dimanche 4 juin 2017

l'expérience spirituelle et la doctrine (Actes 2)

Londres, Kaboul... et ne pas oublier
Actes 2
1 Quand le jour de la Pentecôte arriva, ils se trouvaient réunis tous ensemble.
2 Tout à coup il y eut un bruit qui venait du ciel comme le souffle d'un violent coup de vent: la maison où ils se tenaient en fut toute remplie;
3 alors leur apparurent comme des langues de feu qui se partageaient et il s'en posa sur chacun d'eux.
4 Ils furent tous remplis d'Esprit Saint et se mirent à parler d'autres langues, comme l'Esprit leur donnait de s'exprimer.
5 Or, à Jérusalem, résidaient des Juifs pieux, venus de toutes les nations qui sont sous le ciel.
6 À la rumeur qui se répandait, la foule se rassembla et se trouvait en plein désarroi, car chacun les entendait parler sa propre langue.
7 Déconcertés, émerveillés, ils disaient: «Tous ces gens qui parlent ne sont-ils pas des Galiléens?
8 Comment se fait-il que chacun de nous les entende dans sa langue maternelle?
9 Parthes, Mèdes et Elamites, habitants de la Mésopotamie, de la Judée et de la Cappadoce, du Pont et de l'Asie,
10 de la Phrygie et de la Pamphylie, de l'Égypte et de la Libye cyrénaïque, ceux de Rome en résidence ici,
11 tous, tant Juifs que prosélytes, Crétois et Arabes, nous les entendons annoncer dans nos langues les merveilles de Dieu.»
12 Ils étaient tous déconcertés, et dans leur perplexité ils se disaient les uns aux autres: «Qu'est-ce que cela veut dire?»
13 D'autres s'esclaffaient: «Ils sont pleins de vin doux.»
14 Alors s'éleva la voix de Pierre, qui était là avec les Onze; il s'exprima en ces termes: «Hommes de Judée, et vous tous qui résidez à Jérusalem, comprenez bien ce qui se passe et prêtez l'oreille à mes paroles.
15 Non, ces gens n'ont pas bu comme vous le supposez: nous ne sommes en effet qu'à neuf heures du matin;
16 mais ici se réalise cette parole du prophète Joël:
17 Alors, dans les derniers jours, dit Dieu, je répandrai de mon Esprit sur toute chair, vos fils et vos filles seront prophètes, vos jeunes gens auront des visions, vos vieillards auront des songes;
18 oui, sur mes serviteurs et sur mes servantes en ces jours-là je répandrai de mon Esprit et ils seront prophètes.
19 Je ferai des prodiges là-haut dans le ciel et des signes ici-bas sur la terre, du sang, du feu et une colonne de fumée.
20 Le soleil se changera en ténèbres et la lune en sang avant que vienne le jour du Seigneur, grand et glorieux.
21 Alors quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé.
22 «Israélites, écoutez mes paroles: Jésus le Nazôréen, homme que Dieu avait accrédité auprès de vous en opérant par lui des miracles, des prodiges et des signes au milieu de vous, comme vous le savez,
23 cet homme, selon le plan bien arrêté par Dieu dans sa prescience, vous l'avez livré et supprimé en le faisant crucifier par la main des impies;
24 mais Dieu l'a ressuscité en le délivrant des douleurs de la mort, car il n'était pas possible que la mort le retienne en son pouvoir. (…)
36 «Que toute la maison d'Israël le sache donc avec certitude: Dieu l'a fait et Seigneur et Christ, ce Jésus que vous, vous aviez crucifié.»
 37 Le coeur bouleversé d'entendre ces paroles, ils demandèrent à Pierre et aux autres apôtres: «Que ferons-nous, frères?»
 38 Pierre leur répondit: «Convertissez-vous: que chacun de vous reçoive le baptême au nom de Jésus Christ pour le pardon de ses péchés, et vous recevrez le don du Saint Esprit.
 39 Car c'est à vous qu'est destinée la promesse, et à vos enfants ainsi qu'à tous ceux qui sont au loin, aussi nombreux que le Seigneur notre Dieu les appellera.»
 40 Par bien d'autres paroles Pierre rendait témoignage et les exhortait: «Soyez sauvés, disait-il, de cette engeance pervertie.»
 41 Ceux qui accueillirent sa parole reçurent le baptême, et il y eut environ trois mille personnes ce jour-là qui se joignirent à eux.

Prédication :
         Que se passe-t-il à Pentecôte ? A question simple, réponses – au pluriel – simples. Ils sont tous remplis d’Esprit Saint et se mettent à parler d’autres langues, comme l’Esprit leur donne de s’exprimer (Actes 2). Jésus envoie sur eux ce que son Père a promis (Luc 24). Ils reçoivent une puissance, celle du Saint Esprit (Actes 1). La prophétie se réalise (Joël 3). Ce sont des réponses simples, des réponses bibliques. Et à ces réponses il est possible d’ajouter d’autres réponses simples, qui portent sur le commencement de l’existence de l’Eglise. A toutes ces réponses bien connues, et bien reçues, nous allons associer le beau mot de doctrine.
            Mais ce n’est pas à ces réponses que nous allons nous intéresser maintenant. Je vous demande de faire un effort, non pas de mémoire, mais d’oubli. Nous assistons à la scène sans rien connaître de la Bible et dans des dispositions plutôt bienveillantes. Que se passe-t-il ?
            Nous voyons et nous entendons des gens qui sont en train de vivre ensemble une expérience extatique. Leurs visages sont particulièrement lumineux et des sons articulés sortent de leur bouche. D’autres gens, témoins de la scène, reconnaissent ces sons comme des éléments liturgiques émis dans divers idiomes. Cette expérience ressemble à une ivresse alcoolique, ce que certains ne manquent pas de faire remarquer. Puis un homme prend la parole et propose une interprétation très bien raisonnée… une doctrine, en somme.
            Ce qui se passe à Pentecôte peut être ramené à deux notions, expérience spirituelle et doctrine, et aux relations qui peuvent exister entre ces deux notions . 

             Pourquoi ce point de départ un peu froid ? C’est que, par deux fois ces dernières semaines il m’est arrivé de devoir réfléchir sur ce qu’on appelle aujourd’hui « christianisme post-confessionnel ». C’est une expression un peu vague, un peu à la mode.
Elle a pu servir à décrire le comportement de certaines confessions chrétiennes qui, face à un péril grave, mettent de côté leur oppositions traditionnelles et s’allient, ou s’unissent, pour mieux résister. C’est par exemple ce qu’ont fait des Luthériens, des Réformés et des ‘Unis’ qui, en 1934, à Barmen, se sont prononcés d’une seule voix pour le Christ contre le Führer.
Mais cette même expression peut servir à décrire le comportement de personnes qui ne se revendiquent d’aucune confession chrétienne particulière et récoltent un bout de liturgie par-ci, un peu d’éthique par-là, une convivialité ailleurs, en se servant selon leur convenance dans les rayons grands ouverts du marché libre de la religion. C’est une réalité d’aujourd’hui, et ce n’est pas forcément négativement qu’il faut l’envisager.
C’est dans un troisième sens que, ces dernières semaines, l’expression « post-confessionnel » est parvenue à mes oreilles. Il s’agissait, dans la bouche de ceux qui l’employaient, d’affirmer que le christianisme post-confessionnel a pour composante essentielle l’expérience spirituelle, et qu’il est la voie à suivre, pour le renouveau des Eglises, et pour leur Unité. Il y a là-dessous deux thèses : « seule l’expérience spirituelle unit » (une thèse positive), et « ce sont les doctrines qui divisent » (une thèse négative). Mais est-ce vrai ?
Nous allons réfléchir un peu à cela, dans le cas de la Pentecôte du livre des Actes des Apôtres.

« Seule l’expérience spirituelle unit », dit-on. Mais ce n’est pas l’expérience spirituelle de Pentecôte qui fait que le groupe des premiers disciples est uni, ni qu’il sera uni aux convertis de ce jour-là. Uni, le groupe des premiers disciples l’est déjà, de par son histoire commune, de par l’attente commune. Mais au moment précis de l’expérience spirituelle, il n’y a rien d’autre qu’une extase… ils sont hors d’eux-mêmes. Or ceux qui sont hors d’eux-mêmes n’ont rien de commun avec personne. L’expérience spirituelle n’unit pas. Elle est donnée à qui elle est donnée et le mode de communion groupale qu’elle appelle n’a rien à voir avec l’unité. Comment l’expérience spirituelle, en tant que telle, pourrait-elle intégrer ceux qui ne la vivent pas ? Et puis, imaginez à la tête de ce groupe une personne moins bien intentionnée que Pierre, une personne ombrageuse, ou manipulatrice. Qu’adviendrait-il alors entre le groupe des extatiques et le groupe des moqueurs ? Défiance, le ton monte, échauffourées, bataille rangée, émeute, et, à Jérusalem en ce temps, cela signifie aussi bain de sang, l’occupant Romain ayant pour habitude de ramener le calme manu militari. L’expérience spirituelle unit-elle ? Non. Elle ne peut unir personne. Aussi, si nous entendons quelqu’un dire que seule l’expérience spirituelle unit, il nous faut toujours nous demander quelles sont ses intentions et ses projets.
Ce n’est pas pour disqualifier l’expérience spirituelle que nous parlons ainsi. L’Esprit souffle où il veut. Mais affirmer que seule l’expérience spirituelle unit est faux. Si Pentecôte, dans le récit des Actes des Apôtres, est une expérience d’unité et d’une unité qui unit ceux qui ont vécu l’expérience spirituelle et ceux qui ne l’ont pas vécue, c’est parce que viennent se conjuguer heureusement l’expérience spirituelle et le discours de Pierre, c'est-à-dire la doctrine.
De ceci nous pouvons déduire qu’il est faux de dire que ce sont les doctrines qui divisent. Plutôt donc que d’incriminer les doctrines, mieux vaut interroger l’usage qui en est fait. Qu’aurait été l’expérience de Pentecôte, à Jérusalem, si Pierre n’avait pas pris la parole ainsi qu’il l’a fait ? Nous l’avons déjà évoqué. Son discours, c'est-à-dire sa doctrine, a, ce jour-là, à Jérusalem, une vertu régulatrice, et structurante. Elle ouvre à un dialogue. Elle interpelle, elle répond aussi. Et surtout, surtout, elle laisse chacun des auditeurs libre de rejoindre, ou de ne pas rejoindre, ce tout nouveau mouvement. Pierre agit donc ce jour-là non pas comme un gardien, ou un manipulateur, mais comme témoin vivant de ce qu’il annonce. Les divisions ne viennent pas des doctrines mais de l’usage qui en est fait.
Il arrive cependant, c’est vrai, que les cœurs s’endurcissent, que les discours se figent, et que la doctrine devienne instrument de domination. Cela arrivera, même dans le livre des Actes des Apôtres. Or, lorsque cela arrive, on observe que l’expérience spirituelle est renouvelée. Ainsi les diacres, dont un certain Etienne, juste destinés au service des tables, pas du tout censés enseigner, l’enseignement étant comme réservé aux Apôtres… les diacres vont prêcher. Ainsi aussi l’Esprit Saint sera répandu sur des Païens, avant leur baptême, avant leur catéchisme, sans l’assentiment des Apôtres… Et à chaque fois que la doctrine apostolique du moment est mal utilisée, et risque de stériliser l’Eglise, l’expérience spirituelle la déborde, la conteste, et la renouvelle.

Résumons. Ce sont des doctrines qui divisent, entend-on dire parfois. Mais c’est seulement l’usage qui en est fait qui peut diviser. Elles structurent aussi des mouvements qui, autrement, partiraient à vau l’eau sous la domination de gens peu recommandables. Il nous faut justement veiller, demander à Dieu qu’il envoie son Esprit pour que ce qui structure notre pensée et notre Eglise demeure une parole vivante et jamais ne devienne un carcan.
C’est l’expérience spirituelle qui seule unit, entend-on dire parfois. Mais c’est faux. La vertu négative de l’expérience spirituelle est qu’elle isole, qu’elle est intense mais hors langage. Sa vertu positive lorsqu’elle advient, c’est de contester, d’interpeler, et parfois de féconder.

Puissions-nous veiller à tout cela. Et, si nous venons à faillir en notre veille, que le Seigneur envoie son Esprit. Amen
Raymond Depardon, San Clemente, 1979