Luc 5
17 Or, ce fut en un de ces jours, comme il
enseignait, que se trouvaient assis des Pharisiens et des docteurs de la loi,
venus de chaque village de Galilée, de Judée et de Jérusalem, et que la
puissance du Seigneur le poussait à guérir,
18 voici qu’il y eut des hommes portant un paralysé
sur une litière, qui cherchaient à le faire entrer et à le placer sous ses
regards.
19 Mais ne trouvant pas, à cause de la foule, par où
le faire entrer, ils montèrent sur le toit et le firent descendre à travers les
tuiles, avec son méchant lit, en plein milieu, face à Jésus.
20 Voyant leur foi, il dit: «Homme, tes fautes te
sont remises.»
21 Les scribes et les Pharisiens se mirent à faire
des calculs en disant : « Qui est-il, celui-là, qui dit des
blasphèmes ? Qui a le pouvoir de remettre les péchés, hors Dieu
seul ?»
22 Jésus, découvrant leurs calculs, leur fit cette
réponse : « quels sont ces calculs à l’intérieur de vos cœurs?
23 Quelle chose est plus facile, dire « Tes
péchés te sont remis », ou dire « Redresse-toi et promène-toi »?
24 Afin que vous sachiez que le Fils de l’Homme a le
pouvoir sur terre de remettre les péchés, « Je te le dis – dit-il au
paralysé – redresse-toi, soulève ton méchant lit et va chez toi.»
25 Sur-le-champ, se levant debout sous les regards
de tous, soulevant ce qui lui servait de couche, il regagna son logis en
glorifiant Dieu.
26 La stupéfaction les saisit tous ; ils glorifiaient
Dieu et, remplis de frayeur, ils disaient : « Nous avons vu,
aujourd’hui, des choses qui sortent de l’ordinaire. »
Prédication
Pourquoi cet homme était-il paralytique ? Il l’était. Et aucun
pourquoi n’est invoqué dans notre texte.
Les livres de la Bible ne sont pourtant pas pauvres en réponses à la
question pourquoi. La responsabilité peut y prendre toutes les formes possibles
(directe, indirecte, individuelle, collective, immédiate, différée, etc.),
jusqu’à un point où l’on ne peut plus guère avancer : chacun est
responsable de son propre péché. Les prophètes Ezéchiel (chap.18) et Jérémie
(chap. 31) mènent la réflexion jusqu’à ce point que nous pourrions dire ultime.
Point qui est cependant une impasse lorsqu’il s’agit d’un mal évidemment sans
aucun ‘péché’ repérable. Le livre de Job prend alors le relais d’une réflexion
dans l’impasse : Job obtient de
Dieu lui-même une espèce de révélation personnelle : le mal existe dans la
création, et ce mal peut frapper, aveuglément, n’importe quand, n’importe quel
homme, dont Job. Cette réponse suffit à Job : l’ayant obtenue il se défait
de son deuil et revient à la vie.
Nous, nous revenons à Luc ; cet homme était
paralytique. Nous ne savons pas s’il l’était de naissance ou s’il l’était
devenu à un moment de sa vie. Mais nous savons qu’il l’était toujours… cet
homme était paralytique parce que, jusqu’à cet instant, il avait été incurable.
Et c’est d’ailleurs ce que suggère l’étymologie grecque du mot
paralytique : incurable il est, il a été lié, et bien lié, de partout, il
est au-delà de toute entreprise de libération, rien ne l’a délié, et il est
manifeste que rien ne le déliera.
Dès lors, nous pouvons nous interroger sur les intentions
de ces quatre hommes qui portent le paralytique sur son brancard, escaladent
les murs, démontent la toiture et font descendre leur fardeau juste devant
l’orateur, Jésus. Aucune motivation n’étant énoncée, nous avançons que la seule
intention de ces porteurs est de rendre accessible à l’homme l’enseignement de
Jésus, un enseignement qui est habité par la puissance du Seigneur, un
enseignement qui est propre à guérir (mais seul le lecteur le sait à ce moment
de l’histoire).
Mais à guérir quoi ? Les consciences ? La
paralysie ? La paralysie du paralytique va être guérie, nous l’avons lu,
mais elle n’est pas la seule paralysie qui soit présente dans ce court récit.
Lorsque, ayant vu la foi des quatre porteurs, Jésus annonce au paralysé que ses
péchés sont pardonnés – qu’il est délié de ses péchés – une autre paralysie se
manifeste, celle des scribes et des pharisiens.
Explorons cette autre paralysie, celle des scribes et Pharisiens. Si Dieu
seul peut pardonner les péchés, et ne nous y trompons pas, cela signifie aussi ‘si
Dieu veut guérir ce paralysé’, il n’a nul besoin de qui que ce soit pour lui
désigner tel ou tel pécheur et tel ou tel péché. Dieu est souverain et la
souveraineté de Dieu se manifeste donc en ce que ce paralytique est toujours
paralytique…
Alors, lorsque Jésus lui annonce que ses péchés lui sont pardonnés, c’est
un blasphème. Telle est la paralysie des scribes et des Pharisiens : au
titre de leur savoir sur Dieu, ils rendent inutile toute foi – ne nous y
trompons pas : la foi des quatre porteurs est tout à fait concrète, c’est
porter le paralytique – et rendant inutile toute foi, ils rendent impossible
toute espérance : l’espérance du paralytique est suspendue à la foi,
c'est-à-dire à l’engagement, de ses porteurs.
Et son espérance n’est pas vaine. Oui, il est plus facile
de dire “Tes péchés te sont pardonnés” que de dire “Lève-toi et marche”, mais
dans la bouche de Jésus, et dans le cadre de pensée construit par ce texte, les
deux affirmations sont homologues l’une de l’autre. Elles le sont dans la
bouche de Jésus. Dès lors que Jésus s’adresse la première fois au paralytique,
celui-ci est délié, c'est-à-dire guéri.
Sur l’ordre de Jésus, il repart chez lui debout et
transportant son brancard. Tous sont saisis de stupeur – c’est bien leur tour à
tous d’être saisis – et disent « nous avons aujourd’hui vu des choses
étranges » Notre œil se porte de nouveau sur l’étymologie grecque, et nous
trouvons que ces choses sont au-delà de toute glorification.
Ces choses sont-elles étranges ? Tous se le disent.
Tous, y compris scribes et Pharisiens. Ce paralytique, qui était au-delà de
toute thérapie possible, a été guéri par une action incompréhensible, au-delà
de toute glorification possible. Action de Dieu ? Hum… blasphématoire en
même temps. Tant et si bien que de Dieu l’on ne sait plus que penser, ni
d’ailleurs de l’homme (le Fils de l’homme est un homme) qui manifeste alors une
si étrange capacité : délier concrètement l’indéliable, et le délier par
un blasphème !
Tout est ici sens dessus dessous. L’enseignement sacré des Ecritures – des scribes
et des Pharisiens – devient inopérant, et le blasphème devient parole de
guérison… Et que fait-on, lorsque tout est ainsi bouleversé ? Louer Dieu,
oui, louer Dieu… peut-être.
Pouvons-nous traiter ce texte comme une parabole ? Pouvons-nous nous
projeter dans tel ou tel personnage ?
Les porteurs : la tâche du chrétien, porter vers, emmener vers... Vers
le Christ ? En tout cas vers celui qui parle autrement. Porter et porter
encore.
Le paralytique : puissions-nous, s’il nous arrive d’être ainsi tout
lié, tout impuissant, rencontrer de bons porteurs, des gens qui nous porteront,
qui nous emmèneront jusque devant le Christ – ou l’un de ses témoins.
Le Christ – ou plutôt le Fils de l’homme : car cette parole de grâce
et de guérison, il peut nous incomber de la prononcer.
Puissions-nous être habités, nous laisser habiter par l’esprit de Dieu. Amen