19 proclamer une année d'accueil par le Seigneur.
20 Il roula le livre, le rendit au servant et s'assit; tous dans la synagogue le regardaient intensément.
21 Alors il commença à leur dire: «Aujourd'hui, cette écriture est accomplie à vos oreilles
22 Tous en étaient témoins ; et ils étaient stupéfaits du message de grâce qui sortait de sa bouche, mais ils disaient : « N’est-il pas fils de Joseph, celui-là ? »
23 Alors il leur dit: «Sûrement vous allez me citer ce dicton: ‹Médecin, guéris-toi toi-même.› Nous avons appris tout ce qui s'est passé à Capharnaüm, fais-en donc autant ici dans ta patrie.»
24 Et il ajouta: «Oui, je vous le déclare, aucun prophète ne trouve accueil dans sa patrie.
25 En toute vérité, je vous le déclare, il y avait beaucoup de veuves en Israël aux jours d'Elie, quand le ciel fut fermé trois ans et six mois et que survint une grande famine sur tout le pays;
26 pourtant ce ne fut à aucune d'entre elles qu'Elie fut envoyé, mais bien dans le pays de Sidon, à une veuve de Sarepta.
27 Il y avait beaucoup de lépreux en Israël au temps du prophète Elisée; pourtant aucun d'entre eux ne fut purifié, mais bien Naamân le Syrien.»
28 Tous furent remplis de rage, dans la synagogue, en entendant ces paroles.
29 Ils se levèrent, le jetèrent hors de la ville et le menèrent jusqu'à un escarpement de la colline sur laquelle était bâtie leur ville, pour le précipiter en bas.

30 Mais lui, passant au milieu d'eux, alla son chemin.
31 Il descendit alors à Capharnaüm, ville de Galilée.

Prédication : 
            N’est-il pas fils de Joseph, celui-là, énoncent les habitants de Nazara ? Oui, il est fils de Joseph, et  l’épisode que nous venons de lire vient juste après celui des tentations, pendant lequel une autre filiation est énoncée : « Si tu es fils de Dieu… » Oui, il est fils de Dieu. Placés si proches l’un de l’autre dans le récit de Luc, ces deux énoncés s’interpellent, voire s’entrechoquent. Fils de Joseph, fils de Dieu… le fils de Dieu peut-il être fils de Joseph, le fils de Joseph peut-il être fils de Dieu ? A la première de ces deux questions, les lecteurs de l’évangile de Luc sauront répondre : c’est toute l’histoire de l’Annonciation, de la Visitation et de la Nativité, jusqu’au baptême de Jésus qui donne la réponse : oui, né de Marie, le fils de Dieu peut être fils de Joseph. Qu’en est-il alors de l’autre question : le fils de Joseph peut-il être fils de Dieu ?
            De Nazara, nous ne pouvons pas imaginer que c’eût put être une grande ville, par grande ville nous entendons une ville suffisamment importante pour que les habitants soient étrangers les uns aux autres. Nazara est plutôt un bourg, une petite localité où tout le monde connaît tout le monde. Jésus a grandi là, et il y est connu comme fils de Joseph… un enfant du pays en somme. Et c’est donc à des gens qui le connaissent, et le connaissent bien, qu’il vient délivrer son message.
            Première partie du message, citation du prophète Esaïe : « 18 L'Esprit du Seigneur est sur moi parce qu'il m'a conféré l'onction pour annoncer une bonne nouvelle aux pauvres. Il m'a envoyé proclamer aux captifs la libération et aux aveugles le retour à la vue, renvoyer les opprimés en liberté, 19 proclamer une année d'accueil par le Seigneur. » En prêtant attention à cela, nous remarquons que les verbes employés relèvent tous de la parole : Jésus est là pour annoncer, et pour proclamer... quant au troisième verbe qu’il utilise, c’est renvoyer, libérer les opprimés (cette dernière action ressort, elle aussi, de la parole). Et Jésus de dire à ses auditeurs que cette prophétie est accomplie, mot pour mot, dans leurs oreilles.
Ce message donc, sort de la bouche de Jésus, et rentre dans les oreilles des Nazaréens. Mais est-ce cela que les Nazaréens attendent ? Les paroles de Jésus ont résonné dans la salle commune, mais ont-elles trouvé de la place dans les oreilles des auditeurs ? Nous lisons que « tous le regardaient intensément » Mais pour voir quoi ? Ne cherchons pas trop loin… Le message de Jésus est une proclamation (ça se reçoit par les oreilles, ça se médite, c’est destiné à être reçu par un cœur, que ça peut transformer…), mais les gens, c’est signalé dès le début, veulent voir, ils veulent voir ce que Jésus annonce, ils veulent que des événements concrets étayent le stupéfiant discours de grâce, en attestent pour eux la véracité.

            Faut-il leur donner raison ou tort ? Méditons plutôt sur le moment où l’affaire s’envenime. « Ils étaient stupéfaits du message de grâce qui sortait de sa bouche, mais ils disaient : « N’est-il pas fils de Joseph, celui-là ? » Oui, il est fils de Joseph, il est connu en tant que fils de Joseph, en tant qu’enfant du pays. Et dès lors qu’il est connu comme enfant du pays, il se trouve inscrit dans le réseau local des droits et des devoirs. En tant qu’enfant du pays, il doit en faire au moins autant, voire plus, à Nazara, qu’ailleurs, c'est-à-dire Capharnaüm ; un peu comme les champions sportifs qui doivent au chauvinisme de leur pays victoire sur victoire, sous peine d’immédiate disgrâce. Donc, de Jésus, le public nazaréen entend le message de grâce et en est bouleversé mais, parce que Jésus est fils de Joseph, le public nazaréen exige de lui une vérification visible et immédiate de ce message.

            Or, que reste-t-il du message de la grâce si, ayant exigé quelque chose de la grâce, cette chose est automatiquement accordée ? Nous répondons que, sous de telles conditions, il ne saurait même pas être question de grâce. Nous nous demandions tout  à l’heure si le fils de Joseph peut être fils de Dieu. Nous tenons là notre réponse. Là où l’origine et l’identité de Jésus sont connues et que cette connaissance est synonyme d’obligation, le fils de Joseph ne peut pas être fils de Dieu. En somme, les Nazaréens en savent trop sur Jésus pour que celui-ci puisse être chez eux – chez lui – prédicateur et acteur de la grâce.
Plus durement encore, la grâce, annoncée dans les conditions qui sont réunies à Nazara, n’agit pas comme consolatrice mais comme accusatrice, comme révélatrice de la jalousie. D’où l’émeute et ce qui s’ensuit… Tristesse.

Mais nous retiendrons, nous devons retenir, et on n’enlèvera pas, que la grâce aura été prêchée à Nazara. Et parce qu’il s’agit vraiment de la grâce, nous ne pouvions absolument pas savoir, ni avant, ni après, si elle allait être effectivement reçue. Les Nazaréens en savaient trop pour que le fils de Joseph pût agir en tant que fils de Dieu. Leur savoir n’empêchait pas que la grâce fût prêchée, mais rendait en somme la grâce impuissante. C’est bien sûr un peu audacieux de laisser entendre que l’agir de Dieu peut dépendre à ce point des dispositions humaines : Dieu fait évidemment librement grâce à qui Il veut, comme Il veut et quand Il veut. Mais cette affirmation ne peut pas être, ne doit jamais être, un savoir opposable à la souveraineté de Dieu. Sinon, ça n’est plus de grâce et ça n’est plus de Dieu qu’il est parlé.

Alors, le fils de Joseph peut-il être fils de Dieu ? Nous ne pouvons que donner foi à une réponse positive, et rester provisoirement dans l’ignorance de ce qui adviendra. Grâce à Dieu, il le peut. Nous le croyons. Puisse la foi grandir en nous, que nous entendions la prédication de Jésus à Nazareth, et que nous le recevions, Lui, comme Fils de Dieu. Amen