On pourra se demander, dans l'extrait qui suit, à quel moment commence la prédication de Jean le Baptiste. C'est juste une affaire de deux poins ouvrez les guillemets... Mais les deux points ouvrez les guillemets n'appartiennent pas au texte grec original. Si bien que leur positionnement pourra permettre de faire débuter la prédication de Jean soit à l'énoncé de la promesse de voir le salut de Dieu, soit à la promesse de faire l'expérience de sa colère. Ce qui change dramatiquement le sens du texte. Ceci est dit pour le texte... et, tant que j'y suis, cela me permet de suggérer qu'il y a deux sortes de prédicateurs... ceux qui vous angoissent pour vous vendre leurs sédatifs, quand ils ne vous les imposent pas brutalement, et ceux qui ouvrent devant vous des chemins de liberté et de vérité.
Luc 3
1 L'an quinze du gouvernement de Tibère César, Ponce
Pilate étant gouverneur de la Judée, Hérode tétrarque de Galilée, Philippe son
frère tétrarque du pays d'Iturée et de Trachonitide, et Lysanias tétrarque
d'Abilène,
2 sous le sacerdoce de Hanne et Caïphe, la parole de Dieu
fut adressée à Jean fils de Zacharie dans le désert.
3 Il vint dans toute la région du Jourdain, proclamant un
baptême de conversion en vue du pardon des péchés : 4 « Comme il est écrit au livre des oracles du prophète
Esaïe: Une voix crie dans le désert: Préparez le chemin du Seigneur, rendez
droits ses sentiers.
5 Tout ravin sera comblé, toute montagne et toute colline
seront abaissées; les passages tortueux seront redressés, les chemins
rocailleux aplanis; 6 et tous verront le salut de Dieu.»
7 Jean disait alors aux foules qui venaient se faire
baptiser par lui: «Engeance de vipères, qui vous a montré le moyen d'échapper à
la colère qui vient?
8 Produisez donc des fruits qui témoignent de votre
conversion; et n'allez pas dire en vous-mêmes: ‹Nous avons pour père Abraham.›
Car je vous le dis, des pierres que voici Dieu peut susciter des enfants à
Abraham.
9 Déjà même, la hache est prête à attaquer la racine des
arbres; tout arbre donc qui ne produit pas de bon fruit va être coupé et jeté
au feu.»
10 Les foules demandaient à Jean: «Que nous faut-il donc
faire?»
11 Il leur répondait: «Si quelqu'un a deux tuniques, qu'il
partage avec celui qui n'en a pas; si quelqu'un a de quoi manger, qu'il fasse
de même.»
12 Des collecteurs d'impôts aussi vinrent se faire baptiser
et lui dirent: «Maître, que nous faut-il faire?»
13 Il leur dit: «N'exigez rien de plus que ce qui vous a
été fixé.»
14 Des militaires lui demandaient: «Et nous, que nous
faut-il faire?» Il leur dit: «Ne faites ni violence ni tort à personne, et
contentez-vous de votre solde.»
Prédication :
Dans les périodes troublées et
dangereuse de l’histoire humaine, temps de guerre, temps de famine ou d’épidémie,
temps de grande mutation sociale, au fond chaque fois qu’un mode de vie semble
disparaître et qu’un nouveau mode de vie n’a pas encore émergé, chaque fois que
des populations sont dans l’angoisse et dans la peur, il se lève des
prédicateurs de la fin des temps… pour dire plus ou moins toujours la même
chose : le monde va finir, Dieu – ou les dieux – sont en colère et vont
vous punir, il y a des moyens de se mettre à l’abri, nous disposons de ces
moyens, etc. Jean le Baptiste est, apparemment, l’un d’entre eux.
L’histoire
oublie généralement ces prédicateurs… parce qu’ils disent à peu près tous la
même chose, et surtout parce que la fin des temps n’arrive pas. Pour que
l’histoire retienne le nom et la prédication de l’un d’entre eux, il faut qu’il
ait eu « une bonne idée ». C’est un peu méprisant de dire cela ainsi,
« une bonne idée ». Ce serait plus théologiquement correct, et plus
révérencieux, de dire que, pour que l’histoire retienne le nom d’un prédicateur
de la fin des temps, il faut que la
parole de Dieu lui ait été adressée. Oui si l’on veut bien entendre que le
propre de la parole de Dieu c’est de donner à entendre quelque chose de nouveau,
quelque chose de bon, c'est-à-dire qui interpelle celui qui l’entend, le
libère, et le porte vers la vie.
En quoi donc la parole de Dieu
a-t-elle été adressée à Jean le Baptiste ? Qu’a-t-il dit – ou signifié –
qui soit une bonne idée ?
Cette interrogation, en tant que
telle, ne suffit pas. Ce que Jean le Baptiste a dit doit, en plus d’être parole
de Dieu, mériter de trouver sa place dans l’évangile de Luc, comme quelque
chose qui annonce, et qui prépare ce qui sera spécifiquement dit et apporté par
Jésus.
Mais quoi donc, s’agissant de
Jean le Baptiste ? C’est quelque chose que vous avez sous les yeux,
peut-être sans vous en rendre compte. En tout cas, ce n’est rien qui soit
directement rattaché à l’imminence de la fin des temps, nous l’avons exclu
d’emblée. Le véritable prophétisme ne s’embarrasse pas de prédictions. Ce que
vous recherchez maintenant puise au plus beau, au plus noble, au meilleur de la
tradition des grands prophètes d’Israël et de Juda. Vous ne voyez pas ?
Quelque chose que les prophètes ont indiqué, et que Jean le Baptiste porte à
son incandescence. Et vous ne le voyez pas ? L’énoncé central de cela
tient en une seule phrase. Mais laquelle ? Il ne faut pas que vous vous
angoissiez. Voici cette phrase : « Engeance de vipères, qui vous a
montré le moyen d’échapper à la colère qui vient ? »
Dieu, en colère, lorsqu'il était encore bébé ! |
Est-ce une parole de Dieu que
cela ? Il faut dire que oui, oui dans le sens que nous avons indiqué tout
à l’heure. Mais il faut surtout expliquer ce dont il s’agit.
Jean le Baptiste, nous rapporte
le texte, prêchait un baptême de conversion pour le pardon des péchés. Et l’on
venait en foule vers lui… Nous avons évoqué déjà les raisons de la présence et
du succès des prédicateurs de la fin des temps. Jean est-il vraiment l’un
d’eux ? Ce n’est pas évident… il parle un peu comme l’un d’eux, mais son
premier discours n’est pas pour parler du jugement de Dieu, mais du salut de Dieu.
Il ne prêche dont pas la colère en vue de vendre sa propre salade sédative. Mais
c’est sans doute parce qu’il sent que sa prédication est mal comprise, voire
détournée, qu’il parle ensuite, comme d’autres prophètes avant lui, de la
colère qui vient.
Mal comprise, voire
détournée ? Prêtons attention à ce qu’il prêche : un baptême de conversion
pour le pardon des péchés. Relevons quelque chose de possiblement ambigu dans
cette expression. Il est bien question de pardon des péchés – et l’on peut bien
penser que le pardon des péchés vous met à l’abri de la colère qui vient et du
jugement de Dieu. Mais qu’est-ce qui va opérer ce pardon ? Le baptême, ou
la conversion ?
Il y a en tout cas une colère qui
vient, c’est celle de Jean le Baptiste. Elle vient sans doute parce qu’il a
bien dû sentir que son baptême était compris comme un acte magique protégeant à
coup sûr de la colère de Dieu celui qui l’aurait reçu. Colère de Jean le
Baptiste, pour bien faire comprendre qu’une telle compréhension est une
perversion… Engeance de vipères, leur dit-il, prophétiquement ! Car là où
Jean le Baptiste est un très grand prophète, c’est qu’il dénonce en direct
l’usage perverti qui est fait de son propre baptême. Il s’est levé bien des
prophètes pour dénoncer l’usage perverti qui était fait de la Loi, de la
royauté, de la religion et du Temple ; Jean le Baptiste se fait à la fois
prêtre et prophète, dans le sens où à la fois il baptise et il accuse… Oui, je
baptise, et non, ce baptême ne vous protégera de rien…
Allons un peu plus loin avec Jean
le Baptiste : ce n’est pas le baptême de conversion pour le pardon de
péchés qui a de la valeur, une valeur de pardon, mais la conversion pour le
pardon des péchés qui a cette valeur. Le baptême n’est que la marque, que le
sceau de cette conversion, laquelle doit être visible, laquelle doit porter du
fruit… Or, cette seconde prédication, qu’il faut imaginer énergique, voire
tonitruante, touche des cœurs. Que nous faut-il donc faire, demandent ceux qui
sont touchés ? La réponse est dans le texte… en voici une synthèse en deux
mots d’ordre : partage et honnêteté.
Le monde du temps de Jean le
Baptiste était un monde très dur, un monde d’inégalité et de violence. Les
fruits dignes de la conversion pouvaient sans doute pacifier ce monde, en
répartir les richesses, y faire baisser les tensions croissantes qui
annonçaient une conflagration qui serait à coup sûr la fin des temps…
Il n’est pas question que nous
refassions l’histoire, ni que nous jouions à notre tour les prophètes de la fin
des temps. Nous nous sommes posé une autre question : qu’est-ce que cette
bonne idée, qu’est-ce que cette Parole de Dieu, prononcée par Jean le Baptiste,
et qui mérite de figurer seulement au commencement de l’évangile de Luc ?
Cette Parole de Dieu est
prononcée lorsque Jean fait comprendre que son baptême ne garantit rien et ne
protège de rien. Et lorsqu’il suggère par là qu’aucun rite humain ne garantit
la miséricorde de Dieu ni ne protège de son jugement… il mène aux portes de
l’Evangile. Mais aux portes seulement. Car en suggérant à ses auditeurs de
porter des fruits dignes de la conversion, il leur laisse entendre que ces
fruits seraient de nature à leur garantir la miséricorde de Dieu. Attention,
n’allons pas suggérer que ces fruits sont inutiles et qu’il est indifférent de
voler ou de ne pas voler… ce serait simplement ridicule. Le bien-être humain a
de la valeur, et œuvrer pour le bien-être des humains a de la valeur. Mais
cette valeur peut-elle être suréminente, tout réparer, faire advenir l’impossible,
être mesurée à Dieu, égalée à Dieu, approuvée par Dieu ? Que serait
Dieu dans de telles conditions ? Où serait la gratuité d’un agir
humain, où serait la grâce ?
Jean le Baptiste ne va pas
jusqu’à dire qu’aucune œuvre humaine d’aucune sorte n’est de nature à vous
garantir la miséricorde de Dieu et à vous protéger de son jugement. Jean
prépare le chemin, prépare le terrain pour Jésus qui, lui, affirmera, de bien
des manières, de toutes les manières possibles, qu’aucune œuvre humaine ne peut
vous garantir la miséricorde de Dieu. Aucune ! Est-ce désespérant ?
Aucune œuvre humaine ne peut vous
garantir la miséricorde de Dieu. Est-ce désespérant ? Non… si, dans le
rapport aux œuvres humaines la miséricorde de Dieu ne peut apparaître
qu’au-delà de toutes les œuvres possibles, c’est qu’elle existe essentiellement
avant toutes les œuvres possibles… et qu’elle rend possibles. Là, c’est
l’Evangile, dans sa splendeur.
Et si Jean le Baptiste invite à
une conversion, celle par laquelle nous porterons des fruits, Jésus nous invite
à une seconde conversion, celle par laquelle nous le laisserons mener toutes
choses à leur accomplissement. Amen