dimanche 14 mai 2017

Une vérité de foi est toujours un blasphème (Jean 10,22-39 et Psaume 82)

Pour ce dont je me souviens, il y a eu Je vous salue Marie de Godard, La dernière tentation du Christ, de Scorcese, incendie de cinéma et mort d'homme, il y a eu le saccage des anges d'Ernest Pignon-Ernest à Montauban, les hurlements autour de Piss Christ d'Andres Serrano... je ne voulais pas me souvenir des hurlements au blasphème qui proviennent d'autres traditions religieuses que le mienne, légions ils sont, il y a le blasphème contre le Saint Esprit (Marc 3,29) qui excite tellement de graves prédicateurs...  et il y a toujours d'autres gens pour dire que la violence, ils sont contre, mais qu'ils comprennent les réactions de ceux qui se sentent agressés dans ce qu'ils ont de plus précieux. Plantu, il y a longtemps, avait dessiné deux petits personnage dialoguant sur fond d'incendie, je n'ai pas retrouvé le dessin : - Le film, je l'ai pas vu, mais je suis contre. - Les incendies, je les ai vus, et je suis pour. Et puis il y a eu des caricatures, des dessins, des assassinats... Et moi, j'ai regardé de nouveau des clips de Marilyn Manson, pour me nettoyer la tête de toutes ces conneries, puis j'ai prié Dieu d'avoir pitié de nous.
Jean 10
22 On célébrait alors à Jérusalem la fête de la Dédicace. C'était l'hiver.
23 Au temple, Jésus allait et venait sous le portique de Salomon.
24 Les Juifs firent cercle autour de lui et lui dirent: «Jusqu'à quand vas-tu nous tenir en suspens? Si tu es le Christ, dis-le-nous ouvertement!»
25 Jésus leur répondit: «Je vous l'ai dit et vous ne croyez pas. Les œuvres que je fais au nom de mon Père me rendent témoignage,
26 mais vous ne me croyez pas, parce que vous n'êtes pas de mes brebis.
27 Mes brebis écoutent ma voix, et je les connais, et elles viennent à ma suite.
28 Et moi, je leur donne la vie éternelle; elles ne périront jamais et personne ne pourra les arracher de ma main.
29 Mon Père qui me les a données est plus grand que tout, et nul n'a le pouvoir d'arracher quelque chose de la main du Père.
30 Moi et le Père nous sommes un.»
31 Les Juifs, à nouveau, ramassèrent des pierres pour le lapider.
32 Mais Jésus reprit: «Je vous ai fait voir tant d'œuvres belles qui venaient du Père. Pour laquelle de ces œuvres voulez-vous me lapider?»
33 Les Juifs lui répondirent: «Ce n'est pas pour une belle œuvre que nous voulons te lapider, mais pour un blasphème, parce que toi qui es un homme tu te fais Dieu.»
34 Jésus leur répondit: «N'a-t-il pas été écrit dans votre Loi: J'ai dit: vous êtes des dieux?
35 Il arrive donc à la Loi d'appeler dieux ceux auxquels la parole de Dieu fut adressée. Or nul ne peut abolir l'Écriture.
36 À celui que le Père a consacré et envoyé dans le monde, vous dites: ‹Tu blasphèmes›, parce que j'ai affirmé que je suis le Fils de Dieu.
37 Si je ne fais pas les œuvres de mon Père, ne me croyez pas!
38 Mais si je les fais, quand bien même vous ne me croiriez pas, croyez en ces œuvres, afin que vous connaissiez et que vous sachiez bien que le Père est en moi comme je suis dans le Père.»
39 Alors, une fois de plus, ils cherchèrent à l'arrêter, mais il échappa de leurs mains.
Psaume 82
1 Psaume. D'Asaf. Dieu s'est dressé dans l'assemblée divine, au milieu des dieux, il juge:
2 Jusqu'à quand jugerez-vous de travers en favorisant les coupables? Pause.
3 Soyez des juges pour le faible et l'orphelin, rendez justice au malheureux et à l'indigent;
4 libérez le faible et le pauvre, délivrez-les de la main des coupables.
5 Mais ils ne savent pas, ils ne comprennent pas, ils se meuvent dans les ténèbres, et toutes les assises de la terre sont ébranlées.
6 Je le déclare, vous êtes des Dieux, vous êtes tous des fils du Très-Haut,
7 pourtant vous mourrez comme les hommes, vous tomberez tout comme les princes.

8 Lève-toi, Dieu! Sois le juge de la terre, car c'est toi qui as toutes les nations pour patrimoine.

Prédication : 
            Moi et le Père, nous sommes un. Jésus, sommé de dire franchement, s’il est le Christ répond : Moi et le Père nous sommes un. Blasphème, hurlent aussitôt certains. Parce qu’un homme se fait Dieu. Je voudrais, au fil de cette prédication, partager avec vous l’idée que oui, c’est un blasphème, et qu’il est nécessaire pour la foi que cela demeure toujours un blasphème.
           
            Moi et le Père nous sommes un, dit Jésus. Et, de nouveau, les juifs ramassèrent des pierres pour le lapider.
            Soyons prudents – extrêmement prudents – avec l’appellation ‘les juifs’. C’est une désignation qui ne désigne pas les Juifs au sens d’un antisémitisme. Il y a dans cette scène des gens qui, en entendant ce que Jésus dit, hurlent au blasphème et veulent le lapider, une fois encore, une fois de plus, comme d’habitude. Ce n’est pas le nom que Jean leur donne qui importe, mais leur attitude lorsqu’il y a blasphème. Pour ces gens, si quelqu’un blasphème il doit immédiatement être mis à mort. Et nous, moins pressés qu’eux, nous nous demandons pourquoi ? Pourquoi, dans cette situation, celle que rapporte ce texte, veulent-ils mettre Jésus à mort ? Question simple, et réponse simple : Jésus, qui est un homme, se fait Dieu en énonçant qu’il est un avec le Père.
            Est-ce aussi simple ? Est-ce que dire de soi-même ‘moi et le Père nous sommes un’, cela revient à se faire Dieu ? C’est une évidence pour ceux qui s’opposent à Jésus. Nous n’allons pas discuter de cette évidence puisqu’il y a urgence : un homme risque d’être lapidé, tout comme risquait d’être lapidée, et c’est aussi dans l’évangile de Jean, une certaine femme qu’on avait surprise en situation flagrante d’adultère. Il faut de toute urgence opposer aux assassins quelque chose qui leur soit effectivement opposable… il n’y a que l’Ecriture Sainte. Et l’Ecriture Sainte – que Jésus appelle aussi ici la Loi, parce que, justement elle fait Loi – appelle parfois Dieux ceux à qui la parole de Dieu fut adressée. La Loi en effet appelle Dieux ceux à qui la parole de Dieu fut adressée, une fois, et une fois suffit, une fois seulement doit être prise infiniment au sérieux, plus encore que si c’était cent ou mille fois.
            La parole de Dieu vous a été adressée, vous êtes des Dieux. Auditeur de la prédication, vous êtes des Dieux, et le prédicateur avec vous, pas moins, pas plus, et quoi qu’il arrive, et quoi que vous fassiez de cette parole ! C’est écrit dans l’Ecriture et personne ne peut abolir l’Ecriture. Et ainsi, sous les auspices de l’Ecriture, il devient « aussi vrai de dire que c’est Dieu qui fait l’homme que de dire que c’est l’homme qui fait Dieu ». Avec cette citation de A. N. Whitehead, j’exagère, mais à peine ! Vu la situation dans laquelle est Jésus, sur le point d’être lapidé pour blasphème, qui, de lui ou de ses détracteurs, se fait Dieu ? Lui qui dit ‘moi et le Père nous sommes un’, ou eux qui s’arrogent le droit de décider qui doit vivre et qui doit mourir ? Vous êtes des Dieux, énonce l’Ecriture. Et cela signifie que si l’on veut en situation savoir ce qu’il en est de Dieu, il faut observer le comportement des humains qui se réclament de Lui : Dieu est cela.
Dieu, dans le film Dogma (1999)

            Au fait, pourquoi ces hommes veulent-ils lapider Jésus ? Parce qu’il s’est fait Dieu, disent-ils. Mais c’est faux. Ce n’est pas parce que Jésus s’est fait Dieu. Ces hommes sont des Dieux et ce n’est pas Dieu qu’ils défendent ou protègent s’ils lapident Jésus, c’est eux-mêmes, eux-mêmes en tant que Dieux. Ils veulent le mettre à mort parce que c’est autrement qu’eux qu’il est Dieu. Parce qu’ils ne veulent pas d’un Dieu autrement qu’eux-mêmes. Ce n’est pas Dieu qu’on défend ou qu’on protège lorsqu’on punit le blasphème, c’est soi-même en tant que Dieu. 
            Et nous n’allons même pas opposer à ces hommes que Jésus ne s’est pas fait Dieu, qu’il ne pouvait pas se faire Dieu parce qu’il est Dieu. Certains disent qu’il est Dieu, d’autre objecteront qu’un homme ne peut pas être Dieu. Même si l’Eglise s’est prononcée dès le Concile de Nicée (325) sur la consubstantialité du Père et du Fils, même si les Réformateurs ont toujours ratifié les canons des grands conciles œcuméniques, l’unité du Père et du Fils doit toujours demeurer une vérité de foi, et jamais devenir une vérité de droit. L’unité du Père et du Fils est donnée « par la foi et pour la foi » (Romains 1,17). Une vérité de foi est toujours un blasphème.

            Pourquoi affirmer une chose si étonnante ? Parce qu’un blasphème n’est pas un propos inconvenant sur Dieu. Il n’y a de propos inconvenants sur Dieu que sur des images de Dieu. Ce n’est pas en Dieu qu’on croit lorsqu’on défend telle ou telle image de Dieu. Hurler au blasphème est le signe d’une puissante interpellation qui vous atteint. Un blasphème est une interpellation. Lorsque nous lisons le 10ème chapitre de Jean, et le Psaume 82, cette interpellation est tout à fait claire et elle ne porte pas sur Dieu, mais sur l’homme. Le blasphème contre Dieu interpelle en vérité les œuvres de ceux qui se réclament de Dieu, et interpelle aussi et surtout l’idée qu’ils se font d’eux-mêmes, d’eux-mêmes en tant que Dieux. Que professes-tu ? Que fais-tu de ton prochain, de la veuve, de l’orphelin, du faible, du pauvre, etc. ? Attends-tu de ton acte et de ta parole qu’ils soient vus et reconnus, ou bien les poses-tu là, les laisses-tu là, accomplis et donnés ? Tes actions soi-disant bonnes sont-elles affaire d’opportunisme, de calcul, ou les accomplis-tu gratuitement, au passage ? Et finalement, pour qui vis-tu, homme, pour toi-même, ou pour Dieu, uni à Dieu, ou séparé de Dieu ?
Et bien au regard de ces questions, l’unité du Père et du Fils, vérité de foi, est une puissante interpellation, un blasphème. Notre cœur sait pourquoi nous agissons et pour qui nous vivons… Lorsque nous lisons l’évangile de Jean et que nous laissons résonner en nous cette phrase que Jésus y prononce, ‘Moi et le Père nous sommes un’, nous pouvons dire que oui, l’homme Jésus est un avec le Père, et que, s’agissant de nous-autres, c’est non. L’interpellation est là, radicale, et alors, comme le dit le Psaume 82, « toutes les assises de la terre sont ébranlées ». Mais cette interpellation pourtant ne doit pas conduire au désespoir. Le propre de la vérité de foi, en tant que blasphème, est de signifier la vérité, à un moment donné. Vérité en vue d’une décision, d’un choix.
Quel homme, quelle femme, le croyant va-t-il choisir d’être ? Celui qui hurle au blasphème et lance des pierres ? Et bien, même si c’est ce choix qui est fait, la vérité de foi demeure inentamée : « une fois de plus, ils cherchèrent à l’arrêter, mais il échappa de leurs mains. » Ultime interpellation, ultime blasphème : vous ne l’arrêterez jamais, ni par les pierres, ni par les mots, ni par les images, ni par la croix, ni par la tombe. Ultime promesse, aussi : celui qui est un avec le Père est vivant, et bien vivant, pour les siècles des siècles. Le choix de la foi demeure toujours possible. Amen.