Au-delà de la peur de l'au-delà... mais peut-être pas d'elle seulement. Peut-être pas seulement au-delà de la peur de l'au-delà. Au-delà de la peur tout court. Ou, mieux, au-delà de tout sentiment qui vous rendrait perméable à une prédication de la peur et à la prédication de solutions simplissimes, séduisantes, radicales... pas seulement en matière de religion d'ailleurs.
Encore que cet au-delà de la peur ne devrait pas effacer les motifs de la peur. Car la peur n'est pas forcément un sentiment négatif. Elle peut donner à évaluer en imagination les conséquences d'actes non encore accomplis et peut, parfois, amener à renoncer à les accomplir. J'y reviens plus loin.
Luc 3
1 L'an quinze du gouvernement de Tibère César,
Ponce Pilate étant gouverneur de la Judée, Hérode tétrarque de Galilée,
Philippe son frère tétrarque du pays d'Iturée et de Trachonitide, et Lysanias
tétrarque d'Abilène,
2 sous le sacerdoce de Hanne et Caïphe, la parole
de Dieu fut adressée à Jean fils de Zacharie dans le désert.
3 Il vint dans toute la région du Jourdain,
proclamant un baptême de conversion en vue du pardon des péchés,
4 comme il est écrit au livre des oracles du
prophète Esaïe: Une voix crie dans le désert: Préparez le chemin du Seigneur,
rendez droits ses sentiers.
5 Tout ravin sera comblé, toute montagne et toute
colline seront abaissées; les passages tortueux seront redressés, les chemins
rocailleux aplanis;
6 et tous verront le salut de Dieu.
7 Jean disait alors aux foules qui venaient se
faire baptiser par lui: «Engeance de vipères, qui vous a montré le moyen
d'échapper à la colère qui vient?
8 Produisez donc des fruits qui témoignent de votre
conversion; et n'allez pas dire en vous-mêmes: ‹Nous avons pour père Abraham.›
Car je vous le dis, des pierres que voici Dieu peut susciter des enfants à
Abraham.
9 Déjà même, la hache est prête à attaquer la
racine des arbres; tout arbre donc qui ne produit pas de bon fruit va être
coupé et jeté au feu.»
10 Les foules demandaient à Jean: «Que nous faut-il
donc faire?»
11 Il leur répondait: «Si quelqu'un a deux tuniques,
qu'il partage avec celui qui n'en a pas; si quelqu'un a de quoi manger, qu'il
fasse de même.»
12 Des collecteurs d'impôts aussi vinrent se faire
baptiser et lui dirent: «Maître, que nous faut-il faire?»
13 Il leur dit: «N'exigez rien de plus que ce qui
vous a été fixé.»
14 Des militaires lui demandaient: «Et nous, que
nous faut-il faire?» Il leur dit: «Ne faites ni violence ni tort à personne, et
contentez-vous de votre solde.»
15 Le peuple était dans l'attente et tous se
posaient en eux-mêmes des questions au sujet de Jean: ne serait-il pas le
Messie?
16 Jean répondit à tous: «Moi, c'est d'eau que je
vous baptise; mais il vient, celui qui est plus fort que moi, et je ne suis pas
digne de délier la lanière de ses sandales. Lui, il vous baptisera dans
l'Esprit Saint et le feu;
17 il a sa pelle à vanner à la main pour nettoyer
son aire et pour recueillir le blé dans son grenier; mais la bale, il la
brûlera au feu qui ne s'éteint pas.»
18 Ainsi, avec bien d'autres exhortations encore, il
annonçait au peuple la Bonne Nouvelle.
Prédication :
« Il a sa pelle à vanner à
la main pour nettoyer son aire et pour recueillir le blé dans son grenier ;
mais la bale, il la brûlera au feu qui ne s'éteint pas » La bale, c’est
l’espèce de pellicule solide qui enveloppe l’épi de blé. Autrement dit, si nous
comprenons bien Jean le Baptiste, une grande conflagration est toute proche, un
grand jugement s’ensuivra, certains étant pour toujours réprouvés, jetés pour
toujours au feu, et d’autres, pour toujours, élus, mis en réserve, choyés,
abrités… Et l’évangile de Luc appelle ça la Bonne Nouvelle… Bonne Nouvelle pour
qui ? Pas pour la bale…
C’est que la perspective
du feu qui ne s’éteint jamais n’est guère réjouissante… Peut-être que vous
n’avez pas peur. Et alors un prédicateur apparemment comme Jean le Baptiste
n’aura pas de prise sur vous. Vous allez le laisser vociférer, menacer, et vous
allez hausser les épaules… Mais peut-être qu’à un moment de votre vie vous serez
inquiet, angoissé, que vous aurez le sentiment d’une menace, ou d’un péril
imminents ; vous serez fragilisé. Peut-être alors un prédicateur de la
peur pourra vous convaincre que oui, qu’il faut avoir peur, et que vous devriez
avoir encore plus peur, parce que le jugement est imminent. Il y a ainsi des
prédicateurs qui font peur. Et qui apportent le remède à la peur… Il y a alors
parfois des gens pour les croire… Ce n’est pas seulement en religion d’ailleurs
que ça peut parfois se passer comme ça. Ça peut se passer comme ça aussi
parfois en politique.
Quel remède proposent-ils contre la peur ?
Par exemple, un rite religieux. On peut, disaient certains prédicateurs, donner
de son argent, acheter l’indulgence de Dieu… les protestants savent ça par
cœur, mais c’était il y a longtemps. Tout récemment, en étant manifestement
au-delà de toute peur possible, et pensant que Dieu les honorerait et les
admettrait dans son paradis, il y en a qui ont ouvert le feu sur des gens qui
étaient au concert, ou au café, et ils se sont fait exploser après. Gagne-t-on
son paradis en tuant des humains ? Vous dites que non, que c’est
monstrueux, et vous avez complètement raison. Mais pour qu’ils fassent cela, il
a fallu qu’il y ait des prédicateurs pour le leur prêcher, et que, eux, ils y
croient. Quant à savoir dans quelles conditions mentales ils étaient pour finir
par arriver à y croire, faut-il penser au dépit, ou à la peur ? Un total
affaissement du sens critique, en tout cas.
Dans le texte de l’évangile de Luc, il y en a qui pensent
que le baptême de Jean le Baptiste est un remède contre la peur de l’enfer, un
moyen pour échapper au chaos et au jugement qui doit venir… On peut bien
entendu demander sincèrement le baptême, mais ceux qui le voient comme un
moyen, Jean les vilipende.
Première leçon donc : le baptême de Jean le
Baptiste ne peut pas être considéré
comme un remède contre la peur. Et c’est Jean le Baptiste lui-même qui le dit.
Deuxième leçon : les actions que préconise
Jean le Baptiste sont des actions impossibles. Aucune d’elles n’est donc à même
de soulager la peur… au contraire même, la peur est redoublée.
Au bilan, la tranquillité de l’âme ne s’obtient ni
par des actions, même bonnes, ni par des rites, même religieux.
La prédication
de Jean le Baptiste passe par la préconisation d’actes, non pour disqualifier socialement
un agir juste, mais pour montrer, s’agissant de salut, l’impasse de tous les
actes et pour pointer « plus loin » que les actes. Or, le « plus
loin », le peuple le connaît : la rédemption, le salut, la
conjuration de la peur, passent par le Messie. Ce que les humains n’obtiendront
jamais de Dieu par leurs propres forces, le Messie le leur donnera…
Jean ne serait-il donc pas le Messie ? Et le
reconnaître comme tel ne serait-il pas ce qu’il faut faire pour que soit
conjurée la peur ? D’un côté, Jean précise que ce n’est pas lui le Messie
qui vient. Et d’un autre côté, il faut bien se garder d’affirmer que nous
savons, nous, que c’est Jésus et que le reconnaître comme Messie serait
l’unique moyen de conjurer la peur. Car si nous l’affirmions ainsi, reconnaître
le Messie ce serait encore une fois faire œuvre humaine.
L’impasse est-elle totale ? Non ! Nous
ne sommes pas dans l’impasse. Ecoutons sérieusement ce que dit Jean le
Baptiste. Il dit du Messie : « Il vient ! » En se
proclamant lui-même indigne de délier la courroie des sandales de celui qui
vient, Jean affirme que le Messie est un homme, et infiniment plus qu’un homme.
Jean affirme aussi que ce que fait cet homme qui est infiniment plus qu’un
homme n’est pas un geste matériel fait par les hommes pour leur propre profit,
mais un geste immatériel que les hommes peuvent seulement recevoir… Le nom de
ce geste immatériel ? « Il vous baptisera dans l’Esprit Saint et le
feu. »
Qu’est-ce à dire ? Reprenons l’image par
laquelle nous commencions. Le grain, et la bale. Est-on pour les uns juste de
la bale bonne à jeter au feu, et pour les autres seulement grain à conserver
pour la vie ? Que je sache, le blé, lorsqu’il pousse, c’est du grain, enveloppé
dans de la bale. Bale et grain sont produits par la même plante. Mais si le
grain n’est pas séparé de la bale, il est impropre à nourrir, il est impropre à
vivre. La bale c’est ce qui l’enveloppe, l’enserre, empêche de vivre… un peu
comme la peur dont nous parlions tout à l’heure. Or, le grain ne peut pas se
débarrasser tout seul de la bale… il ne peut pas parvenir seul se débarrasser
de sa peur. Et ce que dit Jean le Baptiste, ce n’est finalement pas une menace,
mais c’est vraiment une bonne nouvelle, la Bonne Nouvelle. Vous allez être
libres de vos peurs, de vos poids, de vos remords ou ressentiments. Pas à
l’abri du malheur, mais libres ! Non pas parce que vous aurez fait ce
qu’il faut pour l’être – vous ne le pouvez pas – mais parce que Lui, Celui qui
vient, le fera pour vous.
Sœurs et frères, il est venu et il vient. En nous
baptisant dans l’Esprit Saint et le feu, il a commencé et il continue de nous
libérer. Nous nous en réjouissons, nous lui disons merci, et nous lui demandons
qu’il poursuive chaque jour son œuvre en nous. Amen
N'empêche, reste la question de cette peur - de l'au-delà - qui, si elle n'avait pas fait défaut aux assassins du 13 novembre, aurait peut-être pu les empêcher de ... Comment peut-on en être certain ? On ne peut être certain que d'une chose en l'espèce : le mélange de la certitude du salut et de la théologie de la rétribution, c'est à dire l'éviction pure et simple de l'idée d'un jugement divin, c'est la porte ouverte, le boulevard de la violence religieuse irresponsable. Seule une dynamique équilibrée du jugement et de la grâce peuvent conduire à une éthique concrète de l'acte et de la responsabilité. Mais ces propos sont si extraordinairement abstraits...