dimanche 6 septembre 2015

La suite de l'évangile de Jésus Christ Fils de Dieu (Marc 7,31-37)


Lorsque l'émotion sera retombée et, déjà, elle est retombée, il restera celles et ceux qui, chassés par la misère et les horreurs de la guerre, auront eu l'heur de survivre au voyage. Parmi eux, le père d'Aylan Kurdi. Bodrum restera la perle de la Riviera Egéenne, et certains vacanciers européens continueront à y goûter un repos mérité. Les avis de ces gens sur les hôtels qu'ils auront fréquentés resteront essentiellement grincheux. Y a-t-il un vacancier européen heureux sur les rives orientales de la mer Egée ? L'un d'eux se plaindra un de ces jours qu'on ait laissé au petit matin des cadavres sur la plage privée de son hôtel. Et, l'année prochaine, préférera l'île de Kos. Aucun d'entre nous, ne rendra la vie à un enfant mort noyé. Que le Tout Puissant nous prenne en pitié.


Marc 7
31 Jésus quitta le territoire de Tyr et revint par Sidon vers la mer de Galilée en traversant le territoire de la Décapole.
32 On lui amène un sourd qui, de plus, parlait difficilement et on le supplie de lui imposer la main.
33 Le prenant loin de la foule, à l'écart, Jésus lui mit les doigts dans les oreilles, cracha et lui toucha la langue.
34 Puis, levant son regard vers le ciel, il soupira. Et il lui dit: «Ephphata», c'est-à-dire: «Ouvre-toi.»
35 Aussitôt ses oreilles s'ouvrirent, sa langue se délia, et il parlait correctement.
36 Jésus leur recommanda de n'en parler à personne: mais plus il le leur recommandait, plus ceux-ci le proclamaient.
37 Ils étaient très impressionnés et ils disaient: «Il a bien fait toutes choses; il fait entendre les sourds et parler les muets.»


Prédication : 
Un simple, un très simple épisode de l’évangile de Marc, tel est ce court récit d’un miracle accompli par Jésus en terre étrangère. Un miracle dont Jésus recommandera qu’on ne parle surtout pas, mais au sujet duquel une publicité considérable sera faite, qui vaudra à Jésus une renommée tout aussi considérable… Ce simple épisode est accompagné de beaucoup d’autres épisodes, et bout à bout, ils constituent une histoire de la vie de Jésus. Ainsi donc, à première vue, l’évangile est une histoire de la vie de Jésus.

Pourtant, l’évangile n’est pas seulement une histoire de la vie de Jésus. Et nous en sommes avertis dès le premier verset de Marc. Vous avez le droit de ne pas connaître ce verset par cœur. Le voici : « Commencement de l’évangile de Jésus Christ Fils de Dieu ». Ce premier verset, c’est le véritable titre de l’évangile de Marc. Et cela a une conséquence importante : lorsque le lecteur a sous les yeux cette histoire de la vie de Jésus, il n’a que le commencement de l’évangile de Jésus Christ Fils de Dieu.

Pourquoi tous ces préliminaires, vous demandez-vous ? Et bien pour suggérer que la continuation de l’évangile de Jésus Christ Fils de Dieu doit nous préoccuper d’avantage que son commencement, et pour suggérer aussi qu’une lecture attentive du texte de  Marc (de Marc entre autres – de  Marc, aujourd’hui) peut nous indiquer quelques conditions de possibilité de la continuation de cet évangile. Donc, nous lisons, et nous commentons, seulement deux versets, en gardant en tête cette question : Quelle sera la suite de l’évangile de Jésus Christ Fils de Dieu ?

Premier verset que nous commentons : Il leur recommanda de n’en parler à personne. Jésus, donc, nous rapporte Marc, recommande – et avec tellement de fermeté que cela ressemble à un commandement – de ne parler à personne du miracle qu’il vient d’accomplir. Et lorsque le miracle c’est de rendre la parole à un muet, il est pour le moins surprenant que l’auteur du miracle commande qu’on se taise. Alors, pour continuer l’évangile, faut-il se taire, ou parler ? Quand se taire, et quand parler ? Et parler, pour dire quoi ? Pour dire que Jésus a fait des miracles ? La dévotion populaire est friande de miracles, et les marchands d’illusions sont gourmands de la dévotion populaire. Faire grande publicité de ce que Jésus a, un jour, quelque part, guéri un sourd qui ne parlait pas, cela ne sert pas l’évangile. Car ce genre de miracle étant non réitérable, en faire la publicité ne fait qu’alimenter les illusions. On ne nourrit pas l’espérance en alimentant les illusions. Et c’est pour cela que nulle publicité ne doit jamais être faite au sujet d’un miracle qui a eu lieu, même si, et surtout si, l’on croit que des miracles sont possibles.

Deuxième verset que nous commentons : On lui amène un sourd qui avait de la peine à parler. Nous devons reconnaître qu’une certaine quantité de publicité avait été nécessaire autour de Jésus pour que la rencontre entre lui et le sourd puisse avoir été initiée, et l’on se doute bien que ça n’est pas pour gentille petite tape sur la joue qu’on supplie Jésus de poser la main sur ce malheureux. Pourtant, ça n’est pas publiquement que la rencontre a lieu. Les effets de la rencontre entre Jésus et le sourd sont manifestes, mais la rencontre reste strictement en tête à tête, puisque Jésus l’emmena loin de la foule, à l’écart. Les lecteurs que nous sommes sont les spectateurs de la suite, mais pas la foule. Il y a là une triple leçon à recevoir :
-          (Un) Mener les gens là où une rencontre décisive est possible, c’est une condition de continuation de l’évangile.
-          (Deux) Mais cette rencontre, ni ce qui s’y dit, ni ce qui s’y passe, ni ce qui s’ensuit, ne nous appartient pas. Il y a même plus à dire, puisque celui qui était sourd et mal-parlant sera bien moins facile à diriger, bien moins facile à manipuler, lorsqu’il sera guéri que lorsqu’il était handicapé. Autrement dit celui qui ne désire pas qu’autrui puisse un jour prendre la parole, puisse s’exprimer, réfléchir, contester, choisir… ne laisse aucune chance à la continuation de l’évangile.
-          (Trois) On ne voit aucunement le sourd mal-parlant protester ou se rebiffer, ce qui suggère qu’on réfléchisse un peu sur l’obéissance : se laisser mener là où quelque chose d’inouï nous sera peut-être dit, là où nous vivrons peut-être une rencontre inaugurale, c’est aussi une condition de continuation de l’évangile. Mais, s’agissant des lecteurs que nous sommes, cette obéissance ne peut pas être synonyme d’abdication de la raison. Même si nous ne savons pas à quoi nous sommes sourds, nous ne pouvons pas, nous ne devons pas accepter d’écouter n’importe quoi. Et même si nous manquons de mots parfois pour dire ce qui nous porte, nous ne devons pas accepter de le dire n’importe comment.

Mais qu’allons-nous faire, et qu’allons-nous dire, et comment, afin que l’évangile de Jésus Christ Fils de Dieu ait une suite ? Dans l’intimité de la rencontre, Jésus accomplit quelques gestes, lève les yeux au ciel, gémit, et prononce un seul mot, un impératif, adressé au sourd mal-parlant. Si nous excluons de cette scène les gestes magiques, car nous n’en sommes pas capables, il reste un regard vers le ciel, un gémissement et un impératif.
-          Il reste un impératif : Ouvre-toi ! C’est l’impératif que nous devons entendre, et que nous pouvons être amenés à adresser à nos contemporains. S’ouvrir, mais à quoi ? A tout, mais pas à n’importe quoi ! Faire le tri ! Les oreilles pour entendre, la bouche pour parler, rien dans notre texte n’indique que la bouche doive stupidement répéter ce que les oreilles ont entendu. L’intelligence critique et constructive doit s’ouvrir. « La foi chrétienne est illumination de la raison (Erleuchtung der Vernunft) », a écrit Karl Barth, l’un des plus grands théologiens du siècle passé.
-          Il reste aussi un gémissement, parce qu’œuvrer pour l’évangile est chose parfois lourde et pénible, tant cela risque d’être source de malentendus et de peine.
-          Il reste enfin un regard vers le ciel, car ce qu’on accomplit, il faut bien entendu le faire à la mesure de ce que nous savons faire, si peu de choses que ce soit. Mais, avec cette conviction essentielle : Dieu agit. Même si nos paroles et nos actes ont une portée décisive pour quelqu’un, c’est en fait Lui, Dieu seul, qui agit. A Lui est la gloire.

Alors, qui va continuer l’évangile de Jésus Christ Fils de Dieu ? Ministres et fidèles, jeunes et vieux, croyants et incroyants, hommes et femmes de bonne volonté. Puisse chacun d’entre nous vouloir le faire. Et le Seigneur nous sera en aide. Amen