Michée 5
1 Et toi, Bethléem Ephrata, trop petite pour
compter parmi les clans de Juda, de toi sortira pour moi celui qui doit
gouverner Israël. Ses origines remontent à l'antiquité, aux jours d'autrefois.
2 C'est pourquoi, Dieu les abandonnera jusqu'aux
temps où enfantera celle qui doit enfanter. Alors ce qui subsistera des ses
frères rejoindra les fils d'Israël.
3 Il se tiendra debout et fera paître son troupeau
par la puissance du SEIGNEUR, par la majesté du Nom du SEIGNEUR son Dieu. Ils
s'installeront, car il sera grand jusqu'aux confins de la terre.
4 Lui-même, il sera la paix. Au cas où Assour
entrerait sur notre terre et foulerait nos palais, nous dresserons contre lui
sept bergers, huit princes humains.
39 En ce temps-là, Marie partit en hâte pour se
rendre dans le haut pays, dans une ville de Juda.
40 Elle entra dans la maison de Zacharie et salua
Elisabeth.
41 Or, lorsque Elisabeth entendit la salutation de
Marie, l'enfant bondit dans son sein et Elisabeth fut remplie du Saint Esprit.
42 Elle poussa un grand cri et dit: «Tu es bénie
plus que toutes les femmes, béni aussi est le fruit de ton sein!
43 Comment m'est-il donné que vienne à moi la mère
de mon Seigneur?
44 Car lorsque ta salutation a retenti à mes
oreilles, voici que l'enfant a bondi d'allégresse en mon sein.
45 Bienheureuse celle qui a cru: ce qui lui a été
dit de la part du Seigneur s'accomplira!»
Prédication :
Ainsi donc,
Marie, enceinte, se rend un jour chez Elisabeth, sa parente, qui est enceinte,
elle aussi. Ce ne sont pas seulement deux femmes qui se rencontrent. Mais deux
visages de l’espérance. Nous allons étudier ces deux visages de l’espérance. Et
nous verrons comment ils se rencontrent.
Commençons par Elisabeth. Nous
avons le souvenir du vieux couple stérile formé par Elisabeth et Zacharie, son
mari, qui était prêtre. Nous savons que, pour une femme de ce temps, ne pas
donner d’enfant était une honte. Concevoir était donc son espérance et enfanter
l’accomplissement suprême de cette espérance. Elisabeth, qui en est à son
sixième mois, est donc sur le point de voir s’accomplir de son vivant ce
qu’elle a espéré. Cette espérance de femme, cette espérance de vieux couple, même
si l’ange l’avait prédite, requerrait une œuvre de ce vieux couple… on ne
devient pas enceinte comme ça.
Quel visage de l’espérance est donc celui que
représente Elisabeth ? Celui d’une espérance qu’un être humain peut voir
s’accomplir au cours de sa vie, pourvu qu’il se consacre à cet accomplissement.
C’est ainsi. Il y a une certaine forme de l’espérance qui peut s’accomplir à la
condition que les humains s’y engagent concrètement, et qui ne peut s’accomplir
s’ils ne s’y engagent pas. L’espérance de la moisson requiert la tâche de
labourer, et la tâche de semer. Et lorsqu’à la fin vient le temps de la
récolte, cette récolte appartient à qui a labouré et semé. L’enfant à naître de Zacharie et d’Elisabeth sera leur
enfant. Et leur espérance s’accomplit donc dans une perspective laborieuse, temporelle,
et personnelle. Que leurs noms soient bénis !
En face de
ce visage de l’espérance que représente Elisabeth, il y a celui que représente
Marie. Marie est aussi une femme enceinte. Mais l’origine de la grossesse de
Marie est, nous l’avons tous lu et confessé, d’une toute autre nature que
l’origine de la grossesse d’Elisabeth. Marie n’a en rien œuvré pour cette
grossesse. Aussi peut-on dire que le visage de l’accomplissement de l’espérance
de Marie se situe hors de la chaîne des causes et des effets. « Il la
connut, elle conçut et elle enfanta », ce sont les causes et les effets…
mais pas s’agissant de Marie. « L’Esprit Saint viendra sur toi et la
puissance du Très-Haut te couvrira de son ombre. »
L’accomplissement de
l’espérance relève alors seulement de la grâce divine. Ce n’est pas un enfant
qui naît mais « le Fils du Très-Haut » qui recevra « le trône de
David son père » et dont le « règne n’aura pas de fin ». Et cet
enfant, le fruit de cette espérance, ne sera en aucun cas enfant de Marie au
sens de la famille, puisqu’elle se déclare sans détour « esclave du
Seigneur ». Le fruit de l’accomplissement d’une espérance comme celle de
Marie advient donc par pure grâce, et est offert à celui à qui il advient comme
à tous ceux qui l’attendent. Ainsi pouvons-nous conclure qu’une espérance comme
celle de Marie s’accomplit d’une manière gratuite, intemporelle et collective.
A Dieu seul en revient la gloire !
Pour
essayer mieux distinguer encore ces deux visages de l’espérance, nous pouvons
nous souvenir un instant de la chanson des Restos du cœur : « Je te
promets pas le grand soir, mais juste à manger et à boire, un peu de pain et de
chaleur… » Il appartient aux êtres humains de donner un peu de pain et de
chaleur, et ils peuvent le faire. Ils le voient s’accomplir, parce qu’ils le
font s’accomplir… et c’est le visage de l’espérance selon Elisabeth. Quant au
grand soir, à ce grand soir qui verra s’accomplir toute justice et toute paix,
cela n’appartient pas aux humains... A Dieu seul, pour qui croit en Dieu, en
revient l’initiative et la gloire.
Et
maintenant, interrogeons-nous. Lorsque quelque chose que nous avons espéré
s’accomplit pour nous, est-ce le visage de l’espérance que représente Marie, ou
est-ce celui que représente Elisabeth ? Est-ce la grâce, est-ce le
labeur ?
Dans le
récit de la visitation, Marie se met en route vers Elisabeth – et pas le
contraire. Cela nous suggère que la grâce vient à la rencontre du labeur. Pour
revenir à une métaphore agricole, labourer et semer n’aboutit à une récolte que
si grâce est faite d’une saison favorable… Si l’on veut même donner du poids au
récit de la visitation, on dira que l’espérance de toute œuvre humaine ne peut
se réaliser sans une participation de la divine grâce. Ce qui aura pour
conséquence que le fruit d’une œuvre, le profit, le produit d’une œuvre,
n’appartiendra jamais totalement à celui qui l’aura entreprise. Il doit être
partagé, tout comme le « Fils du Très-Haut », pur fruit de la grâce,
est partagé, et même entièrement donné à l’humanité. La grâce donc vient à la
rencontre du labeur, et de cette rencontre jaillit comme une évidence
l’exigence du partage.
Mais
Elisabeth n’a pas attendu la visite de Marie pour entreprendre ce que son
espérance appelait. Lorsque Marie lui rend visite, Elisabeth en est à son
sixième mois. Ce qui nous suggère que l’espérance appelle l’engagement, et que
la grâce vient par surcroît. Ce que nous espérons, il nous faut le mettre en
œuvre, nous y consacrer, résolument. Le labeur précède donc la grâce, dans notre
récit. Celui qui se consacre à la mise en œuvre de son espérance peut bien s’il
le veut demander l’assistance de la grâce, mais celle-ci pourra aussi se
manifester, comme Marie, sans y avoir
été invitée.
Ne pensons
surtout pas que sans l’engagement et sans l’invocation, rien n’adviendrait et
que tout serait voué à l’échec. Il y a, dans chaque vie humaine, un événement
essentiel qui advient par pure grâce et sans engagement aucun de celui qui en
bénéficie : naître ! Et certaines rencontres, certains beaux moments
de la vie, adviennent aussi de la même manière, sans qu’on s’y soit engagé,
sans même qu’on les ait espérés. Puissions-nous les reconnaître, les accueillir
et, comme Marie, en partager infiniment le fruit.
Au bilan,
nul n’est jamais entièrement propriétaire des fruits de ses œuvres, car nulle
œuvre ne porte du fruit qu’elle n’ait été visitée par la grâce. Mais la grâce
peut aussi parfois se passer de nos œuvres et choisir de nous visiter.
Dieu, enfant, pensant à l'incarnation |
Ceci étant
dit, il reste que certains prient, espèrent, s’engagent au nom de leur
espérance, et rien n’advient, que l’échec, que le malheur, sans accomplissement
aucun, ni visitation. Dieu parfois ignore les engagements et les espérances des
humains, se tait sur leurs malheurs, et ne soutient même en rien ceux qui
espéreraient soulager ces malheurs. Que dire ? Murmurons qu’il relève du
mystère de Dieu que grâce nous soit faite et que nos espérances
s’accomplissent ; murmurons qu’il relève aussi du mystère de Dieu que tout
se dérobe parfois, que tout nous échappe et que nous soyons éprouvés. Murmurons
cela, puis, taisons-nous sur le mystère de Dieu.
Il ne reste alors qu’une seule
chose à faire : partager les mots de l’espérance, relire les prophètes.
Pensons aux générations qui ont lu le prophète Michée, comme nous l’avons fait
aujourd’hui, sans que jamais elles ne voient enfanter celle qui doit enfanter. Faisons
aussi mémoire de ces anciennes visitations, de ces anciennes manifestations de
la grâce, qui ont été infiniment partagées et qui sont ainsi toujours
actuelles. Il reste possible de lire, méditer, prier, chanter le Magnificat,
comme nous l’avons fait, célébrer le repas du Seigneur… La liturgie est parfois
l’ultime reste de l’espérance. Et là, dans l’impuissance la plus avérée, l’on
peut s’en remettre totalement à Dieu.
Je crois qu’à cette ultime prière
Dieu n’est jamais indifférent. Amen