dimanche 22 janvier 2017

Pêcheurs d'hommes (Matthieu 4,12-23)

Le geste de lancer du pêcheur à l'épervier : pour moi l'un des plus beaux gestes, l'un des plus émouvants, que l'humanité ait produit.

Matthieu 4
12 Ayant appris que Jean avait été livré, Jésus se retira en Galilée.
 13 Puis, abandonnant Nazara, il vint habiter à Capharnaüm, au bord de la mer, dans les territoires de Zabulon et de Nephtali,
 14 pour que s'accomplisse ce qu'avait dit le prophète Esaïe:
 15 Terre de Zabulon, terre de Nephtali, route de la mer, pays au-delà du Jourdain, Galilée des Nations!
 16 Le peuple qui se trouvait dans les ténèbres a vu une grande lumière; pour ceux qui se trouvaient dans le sombre pays de la mort, une lumière s'est levée.
 17 À partir de ce moment, Jésus commença à proclamer: «Convertissez-vous: le Règne des cieux s'est approché.»
 18 Comme il marchait le long de la mer de Galilée, il vit deux frères, Simon appelé Pierre et André, son frère, en train de jeter le filet dans la mer: c'étaient des pêcheurs.
 19 Il leur dit: «Venez à ma suite et je vous ferai pêcheurs d'hommes.»
 20 Laissant aussitôt leurs filets, ils le suivirent.
 21 Avançant encore, il vit deux autres frères: Jacques, fils de Zébédée, et Jean son frère, dans leur barque, avec Zébédée leur père, en train d'arranger leurs filets. Il les appela.
 22 Laissant aussitôt leur barque et leur père, ils le suivirent.
 23 Puis, parcourant toute la Galilée, il enseignait dans leurs synagogues, proclamait la Bonne Nouvelle du Règne et guérissait toute maladie et toute infirmité parmi le peuple.

Prédication :
Convertissez-vous, car le Règne des cieux s’est approché ! Comprenons bien que le Règne des cieux ne s’est pas approché un peu tout en demeurant très lointain. Le Règne des cieux s’est tant approché qu’il est tout proche, infiniment proche, et que le reste du parcours doit être fait par les humains… D’où l’impératif : convertissez-vous !
En plus du thème de la conversion des humains, le thème de la conversion des Eglises est devenu au fil des années un thème important dans le mouvement œcuménique.
Mais à quoi donc les Eglises et les humains devraient-ils se convertir ?

En méditant le récit de l’appel des premiers disciples, nous allons tenter de répondre à cette question.

Il nous faut d’abord considérer que ces premiers disciples sont des pêcheurs. Ils ont pour premier métier d’attraper des poissons. Il n’est pas très enviable, n’est-ce pas, le sort d’un poisson attrapé par un pêcheur… Il est pris dans le filet, sorti de l’eau, il expire, et sert de nourriture.
Il faut dire en plus qu’en langue grecque ancienne, un homme qui se laissait prendre, que la vie malmenait, ou dont d’autres profitaient sans vergogne, et qui surtout n’avait pas la parole, pas de mots pour protester… un tel homme était ironiquement appelé un poisson.

Alors on comprend ce que Jésus veut dire, lorsqu’il dit à ses premiers disciples : « Suivez-moi, et je vous ferai pêcheurs d’hommes. » Les hommes ne sont pas des poissons. Ainsi lorsque Jésus enseigne, et lorsque Jésus agit, il conteste concrètement le pouvoir de la maladie, le pouvoir des puissants, le pouvoir de la religion… il guérit, il libère. Et de ces humains asservis et meurtris qui étaient des poissons, il fait des hommes. Même lorsque Jésus propose à certains de venir à sa suite, il laisse chacun libre de venir, ou de ne pas venir. Vous êtes lecteurs des évangiles et vous le savez bien, Jésus, le pêcheur d’hommes, ne traite jamais personne comme un poisson.

Ceci dit, Jésus appelle tout d’abord Pierre et André. Ils sont pêcheurs et en train de lancer leurs filets. Répondant à l’appel de Jésus, ils laissent leurs filets. Ils aspirent à devenir pêcheurs d’hommes.
Le premier geste d’un apprenti pêcheur d’hommes, c’est d’abandonner son filet. On ne pêche pas des hommes avec des filets. On ne pêche pas des hommes avec les filets des belles paroles, des fausses promesses d’un lendemain – ou d’un au-delà – qui chante ; on ne pêche pas des hommes à force de menaces, de marchandage, ou de séduction.
Mais avec quoi au contraire pêche-t-on des hommes ? Enseigner, proclamer, guérir. Les Eglises, à l’image de Jésus leur Seigneur, ont trois moyens de pêcher des hommes : leur enseignement, leurs célébrations, et leur pastorale (leur diaconie faisant partie de cette pastorale). Et si par ces moyens elles touchent quelqu’un, ce n’est jamais pour en faire un gentil paroissien cotisant de plus. Tout ce que font les Eglises doit être marqué par la gratuité, image de la grâce que Dieu fait en Christ. C’est pour l’élargissement, c’est pour la liberté, c’est pour que les humains soient debout libres et responsables que les Eglises doivent œuvrer.

Pierre et André, les deux premiers, laissent leurs filets et se mettent à la suite de Jésus. Jacques et Jean sont appelés juste après. Eux aussi sont pêcheurs. Ils ne sont pas en train de jeter leurs filets, mais, avec leur père, ils sont en train de les réparer. On peut même comprendre qu’ils sont en train de les perfectionner. Ils sont affairés à rendre plus efficace un dispositif destiné à attraper des poissons. La mention de leur père et d’une barque signale que les techniques de pêche évoluent de génération en génération, se perfectionnent… Jacques et Jean laissent tout cela derrière eux et suivent Jésus.
Qu’est-ce à dire ? Ceux qui, hommes et Eglises, suivant l’invitation de Jésus, aspirent à devenir pêcheurs d’hommes, n’ont aucune technique à faire valoir, ni à perfectionner. Bien entendu ils ont quelque chose à dire et quelque chose de concret à faire, parce que la détresse est la détresse, la souffrance la souffrance, la faim la faim… mais le parcours de chaque personne rencontrée est un parcours singulier, et il n’existe pas de truc, de recette, ni de méthode pour amener les âmes à Christ... 

Ainsi, si l’on souhaite devenir pêcheur d’homme, il est nécessaire d’apprendre à désapprendre, pour apprendre à enseigner au nom du Christ, à célébrer le nom du Christ, à aider les humains à la suite du Christ.

Quelle conversion des Eglises et des personnes, demandions-nous ? L’apôtre Paul avait déjà pressenti que les Eglises, souvent, s’intéressent plus à se perpétuer elles-mêmes qu’à suivre le Christ. Ainsi, à Corinthe, on s’est disputé, voire détesté, parce qu’on était qui de Pierre, ou de Paul, ou d’Apollos. Ainsi peut-on encore aujourd’hui se disputer, voire se haïr, parce qu’on est qui de Rome, de Wittenberg, ou de Genève. Et pour en revenir à notre Evangile, untel sera assurément de Pierre et André, tel autre de Jacques et Jean…
Et bien, un véritable disciple du Christ, un authentique pêcheur d’hommes, sait qu’il y a d’autres pêcheurs d’hommes que lui, et il s’en réjouit. Reconnaître que des âmes peuvent être amenées à Christ et libérées par le ministère d’une autre Eglise que la mienne… telle est la conversion à laquelle chaque croyant est appelé. Reconnaître que le Christ est pleinement présent dans telle autre Eglise, c’est une conversion à laquelle chaque Eglise est appelée.

Ainsi donc, chacun selon sa tradition, chacun à sa manière propre, nous enseignons, nous prêchons, et nous accompagnons. Mais nous ne sommes que des apprentis, des disciples, c’est le Christ qui nous précède, et même si nous enseignons, si nous célébrons et si nous accompagnons, c’est le Christ seul qui agit. Amen.