dimanche 7 mai 2017

Le bon berger (Jean 10,1-11)

Ne pas dissocier le thème du bon berger du récit par lequel il est introduit, celui d'une guérison et d'une grave polémique autour de cette guérison. Eviter cette dissociation, pour éviter que le bon berger soit désincarné.
Jean 9
1 En passant, Jésus vit un homme aveugle de naissance.
2 Ses disciples lui posèrent cette question: «Rabbi, qui a péché pour qu'il soit né aveugle, lui ou ses parents?»
3 Jésus répondit: «Ni lui, ni ses parents. Mais c'est pour que les œuvres de Dieu se manifestent en lui!
4 Tant qu'il fait jour, il nous faut travailler aux œuvres de celui qui m'a envoyé: la nuit vient où personne ne peut travailler;
5 aussi longtemps que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde.»
6 Ayant ainsi parlé, Jésus cracha à terre, fit de la boue avec la salive et l'appliqua sur les yeux de l'aveugle;
7 et il lui dit: «Va te laver à la piscine de Siloé» - ce qui signifie Envoyé. L'aveugle y alla, il se lava et, à son retour, il voyait.
(…)
14 Or c'était un jour de sabbat que Jésus avait fait de la boue et lui avait ouvert les yeux.
15 … les Pharisiens lui demandèrent comment il avait recouvré la vue. Il leur répondit: «Il m'a appliqué de la boue sur les yeux, je me suis lavé, je vois.»
16 Parmi les Pharisiens, les uns disaient: «Cet individu n'observe pas le sabbat, il n'est donc pas de Dieu.» Mais d'autres disaient: «Comment un homme pécheur aurait-il le pouvoir d'opérer de tels signes?» Et c'était la division entre eux.
Jean 10
1 «En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui n'entre pas par la porte dans l'enclos des brebis mais qui escalade par un autre côté, celui-là est un voleur et un brigand.
2 Mais celui qui entre par la porte est le berger des brebis.
3 Celui qui garde la porte lui ouvre, et les brebis écoutent sa voix; ses propres brebis, il les appelle, chacune par son nom, et il les emmène dehors.
4 Lorsqu'il les a toutes fait sortir, il marche à leur tête, et elles le suivent parce qu'elles connaissent sa voix.
5 Jamais elles n’en suivront un autre; bien plus, elles le fuiront parce qu'elles ne connaissent pas la voix des autres.»

6 Jésus utilisa cette allégorie, mais ceux-là ne comprirent pas le sens de ce qu'il disait.

7 Jésus reprit: «En vérité, en vérité, je vous le dis, je suis la porte des brebis.
8 Tous ceux qui sont venus avant moi sont des voleurs et des brigands, mais les brebis ne les ont pas écoutés.
9 Je suis la porte: si quelqu'un entre par moi, il sera sauvé, il ira et viendra et trouvera de quoi se nourrir.
10 Le voleur ne se présente que pour voler, pour tuer et pour perdre; moi, je suis venu pour que les hommes aient la vie et qu'ils l'aient à profusion.

11 «Je suis le bon berger: le bon berger met sa vie en jeu pour ses brebis.
Prédication :
Ainsi donc, un jour, en chemin, par hasard, Jésus, accompagné par ses disciples, aperçoit sur le bord du chemin un homme dont il nous est dit qu’il est aveugle de naissance. Et ses disciples posent cette question : « Qui donc a péché pour qu’il soit né aveugle, lui – l’aveugle – ou ses parents ? » Question simple, et redoutable, sur l’origine du mal. Cette question peut être ainsi reformulée : « Quelqu’un doit-il forcément être responsable du mal ? » Jésus refuse catégoriquement de répondre à cette question, entreprend, avec les moyens qui sont les siens, de soulager cet aveugle. Il le guérit. Mais il le guérit en contrevenant à toutes les règles qui étaient en vigueur de son temps : il transgresse le Sabbat, jour sacré du repos divin, il utilise pour cette guérison des ingrédients comme impurs, de la salive et de la poussière, et il touche cet homme. Jésus est alors accusé de n’être pas de Dieu… Accusation qui équivaut à une disqualification, à une exclusion, pour lui, mais aussi pour l’homme qu’il avait guéri.
C’est dans la suite immédiate de ce récit de guérison qu’apparaît le thème du berger, du bon berger. Et apparaît aussi l’ennemi, le contraire du bon berger : le voleur, ou le brigand.

            Jésus est-il berger, ou brigand ? Le brigand escalade les murs, le berger entre par la porte. Mais qu’est-ce que la porte, et que sont les murs ?
            En revenant à l’homme aveugle de naissance, nous pourrions considérer sa cécité comme un mur sans porte. Et ce mur monte jusqu’au ciel, jusqu’à Dieu. Qui donc a péché, demandent les gens, pour qu’il soit né aveugle ? Et personne n’oser toucher cet homme à des fins thérapeutiques, par crainte religieuse d’une sorte de contamination. Ce pauvre homme est donc condamné, jusqu’au moment où Jésus, qui passe par hasard, va oser. Il va oser mettre en jeu une thérapeutique vieille comme le monde, il va toucher cet homme, et le guérir. Il va surtout oser dire que l’origine du mal, il s’en moque ; il va oser transgresser les lois de pureté en vigueur.
            Si on le prend ainsi, qu’est-ce que la porte, et que sont les murs ? Les murs sont des murs liés à l’usage, aux conventions, à toutes sortes d’idées reçues et commodes sur l’origine du mal, idées que manipulent les bienpensants et certains instruits, ce qui leur permet de gloser, de paraître, de ne rien risquer, et de ne rien entreprendre. La porte ? Pour l’aveugle, c’est ce qu’il faudrait franchir pour pouvoir arriver dans la vraie vie. Mais la porte est aussi ce qu’il faut franchir pour rejoindre les gens réellement là où ils sont, dans leur vie, leur situation concrète.
Jésus rejoint l’aveugle dans le concret de sa vie. Et, le guérissant, l’introduit dans une vie plus ouverte, plus autonome… Dans ce sens, Jésus est un berger. Il passe par la porte, mais il  est aussi la porte par laquelle l’aveugle entre dans cette vie.
Seulement, du point de vue des idées reçues, du point de vue des gardiens de la pureté et des conventions, le fait que Jésus s’approche de l’aveugle et le guérisse comme il le guérit, est considéré comme une abomination. Entendons-nous, c’est une abomination seulement du point de vue des gardiens de la pureté rituelle, du point de vue de la situation dominante que ces gens occupent.
Nous sommes tous bien d’accord pour dire que l’homme a été guéri et que c’est cela qui compte.
           
Seulement, pour guérir cet homme, Jésus s’est engagé, s’est très sérieusement engagé. Il a défié le sens commun, défié les gardiens des lieux communs et des saintes coutumes. Le bon berger s’est fait des ennemis, des ennemis mortels. Jésus s’est engagé… et tous ceux qui ont lu les évangiles, savent que Jésus, tout bon berger qu’il ait été, sera mis à mort. Il est vrai qu’il est des formes concrètes de bonté qui dérangent gravement ceux qui se nourrissent, qui se goinfrent même parfois, de la banalité du mal… N’accusons pas ces gens. Parfois, nous sommes comme eux.

Dans ce texte, les murailles des grandes idées et des grands principes religieux sont perforées par un engagement qui est un engagement d’homme à homme : Jésus, être humain concret, va au contact d’un autre être humain, concret lui aussi. La juste compréhension de ce texte est suspendue à un engagement concret, d’homme à homme. Si bien que la question que Jésus adresse à son entourage, et que le texte adresse à son lecteur est une question directe : « Et toi, que fais-tu ? Que fais-tu lorsque le mal te saute aux yeux, lorsqu’il isole l’un de tes semblables ? Que fais-tu lorsque tu as, toi, un pouvoir, une compétence, si modeste qu’elle soit, même une petite pièce, et que tu as aussi le choix entre faire des discours et agir ? » Tout acte de bonté a son prix, et la prétention hautaine et indifférente de certains ne peut servir d’excuse à personne.

Ce qui conduit à une seconde question, que Jésus n’adresse pas directement à son entourage, mais que le texte adresse clairement à son lecteur : « Que mettras-tu en jeu ? Que risqueras-tu pour un inconnu rencontré en passant, pour une personne vaguement connue, pour quelqu’un que tu fréquentes régulièrement… pour un enfant ? Que mettras-tu en jeu ? Que seras-tu disposé à risquer, à perdre ? » A chacun de répondre concrètement.
Mais puissions-nous agir pour que ceux que nous rencontrons puissent vivre. Puissions-nous ouvrir des portes, inventer des passages s’il n’y en pas, et agir comme de bons bergers. Que Dieu nous soit en aide. Amen

Ueli Steck + 30 avril 2017 RIP