dimanche 18 juin 2017

Le pain de vie (Jean 6,48-66)

Avant de méditer sur le pain de vie, méditer un peu sur la faim...
Jean 6
48 Je suis le pain de vie.
49 Au désert, vos pères ont mangé la manne, et ils sont morts.
50 Tel est le pain qui descend du ciel, que celui qui en mangera ne mourra pas.
51 «Je suis le pain vivant qui descend du ciel. Celui qui mangera de ce pain vivra pour l'éternité. Et le pain que je donnerai, c'est ma chair, donnée pour que le monde ait la vie.»
52 Sur quoi, les Juifs se mirent à discuter violemment entre eux: «Comment celui-là peut-il nous donner sa chair à manger?»
53 Jésus leur dit alors: «En vérité, en vérité, je vous le dis, si vous ne mangez pas la chair du Fils de l'homme et si vous ne buvez pas son sang, vous n'aurez pas en vous la vie.
54 Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle, et moi, je le ressusciterai au dernier jour.
55 Car ma chair est vraie nourriture, et mon sang vraie boisson.
56 Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui.
57 Et comme le Père qui est vivant m'a envoyé et que je vis par le Père, ainsi celui qui me mangera vivra par moi.
58 Tel est le pain qui est descendu du ciel: il est bien différent de celui que vos pères ont mangé; ils sont morts, eux, mais celui qui mangera du pain que voici vivra pour l'éternité.»
59 Tels furent les enseignements de Jésus, dans la synagogue, à Capharnaüm.
60 Après l'avoir entendu, beaucoup de ses disciples commencèrent à dire: «Cette parole est rude! Qui peut l'écouter?»
61 Mais, sachant en lui-même que ses disciples murmuraient à ce sujet, Jésus leur dit: «C'est donc pour vous une cause de scandale?
62 Et si vous voyiez le Fils de l'homme monter là où il était auparavant...?
63 C'est l'Esprit qui vivifie, la chair ne sert de rien. Les paroles que je vous ai dites sont esprit et vie.
64 Mais il en est parmi vous qui ne croient pas.» En fait, Jésus savait dès le début quels étaient ceux qui ne croyaient pas et qui était celui qui allait le livrer.
65 Il ajouta: «C'est bien pourquoi je vous ai dit: ‹Personne ne peut venir à moi si cela ne lui est donné par le Père.› »
66 Dès lors, beaucoup de ses disciples s'en retournèrent et cessèrent de faire route avec lui.
Prédication : 
            Souvenons-nous. Moïse, obéissant au commandement de Dieu, avait fait sortir les Hébreux d’Egypte et les avait emmenés au désert, vers la Terre Promise. Au désert, il n’y avait rien à manger. Dieu, pour nourrir son peuple, avait fait pleuvoir une sorte de pain, directement du ciel : la manne. Ainsi donc, les Hébreux ont-ils mangé la manne pendant tout le temps qu’ils étaient au désert, puis, lorsqu’ils sont entrés en Terre Promise, la manne a cessé de tomber du ciel. Elle n’était plus nécessaire, puisque la Terre Promise est un pays où coulent le lait et le miel. Belle histoire…
                       
Dans le texte que nous avons lu, Jésus ne prend pas la parole seulement pour raconter la belle histoire de la manne. Reprenons ce qu’il dit : « Au désert, vos pères ont mangé la manne et ils sont morts ». Cette phrase semble signifier qu’ils sont morts au désert, bien qu’il y eût la manne. On pourrait traduire : ils ont mangé la manne, mais ils sont morts. Il y a effectivement une génération entière qui a été nourrie de manne au désert, et qui est pourtant aussi morte au désert.
Cette génération est morte au désert, pas de dénutrition, puisqu’il y avait la manne. Morte, de vieillesse, d’usure, de l’épuisante vie au désert… sans avoir atteint la Terre Promise. En fait, cette génération a vu la Terre Promise, y a même envoyé des espions (Nombres 12-14), puis cette génération a refusé d’y entrer. Faute de confiance en elle-même… faute de confiance en Dieu. Ou peut-être faute d’avoir bien compris ce qu’était la manne… ou ce qu’était la Terre Promise, ou encore faute d’avoir compris que la Terre Promise est toujours là où la manne est donnée. Là où la manne est donnée, où que ce soit, et quelle que soit la forme que prend la manne, là est la Terre Promise. 

La manne était donnée par Dieu. Elle tombait du ciel. Chacun ne pouvait en recueillir le matin que ce qui suffisait à sa consommation de la journée. Si l’on faisait un stock, cela pourrissait instantanément. La manne allait-elle tomber du ciel de nouveau le lendemain ? Nous qui connaissons l’histoire, nous savons que oui ; mais pas les Hébreux. Pour eux, la manne était là pour la journée en cours ; mais pour le lendemain, il en allait de leur foi en Dieu. Des millénaires plus tard, un théologien luthérien, l’un de ceux qui ont écrit le plus profondément sur la foi (Dietrich Bonhoeffer), allait écrire ceci : « Je crois que Dieu veut nous donner dans toute situation difficile la force de résistance dont nous avons besoin. Mais il ne la donne pas d’avance, afin que nous ne comptions pas sur nous-mêmes, mais sur lui seul. » La manne avait donc bien entendu pour fonction que les corps survivent. Mais la manière dont Dieu la faisait tomber du ciel, un jour après l’autre, sans qu’on puisse la stocker, cela avait  pour fonction l’apprentissage de la foi.
Les Hébreux ont-ils appris à croire ? Pas tous. Une génération est morte au désert, nourrie par la manne, faute d’avoir cru que Dieu lui serait en aide pour l’entrée en Terre Promise tout comme il l’avait été pour la sortie d’Egypte. La génération suivante, elle, est entrée en Terre Promise, avec la foi qui était la sienne.

Pourquoi Jésus rappelle-t-il tout cela ? Pourquoi se présente-t-il comme pain vivant descendu du ciel (comme la manne) ? Et pourquoi insiste-t-il tellement sur la nécessité de manger sa chair et boire son sang ?
Il y a plusieurs manières de manger, et plusieurs verbes pour le dire. Il y a des plats longuement et savamment élaborés, qu’on peut d’ailleurs manger en gourmet, émerveillé et reconnaissant, ou avec snobisme, ou comme un glouton, voire comme un porc. On voit de tout, même dans les meilleurs restaurants. On peut aussi manger tout simplement, entendons par là juste manger ce qui est donné, au moment où cela est donné et comme cela est donné. C’est d’ailleurs ce que suggère le verbe grec que nous avons ici. Il évoque un aliment simple reçu et consommé avec une très grande simplicité, et dans une très grande reconnaissance, mais si simple qu’elle ignore presque son nom.
Tout cela nous ramène à la manne et à Jésus, pain vivant descendu du ciel : manger ce qui est donné, aujourd’hui, avec simplicité et reconnaissance. Pas de mystère, pas d’initiation savante, ni de contrôle institutionnel. Simplement recevoir le corps et le sang du Christ vivant, c'est-à-dire vivre de sa vie, tout comme Jésus lui-même vit de la vie du Père. Aujourd’hui, et chaque jour, simplement un jour après l’autre.

Si Jésus parle de la manne, c’est qu’il a bien compris quelque chose qui concerne la plupart des gens qui le suivent : ils ne croient pas. Et si Jean l’évangéliste insiste sur la manne, sur Jésus comme pain vivant, et sur la nécessité de manger sa chair et de boire son sang… c’est que Jean l’évangéliste a en face de lui certaines personnes qui pensent avoir toujours mérité que la manne leur soit envoyée ; c’est aussi que l’évangéliste a en face de lui d’autres personnes qui pensent posséder un savoir supérieur sur le Fils et le Père ; c’est encore parce qu’il a en face de lui d’autres gens qui pensent que ce grand mystère du partage du pain et du vin leur confère une dignité supérieure. Jean l’évangéliste, après Jésus, constate que tous ces comportements religieux, religieusement corrects, sont tristement dénués de foi. 

Il faut toujours se souvenir de la manne. C’est une question de foi, une question essentielle. Après s’en être bien souvenu, tout ce que Jésus dit de lui-même et sur la foi tient en très peu de mots : je vis par le Père. Pour nous, cela peut-être ramené à trois mots : par la foi. Ou à deux mots latins : sola fide.
Vivre par la foi, c’est vivre exclusivement de la parole, de la chair et du sang du Fils. C’est en vivre sans jamais les posséder au-delà du besoin d’une journée, ni même d’une heure, mais en croyant que le vital sera donné au bon moment, c'est-à-dire au moment que Dieu choisira. 

Mais y a-t-il quelqu’un qui voudra croire ? En revenant au texte que nous avons lu, nous voyons bien ce qu’il y a de tendu lorsque Jésus reprend des propos qu’il a déjà tenus : nul ne peut venir à moi si cela ne lui est donné par le Père. Sans doute veut-on croire, et sans doute croit-on ; mais, dit Jésus, nul ne peut croire si cela ne lui a été donné par le  Père.
Toute volonté humaine aspirant à croire, aspirant à vivre par la foi, reçoit la foi d’en-haut, et toujours de nouveau. Ceci parce que l’homme est l’homme et parce que Dieu est Dieu. Parce que ce n’est pas la chair qui se fait Verbe, mais le Verbe qui se fait chair. Et aussi pour que nul ne s’enorgueillisse.
Et bien l’orgueil de beaucoup de ceux qui suivaient Jésus a dû être bien meurtri : ils ont planté là le Maître et sont partis.

Jean Zumstein, grand commentateur de l’évangile de Jean a intitulé l’un de ses livres L’apprentissage de la foi. On n’en finit jamais d’apprendre à croire ; on n’en finit jamais d’apprendre à ne compter que sur Dieu seul.

Notre foi est aujourd’hui ce qu’elle est, et notre volonté de croire est aussi ce qu’elle est. Nous sommes des apprentis. Que la parole, le corps et le sang du Christ soient notre manne, notre pain de ce jour. Amen