dimanche 8 janvier 2017

Seuls les mages sont allés à Bethléem (Matthieu 2,1-10), pourquoi ?


Matthieu 2
1 Jésus étant né à Bethléem de Judée, au temps du roi Hérode, voici que des mages venus d'Orient arrivèrent à Jérusalem
2 et demandèrent: «Où est le roi des Juifs qui vient de naître? Nous avons vu son astre à l'Orient et nous sommes venus nous prosterner devant lui.»
3 À cette nouvelle, le roi Hérode fut troublé, et tout Jérusalem avec lui.
4 Il assembla tous les grands prêtres et les scribes du peuple, et s'enquit auprès d'eux du lieu où le Messie devait naître.
5 «À Bethléem de Judée, lui dirent-ils, car c'est ce qui est écrit par le prophète:
6 Et toi, Bethléem, terre de Juda, tu n'es certes pas le plus petit des chefs-lieux de Juda: car c'est de toi que sortira le chef qui fera paître Israël, mon peuple.»
7 Alors Hérode fit appeler secrètement les mages, se fit préciser par eux l'époque à laquelle l'astre apparaissait,
8 et les envoya à Bethléem en disant: «Allez vous renseigner avec précision sur l'enfant; et, quand vous l'aurez trouvé, avertissez-moi pour que, moi aussi, j'aille me prosterner devant lui.»
9 Sur ces paroles du roi, ils se mirent en route; et voici que l'astre, qu'ils avaient vu à l'Orient, avançait devant eux jusqu'à ce qu'il vînt s'arrêter au-dessus de l'endroit où était l'enfant.
10 À la vue de l'astre, ils éprouvèrent une très grande joie.
11 Entrant dans la maison, ils virent l'enfant avec Marie, sa mère, et, étant tombés  à genoux, ils se prosternèrent devant lui ; ouvrant leurs coffrets, ils lui offrirent en présent de l'or, de l'encens et de la myrrhe.
12 Puis, divinement avertis en songe de ne pas retourner auprès d'Hérode, ils se retirèrent dans leur pays par un autre chemin.

Prédication :
            Dans l’évangile de Matthieu, qui est allé à Bethléem se prosterner devant le Roi des Juifs qui venait de naître ? Les mages… et eux seulement. Le texte biblique ne précise aucunement quel était le nombre des mages venus d’Orient pour se prosterner devant l’enfant Jésus. Mais eux seuls y sont allés. Etonnant.

Etonnant, car lorsque les mages sont arrivés à Jérusalem en sachant que le Roi des Juifs venait de naître, ils ne savaient pas où. Mais ils ont trouvé là des gens qui savaient où le Roi des Juifs devaient naître, mais qui ne savaient pas quand. Or, après la mise en commun de tous ces savoirs, tous savaient où et quand le Roi des Juifs était né : à Bethléem (10km au sud de Jérusalem, moins de deux heures de marche, moins d’une heure si l’on est pressé…). Tous, c'est-à-dire les mages, le roi Hérode, les grands prêtres et les scribes du peuple, et tout Jérusalem… car nous ne pouvons pas imaginer que – même si c’est secrètement qu’Hérode missionne les mages – personne n’en entende parler, ni que personne ne les suive. La capitale juive tout entière est au courant, et personne alors n’entreprend de marcher deux heures pour aller se prosterner devant le Roi des Juifs qui vient de naître, personne que ces mages, étrangers de surcroît. Nous pouvons légitimement nous demander pourquoi.

Pour que quelqu’un aille se prosterner devant le Roi des Juifs, il faut qu’il ait parcouru un certain nombre d’étapes. Ces étapes sont autant de conditions nécessaires, que nous examinons.
  1. Il faut savoir que les Juifs existent avec des traditions et des textes sacrés qui leurs sont propres ; et c’est un savoir que tous partagent, Juifs et mages. Nous retenons un mot, pour cette étape : existence.
  2. Il faut savoir aussi que le Dieu des Juifs est différent de tous les autres dieux, et qu’il est même toujours différent de tous les dieux possibles. Il ne peut être représenté, ne peut être réduit à une image, et son nom ne peut être prononcé… Ce qui est un savoir que les mages peuvent posséder autant que les Juifs, pourvu qu’ils soient lecteurs des Saintes Ecritures. Et nous retenons un autre mot : différence.
  3. Cette différence radicale invite à une ouverture vers l’universel. Le Dieu des Juifs ne peut pas être seulement un dieu national ou ethnique, moteur d’une espérance nationale... Sa différence radicale invite à une éthique particulière, une éthique qui ne peut pas être une éthique de possession et de domination, mais une éthique de modestie et de partage, qui fonde une espérance pour le monde. Cela, tant les Juifs que les mages peuvent aussi le savoir, s’ils méditent les Saintes Ecritures. Nous retenons maintenant le mot : ouverture.
  4. Il y aura un homme qui sera Roi des Juifs, c'est-à-dire que quelqu’un, un Juif, accomplira les Ecritures. Et par cet homme le Judaïsme s’ouvrira totalement aux Païens (et les mages sont Païens). C’est aussi une conviction que Juifs et Païens peuvent posséder, du fait toujours de leur lecture des Saintes Ecritures. Et c’est encore un autre mot que nous retenons : accomplissement.
  1. Pour aller se prosterner devant le Roi des Juifs, il faut que toutes ces conditions soient réunies. Mais il faut aussi que le Roi des Juifs soit né, et qu’on sache qu’il soit né. Au début de notre récit, seuls les Mages venus d’Orient le savent. Et comment l’ont-ils su ? Les Mages d’Orient observent les étoiles et, comme nous l’avons lu, ils disent : « Nous avons vu son astre… ». Ce n’est pas le mouvement répété des astres qui leur ont signalé la naissance,  mais une singularité. Les Saintes Ecritures ne sont pas là pour que soit observé et défendu un ordre prétendument divin des choses. Les Saintes Ecritures peuvent avoir une fonction régulatrice, il est vrai, mais elles ont une autre fonction, capitale, celle de rendre leurs lecteurs attentifs à certains éléments singuliers, à certains petits événements qui peuvent signaler qu’un grand chambardement est en marche, et une grande bénédiction possible. Ainsi, si les mages avaient observé les fleurs ils auraient vu la fleur du Roi des Juifs. S’ils avaient observé la forme des vagues de la mer ils auraient vu apparaître la vague du Roi des Juifs. La méditation des Saintes Ecritures doit rendre attentif à des singularités que d’autres jugeraient insignifiantes… et ces singularités suggèrent qu’il est temps de se décider, de se mettre en route… Les Mages ont vu ce qu’ils ont pris pour un signe, et ils se sont mis en route avec l’ardent désir de se prosterner devant le Roi des Juifs qui, pour eux, venait de naître. Retenons de cette 5ème condition que la méditation des Saintes Ecritures invite à être attentifs à de petits signes singuliers… qu’on interprétera comme signes qu’il est temps de se mettre en chemin, de changer, de se convertir… Et retenons enfin le mot : décision. 
C’est ainsi que les Mages d’Orient se sont mis en route, et se sont trompé de lieu. Ils connaissaient le moment, mais pas l’endroit.
L’aventure de la foi en Dieu – le Dieu d’Israël – ou la quête du Roi des Juifs pour aller se prosterner devant Lui – est une aventure : la décision de se mettre en chemin y est essentielle. Pour arriver où ? On ne le sait. On ne le sait pas d’avantage qu’Abraham ne savait où était la terre promise lorsqu’il répondit à l’appel de Dieu et se mit en chemin.
Et c’est en chemin que les Mages reçurent le reste des informations, de la part d’Hérode… Ceux qui sont en quête du Roi des Juifs pour aller se prosterner devant Lui peuvent avoir confiance : il peut arriver que même les ennemis du Roi des Juifs leur montrent le bon chemin. Retenons alors le mot : providence.
Pourquoi les Mages d’Orient ont-ils été seuls à se rendre à Bethléem ? La réponse est à la fois simple et terrible : parce qu’ils étaient Païens. Etant Païens, leur espérance, rapport au Roi des Juifs, n’était pas celle d’une restauration nationale, d’une libération politique, du retour d’une grandeur passée. Nulle nostalgie, aucune attente précise d’une réponse précise et conforme à des aspirations trop formatées, juste l’espérance nue. Espérance ! 

Puisse notre espérance être toujours l’espérance de ces Païens. Puissions-nous, même prosternés devant le Roi des Juifs, demeurer toujours en chemin vers Bethléem, et en montrer aussi le chemin à ceux qui le chercheront. Amen

Adoration des Mages (Rubens)