dimanche 21 mai 2017

Fermeture, ouverture (Jérémie 7)

Une vérité de foi est toujours un blasphème, avons-nous énoncé la semaine dernière, manière de dire qu'une vérité de foi doit toujours rester une interpellation, presque un reproche, un appel à la conversion, une ouverture. Mais nous savons bien que, souvent, les vérités de foi qui rencontrent un certain succès peuvent devenir obligatoires, contraignantes, voire répressive. Nous poursuivons cette semaine notre réflexion sur ce sujet.
Une pensée pour Cabu, qui nous a brocardés avec une tendre férocité
Jérémie 7
1 La parole qui s'adressa à Jérémie de la part du SEIGNEUR:
2 Tiens-toi à la porte de la Maison du SEIGNEUR pour y clamer cette parole: Écoutez la parole du SEIGNEUR, vous tous Judéens qui entrez par ces portes pour vous prosterner devant le SEIGNEUR.
3 Ainsi parle le SEIGNEUR le tout-puissant, le Dieu d'Israël: Soyez bons sur vos chemins, avec votre manière d'agir, pour que je puisse habiter avec vous en ce lieu.
4 Ne vous bercez pas de paroles illusoires en répétant «Palais du SEIGNEUR! Palais du SEIGNEUR! Palais du SEIGNEUR! Il est ici.»
5 Mais plutôt soyez bons sur vos chemins, avec votre manière d'agir, en défendant activement le droit dans la vie sociale;
6 n'exploitez pas l'immigré, l'orphelin et la veuve; ne répandez pas du sang innocent en ce lieu; ne courez pas, pour votre malheur, après d'autres dieux;
7 je pourrai alors habiter avec vous en ce lieu, dans le pays que j'ai donné à vos pères depuis toujours et pour toujours.
8 Mais vous vous bercez de paroles illusoires qui ne servent à rien.
9 Pouvez-vous donc commettre le rapt, le meurtre, l'adultère, prêter de faux serments, brûler des offrandes à Baal, courir après d'autres dieux que vous ne connaissez pas,
10 puis venir vous présenter devant moi dans cette Maison sur laquelle mon nom a été proclamé et dire: «Nous sommes sauvés!» et puis continuer à commettre toutes ces horreurs?
11 Cette Maison sur laquelle mon nom a été proclamé, la prenez-vous donc pour une caverne de bandits? Moi, en tout cas, je vois qu'il en est ainsi - oracle du SEIGNEUR.
12 Allez donc au lieu qui m'appartenait, à Silo, là où j'avais tout d'abord fait habiter mon nom, et voyez comme je l'ai traité à cause de la méchanceté de mon peuple, Israël.

13 Or maintenant, vu que vous avez commis tous ces actes - oracle du SEIGNEUR - , que je vous ai parlé inlassablement sans que vous ayez écouté, que je vous ai appelés sans que vous ayez répondu,
14 eh bien, la Maison sur laquelle mon nom a été proclamé, dans laquelle vous mettez votre confiance, et le lieu que j'ai donné à vous et à vos pères, je les traiterai comme j'ai traité Silo.

15 Je vous rejetterai loin de moi comme j'ai rejeté tous vos frères, toute la descendance d'Ephraïm.

Prédication : 
Une vérité de foi est toujours une ouverture à Dieu, aux frères, et à la vie. Mais une vérité de foi, comme « Moi et le Père nous sommes un », peut toujours être imposée autoritairement, brutalement. Ce n’est plus alors une ouverture, mais une fermeture. Combien de temps prend un tel processus ? Et ce qui est fermé, cela peut-il de nouveau s’ouvrir ? Nous méditons ces questions, en lisant  le 7ème chapitre du prophète Jérémie.

            Lorsque Jérémie s’exprime ainsi que nous l’avons lu, quel est l’âge du Temple de Jérusalem ? Quelques siècles peut-être depuis son édification sous le règne de Salomon, mais seulement quelques décennies tout au plus depuis sa restauration sous le règne du roi Josias.
            Nous pouvons penser que Jérémie le prophète, qui était d’une famille de prêtres, avait été témoin de la grande réforme du culte qui avait eu lieu sous le règne du roi Josias. Quelle réforme ? Notre Réforme à nous que nous fêtons cette année à pour devise le doublet luthérien sola gratia – sola fide. La réforme de Josias eut pour devise « J’ai trouvé le livre de la Loi dans la Maison du Seigneur » (2Rois 22,8). La réforme de Josias avait pris la forme d’une centralisation radicale du culte – tous les autres lieux avaient été détruits ; elle affirmait aussi de l’unicité de Dieu : Dieu est unique ; elle affirmait aussi que le seul lieu de culte où Dieu devrait être prié était le Temple, à Jérusalem, et Dieu devrait y être prié d’une certaine manière très précise… Mais tout cela n’est qu’une moitié de la réforme de Josias, la moitié rituelle et politique. L’autre moitié de la réforme de Josias, c’est ‘le livre de la Loi trouvé dans la maison du Seigneur’. Le livre de la Loi – disons le Deutéronome – ne dit pas seulement comment on doit prier, il dit aussi comment on doit vivre. Plus profondément même, – souvenez-vous des deux inséparables tables de la Loi – comment on doit prier (table 1) et comment on doit vivre (table 2) pour que la prière, et la vie, ne soient pas des non-sens, des impostures…
            Jérémie a été témoin de cette réforme ; il en a manifestement pensé les enjeux éthiques et théologiques. Jérémie a été témoin aussi de ce que, très rapidement, cette réforme s’est raidie, durcie. Célébrer rassemblés sera devenu obligation absolue. Et tous les abus inhérents aux situations de monopoles auront eu lieu sous ses yeux.
Moins d’une génération s’écoule entre la réforme de Josias et la protestation véhémente de Jérémie. 

Combien de temps s’écoule-t-il entre le moment où une vérité de foi est énoncée, et le moment où, en son nom, on fait violence à autrui ? Moins d’une génération. Sous les yeux de Jérémie, on crie ‘Palais du Seigneur ! Palais du Seigneur ! Palais du Seigneur ! Dieu est ici ! » ; mais on profite du faible, du pauvre, on méprise la parole donnée, on tord la justice ; et de l’innocent, du prochain, on ne fait aucun cas.
            Alors Jérémie interpelle ses contemporains. Dieu habite-t-il ce Temple et protège-t-il son peuple parce que c’est là qu’on lui fait de belles prières et qu’on lui offre des sacrifices conformes ? Le Seigneur Dieu habite-t-il le Temple comme un chien habite sa niche et protège ses maîtres ? Dieu peut-il seulement habiter le Temple, vu comment ses adorateurs se comportent ? Et Jérémie vocifère : Dieu n’habite pas, ne peut pas habiter là, ne veut pas habiter ce lieu.
Blasphème ! Blasphème, hurle-t-on autour de lui ! Et Jérémie, soyons-en certains, est en danger de mort, comme le sera, en son temps, le Christ Jésus.
Combien de temps faut-il pour qu’une vérité de foi devienne un marqueur identitaire, pour que la grâce d’une révélation devienne une machine à dominer ? Moins d’une génération, telle est la réponse de l’Ancien Testament. Et la réponse du Nouveau Testament, Luc, Jean, et Paul n’est pas différente…

Mais voici une autre question. Est-ce que ça peut aller dans l’autre sens ? Peut-on inverser le phénomène ? La machine à dominer peut-elle redevenir un lieu de bénédiction ? Trois réponses sont possibles : non, peut-être, et oui.
Non ! La pente ne peut pas être remontée. Première réponse de Jérémie ! Réponse d’un prophète radical : non ! Et il étaye sa réponse en rappelant le destin de Silo, lieu de culte et de justice au pays d’Ephraïm, où la justice avait été tordue, et que le Seigneur rejeta, selon Jérémie. Silo fut ravagée, et tout le peuple exterminé… Ainsi, le Dieu du 7ème chapitre du prophète Jérémie est un Dieu extrême. La pente ne se remonte pas, Dieu ne pardonne pas, il punit, impitoyablement… Une telle théologie est possible. Mais elle n’est pas la seule possible.
Après la théologie du non, de l’irréversible, il y a le peut-être. Au nom du Seigneur Dieu, Jérémie adresse un sévère avertissement à ses frères, mais au titre de cet avertissement, c’est un peut-être. « Améliorez votre conduite, votre manière d'agir, pour que je puisse habiter avec vous en ce lieu. » Ça ressemble à une exhortation morale ; c’est plus qu’une exhortation morale. Ayez souci de la vie, chérissez-la, protégez-là ; n’agissez pas comme les prédateurs des plus faibles ; faites le bien, agissez avec bonté, pour que demain soit un avenir, et pas seulement pour vous-même, mais aussi pour ceux qui sont pauvres, vulnérables... C’est ainsi que votre prière aura du sens, le même sens que celui de votre vie, alors le Seigneur pourra habiter cette maison, alors il habitera réellement ce lieu. Peut-être donc que si vous mettez de la bonté dans vos actes, et vous pouvez certainement choisir le faire, la machine à dominer va redevenir un lieu de bénédiction. Et ce qui était alors devenu un instrument d’oppression peut, peut-être, si vous agissez avec bonté, redevenir une vérité de foi. 

Mais, même si c’est ce chemin qui est choisi, des catastrophes peuvent arriver. Et il y avait certainement des gens très droits, très pieux et très saints dans Jérusalem lorsque les Babyloniens ont ravagé la ville et détruit le Temple. Les catastrophes s’abattent sur les justes comme sur les injustes.
Et que devient alors la prophétie de Jérémie ? Si c’est la prophétie sous sa forme radicale, il sera dit que Dieu a rejeté son peuple et détruit le Temple, comme il l’avait dit.
Mais si c’est la prophétie sous la forme du peut-être, alors quelque chose de très précieux a eu lieu, quelque chose de très très précieux. Lorsque Jérémie énonce  que Dieu pourrait bien ne pas habiter ce temple, et que ce qui importe, s’agissant de la présence de Dieu, c’est la cohérence entre le culte qu’on lui rend et l’existence qu’on mène… lorsque Jérémie énonce cela, il commence à énoncer que d’un Temple Dieu pourrait bien se passer, et que la vie bonne, la vie juste et droite, la vie selon Dieu, peut, tout comme la présence de Dieu, se passer de lieux sacrés et de trop saints sacrifices. Ce que Jérémie commence à semer, c’est la possibilité d’une présence de Dieu dans toute communauté digne de ce nom, et surtout, surtout, l’idée d’une présence de Dieu dans le cœur même de l’homme.
Si c’est bien cela que Jérémie annonce, ce n’est plus peut-être, mais oui. La pente qui transforme une vérité de foi en instrument de domination peut être remontée. Celui qui médite et agit la remontera. Et s’il vient à survivre à une catastrophe, il ne baissera pas durablement les bras. Il survivra dans la foi, et par la foi.

Prière, méditation et étude, réflexion et action bonne : la foi est ainsi la plus forte. Le Seigneur nous invite ; il nous accompagne. Amen