Marc 9,38-48
38 Jean lui dit: «Maître, nous avons vu quelqu'un qui
chassait les démons en ton nom et nous l'en avons empêché parce qu'il ne nous
suit pas.»
39 Mais Jésus dit: «Ne l'en empêchez pas, car il n'y a
personne qui fasse un miracle en mon nom et puisse, aussitôt après, mal parler
de moi.
40 Celui qui n'est pas contre nous est pour nous.
41 Quiconque vous donnera à boire un verre d'eau parce que
vous appartenez au Christ, en vérité, je vous le déclare, il ne perdra pas sa
récompense.
42 «Quiconque entraîne la chute d'un seul de ces petits qui
croient, il vaut mieux pour lui qu'on lui attache au cou une grosse meule, et
qu'on le jette à la mer.
43 Si ta main entraîne ta chute, coupe-la; il vaut mieux
que tu entres manchot dans la vie que d'aller avec tes deux mains dans la
géhenne, dans le feu qui ne s'éteint pas.
45 Si ton pied entraîne ta chute, coupe-le; il vaut mieux
que tu entres estropié dans la vie que d'être jeté avec tes deux pieds dans la
géhenne.
47 Et si ton oeil entraîne ta chute, arrache-le; il vaut
mieux que tu entres borgne dans le Royaume de Dieu que d'être jeté avec tes
deux yeux dans la géhenne,
48 où le ver ne meurt pas et où le feu ne s'éteint pas.
49 Car chacun sera salé au feu.
50 C'est une bonne chose que le sel. Mais si le sel perd
son goût, avec quoi le lui rendrez-vous? Ayez du sel en vous-mêmes et soyez en
paix les uns avec les autres.»
Prédication :
Souvenir
personnel, pour commencer cette prédication. Marcel avait été pour Lise un
fiancé délicat, un mari doux et prévenant, l’homme de toute sa vie. Ils étaient
âgés déjà lorsque je les ai connus, dévoués l’un à l’autre, bons l’un pour
l’autre…Ils ont vieilli encore un peu. La vieillesse est parfois chose laide. Marcel
est tombé malade et la maladie l’a rendu grossier, puis violent. Devenu
impossible à maîtriser, il a fallu l’enfermer. Lise allait le voir, souvent, et
revenait, à chaque fois, anéantie. Tout son amour pour Marcel était impuissant.
La médecine, qui a des noms pour toutes choses, était elle aussi impuissante.
Un jour, Lise m’a posé cette question : « Est-ce un démon qui s’est
emparé de lui ? »
Le premier
verset du texte que nous méditons commence ainsi : « Maître, nous
avons vu quelqu’un qui chassait les démons en ton nom… » Les démons, c’est
le nom donné à l’impuissance face au naufrage
d’une personne, c’est le nom donné au désastre, c’est le nom donné à ceux pour
lesquels toutes les personnes réputées compétentes se sont montrées incapables,
alors le problème est donc resté ainsi sur les bras des plus proches… qui n’ont
plus, pour faire face, que leur courage, et leur foi. Telle est la situation de
départ de notre texte, c’est la situation de l’impuissance radicale, de la
faiblesse absolue, la situation de « ces petits qui croient ».
Il arrive, parfois, que, dans une
telle situation, se présente quelqu’un qui, contre toute attente, apportera un
peu de soulagement. « Nous avons vu quelqu’un qui chasse les démons en ton
nom… », rapporte Jean, disciple de Jésus.
Celui qui
soulage miraculeusement, c'est-à-dire contre toute attente, d’un mal, d’un
souci qui a résisté à tous les spécialistes patentés, celui qui soulage non pas
en son nom propre, pas pour sa petite gloire ou pour asseoir sa domination, mais
qui au contraire agit au nom de Jésus Christ, gratuitement, sans aucune
contrepartie… à celui qui agit ainsi, demande-t-on de quelle chapelle il est ?
C’est pourtant ce qu’ont fait les disciples de Jésus. Ils ont empêché quelqu’un
d’agir, de faire le bien, parce que ce quelqu’un n’était pas de leur
chapelle : « nous l’avons empêché parce qu’il ne nous suit
pas. »
Nous appartenons à une tradition
chrétienne qui professe qu’il n’y a de salut que par pure grâce. Or, le texte
que nous méditons nous conduit à nous interroger sur l’acte des disciples de
Jésus, un acte grave, et, semble-t-il, impardonnable. « Maudit soit celui
qui met un obstacle sur le chemin d’un de ces petits qui croient. » Nous
nous interrogeons donc sur les œuvres. Ce texte biblique est justement là pour que
nous interrogions nos propos, et nos pratiques, et que nous les interrogions
sérieusement.
Or, nous
avons bien là sous nos yeux un texte revêtu d’autorité, une parole attribuée à
Jésus, qui vient proclamer que certains actes seront rétribués positivement et
d’une manière inaliénable, et que d’autres actes seront rétribués de la géhenne,
c'est-à-dire de l’ultime malédiction… Quels actes ?
Commençons
par ceux qui vaudraient la géhenne. Lisons, tout simplement. Nous avons empêché
(un homme) (de chasser les démons en ton nom) parce qu’il ne nous suit pas,
rapporte l’un des ses disciples à Jésus. Que reste-t-il au désespéré, à
l’impuissant, à celui qui a son malheur et sa misère sur les bras, une fois que
des personnes bien-pensantes ont récusé toute possibilité d’un bienfait ?
A celui qui n’a que son malheur et sa foi, que reste-t-il si on le prive de sa
foi ? Il ne reste qu’un malheur aggravé. Or, il est impardonnable, enseigne
Jésus, d’arracher la bouée de quelqu’un qui surnage avec peine (si ta main…). Il
est impardonnable de poser sa botte sur le corps de celui qui se débat dans la
boue (si ton pied…). Impardonnable aussi de se repaître du spectacle du malheur
d’autrui (si ton œil…). Ce genre d’acte, l’acte de ses disciples, qui ont
empêché un homme de chasser des démons au nom de Jésus, est condamné par Jésus
lui-même, sans appel, et apparemment sans rémission possible pour celui qui les
aura commis.
Mais il y a
d’autres actes, pas forcément spectaculaires, des actes minuscules, des actes à
la portée de chacune, de chacun, qui peuvent être accomplis même lorsque tous
les experts se sont montrés impuissants. Ce sont des actes qui ne guérissent
rien mais qui peuvent prendre l’allure de miracles, seulement parce que plus
personne ne les attend, et parce que ceux qui les commettent le font sans
prétention aucune. « Celui qui vous donnera à boire un verre d’eau parce
que vous êtes de Christ… » Et bien, nous affirme Jésus, ce genre d’acte est
rétribué, et d’une manière inaliénable ! « … en vérité, (celui qui
les aura accomplis) ne perdra jamais sa rétribution. »
Ne nous
demandons surtout pas qui est de Christ et qui n’est pas de Christ. Le Christ
n’a jamais fait le tri des malheureux avant de les soulager. Reconnaissons
plutôt que, parfois, devant le malheur, nous en avons fait infiniment moins que
ce que nous aurions pu et que, parfois aussi, il nous est arrivé de mal parler
de ceux qui, se réclamant pourtant du Christ, ne sont pas de la même chapelle
que nous et pourtant accomplissent des actes de bonté. Nous ne sommes pas pour
autant de mauvaises personnes. Il nous est arrivé aussi d’accomplir des actes
simples, minuscules, et qui auront été des actes de bonté.
Mais puisque ces actes, mauvais
et bons, sont mis apparemment en balance par le texte que nous méditons,
demandons-nous combien d’actes minuscules de pure bonté faut-il accomplir pour
contrebalancer de mauvaises actions. Et bien… Dieu seul le sait… car, très
souvent, les meilleures de leurs actions sont ignorées de ceux-là même qui les
accomplissent.
Nous ne pouvons donc pas nous
prévaloir de nos bonnes actions. Et nous ne serons sauvés que par pure grâce.
Mais nous pouvons plaider pour ceux qui ont bien agi. Si la divine rétribution
d’actes de bonté minuscules est une rétribution inaliénable, alors je connais
le nom de quelques-uns de ceux qui seront sauvés, parce que je sais ce qu’ils
ont fait un jour pour moi.
Ceci dit, dans l’attente
confiante de ce salut qui n’arrive que par pure grâce, nous pouvons chercher à
mieux vivre. Et le texte nous donne clairement une direction à prendre. Pas
seulement les remèdes radicaux du genre « Si ta main… si ton pied… si ton
œil… ». Il nous suggère de penser un peu à ce qu’on agrippe tellement fort
qu’on n’en bouge plus. Penser aussi à ce après quoi l’on court si vite qu’on ne
remarque même plus que d’autres chemins sont possibles. Penser enfin à ce vers
quoi notre regard se pose, avec un genre d’insistance qui empoisonne le
jugement. Nous pouvons penser à tout cela, et simplifier, épurer, saler, comme
Jésus le suggère, pour perdre le plus possible de ces boursouflures qui
relèvent plus de l’arrogance, de la religiosité, et de la convoitise, que de la
foi.
« Nous avons vu un homme qui
chassait les démons en ton nom, et nous l’en avons empêché, parce qu’il ne nous
suit pas. » Ce jour-là, les disciples de Jésus se sont trompés de combat. Oui,
il faut se battre contre ceux qui détruisent, mutilent, aliènent… Mais c’est surtout
pour l’Evangile de Jésus Christ Fils de Dieu qu’il faut se battre, contre ce
qui aliène l’être humain. Ce jour-là, les disciples de Jésus se sont trompés de
combat… puissions-nous ne pas nous tromper, et mener ce combat en nous-mêmes,
et pour autrui. Que le Seigneur nous soit en aide. Amen
Loin des bousculades, celles du Hadj, celles de "Je suis Charlie", celles de "On est, on est, on les les champions !". Thor's Café, Cap Ameli, Groenland. Cet endroit n'est pas habitable sans les secours justement de cette machinerie qui enfante aussi les foules et leurs immenses mouvements. Et s'y retirerait-on qu'on n'y survivrait sans doute pas au premier hiver arctique... Et pourtant, le silence, l'incomparable silence de ces pays, et l'immense solitude. Ainsi rêver de la demeure de Dieu.
Avant l'immense nuit, alors que, déjà, la mer est gelée, je sors, quelques heures de marche autour de ma cabane. Certaines tempêtes me forceront à demeurer cloîtré. Hier, j'ai vu passer l'ange blanc, la chouette arctique, rarissime compagne de mes méditations. Quelques mois encore passeront avant que je n'adresse la parole à l'un de mes semblables. Ou quelques siècles... Tout est bien.