Marc 10
1 Partant de là, il vient
dans le territoire de la Judée et au-delà du Jourdain, et de nouveau les foules
se rassemblent auprès de lui et, selon sa coutume, de nouveau il les
enseignait.
2 Des Pharisiens s'avancèrent et, pour lui tendre
un piège, (pour le tenter), ils lui
demandèrent s'il est permis à un
homme de renvoyer sa femme.
3 Il leur répondit: «Qu'est-ce que Moïse vous a commandé ?»
4 Ils dirent: «Moïse a permis d'écrire un
certificat de répudiation et de renvoyer sa femme.»
5 Jésus leur dit: «C'est à cause de la dureté de
votre coeur qu'il a écrit pour vous ce commandement.
6 Mais au commencement du monde, Dieu les fit mâle
et femelle;
7 c'est pourquoi l'homme quittera son père et sa
mère et s'attachera à sa femme,
8 et les deux ne feront qu'une seule chair. Ainsi,
ils ne sont plus deux, mais une seule chair.
9 Que l'homme donc ne sépare pas ce que Dieu a
uni.»
10 À la maison, les disciples l'interrogeaient de
nouveau sur ce sujet.
11 Il leur dit: «Si quelqu'un renvoie sa femme et en prend
une autre, il est adultère à l'égard
de la première;
12 et si la femme renvoie son mari et en prend
un autre, elle est adultère.»
13 Des gens lui amenaient des enfants pour qu'il les
touche, mais les disciples les rabrouèrent.
14 En voyant cela, Jésus s'indigna et leur dit:
«Laissez les enfants venir à moi, ne les empêchez pas, car le Royaume de Dieu
est à ceux qui sont comme eux.
15 En vérité, je vous le déclare, qui n'accueille
pas le Royaume de Dieu comme un enfant n'y entrera pas.»
16 Et il les embrassait et les bénissait en leur
imposant les mains.
La Bible n'est pas une arme, imbéciles !
Prédication :
Confidence : j’aurais bien
laissé ce texte de côté, bien qu’il soit proposé pour notre méditation de ce
jour – les raisons de la tentation de le laisser de côté apparaîtront chemin
faisant – si deux événements ne s’étaient produits.
Le premier, c’est que mon proche
entourage m’a rappelé que ce texte, même s’il m’est désagréable, est un texte
canonique et que s’il arrive sous mes yeux, je ne dois pas me dérober à une
confrontation avec lui ; la Parole de Dieu nous est adressée même en
s’attachant à des textes qui nous indisposent ; et peut-être surtout en
s’attachant à des textes qui nous indisposent. Reste toujours à examiner les
motifs de cette indisposition. Premier événement qui s’est produit.
Voici le second événement :
j’ai lu quelques commentaires faits par des théologiens sur le dossier
préparatoire du prochain synode des Evêques catholiques romains, synode
consacré à la famille (4-25 octobre – Nous prions pour ce synode) et au cours
duquel apparaîtra, immanquablement, parmi bien d’autres questions, celle de
l’accès à l’eucharistie des divorcés remariés. Au terme de ce synode,
seront-ils admis à l’eucharistie ? Il faudrait, pour cela, changer la
doctrine, ou la pratique, officiellement. Je ne suis pas catholique romain pour
me prononcer sur des problèmes catholiques romains, dont celui-ci, très épineux,
qui est de changer la pratique, la discipline, sans toucher aucunement à la
doctrine. Dans le cas des divorcés remariés, exclus canoniquement de la
communion, il s’agirait de mettre en avant la miséricorde et la compassion de
Dieu qui, en Jésus Christ, a donné aux hommes le pouvoir de pardonner les
péchés ; on pourrait peut-être donc, donc au titre de ce pardon,
accueillir ceux qu’on n’accueillait pas…
Dans ces commentaires, j’ai trouvé quelque part cette référence directe
à la Bible : Dieu a donné aux hommes le pouvoir de pardonner (Matthieu
9,6). Ce pouvoir de pardonner, il l’a donné aux hommes, c’est clair, mais le
commentateur ajoute, « c'est-à-dire qu’il l’a donné à l’Eglise ». A
la lecture de ces mots, mon sang protestant s’est un instant glacé.
Pour avoir longtemps travaillé avec
des théologiens catholiques d’une certaine importance, j’ai bien fini par
comprendre ce qu’ils voulaient dire en tant que théologiens catholiques,
lorsqu’ils affirment qu’on n’a pas l’Eglise sans le Christ, et qu’on n’a pas
non plus le Christ sans l’Eglise. J’ai bien fini par le comprendre, et par
comprendre que cela sans doute nous sépare presque irrémédiablement – il faudra
je le pense l’intervention du Tout Puissant pour que cela ne nous sépare plus.
A-t-on l’Eglise sans le Christ ?
Non. Il en est le chef, le principe, l’époux… A-t-on le Christ sans
l’Eglise ? La question peut prendre bien des aspects, dont celui-ci :
un lecteur particulier peut-il donner une interprétation inspirée d’un texte
biblique, qui serait différente de l’interprétation que l’Eglise en
donne ? Martin Luther, le 18 avril 1521, à Worms, devant l’empire, et au
prix de sa vie, a répondu affirmativement. On peut avoir le Christ sans
l’Eglise, mais pas sans un engagement personnel, et pas sans les Ecritures, ni
sans l’aide de Dieu. Et c’est ainsi que ceux qui se réclament sérieusement du
protestantisme reviennent sans cesse au texte biblique, en demandant l’aide de
Dieu, non pour y chercher la justification de leurs propres choix – ces manières
de faire n’ont rien à voir ni avec la Réforme, ni même avec la foi chrétienne –
mais pour, dans la foi, tâcher de
discerner des chemins de vérité et de responsabilité qui soient dignes de
l’Evangile.
Ainsi, lorsque le pouvoir de pardonner les péchés est donné aux hommes,
c’est bien aux hommes, c'est-à-dire à chacune, à chacun, qu’il est donné…
Comment donc les humains useront-ils du pouvoir de pardonner ? Telle est
la question.
A cause de ces deux événements, il
m’a été impossible de me dérober. Le texte est là, il est là ce matin,
maintenant, et il faut faire fi des agacements, des colères, des impressions de
première lecture, faire fi de ce qu’il a servi à justifier ; il faut
s’efforcer de lire ce texte, sérieusement, c'est-à-dire dans la cohérence de
l’Evangile : Dieu fait grâce, sans que nous le méritions, et inconditionnellement.
Pour celui qui accepte sérieusement cette grâce, la cohérence de l’Evangile est
une exigence personnelle ; de la grâce qui m’est faite et que j’accepte, je
dois toujours me demander quel usage j’en fais ; car cette grâce ne m’autorise
pas à faire peser quoi que ce soit sur autrui ; elle appelle ainsi chacun
à s’interroger sur soi-même et, s’il l’accepte, à se corriger.
Ainsi donc, on vint tendre un piège
à Jésus, on vint le tenter. Et n’allons pas tomber dans le piège qui lui était
tendu, n’allons pas céder à la tentation, l’immense tentation de justifier les
usages, les goûts et les dégoûts, par quelque verset biblique que ce soit. Que
ce soit d’ailleurs la question de la répudiation, du divorce, de la rupture des
couples qui soit abordée n’a strictement aucune importance. Cela signale
seulement que, lorsque Jésus a parlé, et lorsque Marc a écrit, renvoyer,
lourder, jeter sa femme à la rue, en s’autorisant d’un texte biblique (et pour
les citoyennes romaines, rejeter son mari parce qu’il n’était plus assez
influent, ou riche… en s’autorisant du droit romain, verset 15), en étant donc
dans son bon droit, était chose banale, chose ordinaire. Oui, répond Jésus, il
y a un texte biblique, c’est permis. Mais il n’y a pas un seul texte biblique,
comme ça, qui vous autorise et vous dédouane de toute réflexion.
Pourquoi le faites-vous ? La possibilité biblique et juridique de
mettre fin à une union n’est pas une permission de le faire selon sa fantaisie.
Car la mise en œuvre d’un commandement ne dispense pas de l’observance de tous
les autres. Ainsi le livre de la Genèse, que Jésus cite, n’est pas moins
inspiré ni canonique que celui du Deutéronome. Ils ne sont pas, ils ne peuvent
pas être mis en compétition l’un avec l’autre. Quant à nous autres lecteurs du
Nouveau Testament, le « Que l’homme ne sépare pas ce que Dieu a uni »,
que Jésus prononce alors, et qui pour certains interdit toute rupture du
contrat, n’est pas moins inspiré que Deutéronome 24 qui permet de rompre les
contrats, qui n’est pas moins inspiré que Genèse 1 et 2, etc.
C’est pour cela que la réponse de Jésus n’est pas une réponse sur l’interdiction
du divorce, ni sur « l’indissolubilité du lien conjugal », comme l’affirment
certains. Mais une réponse, ou plutôt une question brûlante sur ce qu’il y a
dans le cœur de ceux qui viennent pour le piéger. Dans votre cœur, répond-il en
substance, chaque fois que vous choisissez le verset qui vous arrange, quel que
soit d’ailleurs ce verset et en particulier lorsque vous renvoyez, vous lourdez
des femmes en vous abritant derrière le texte biblique, il y a du mépris, de la
suffisance, du mensonge, de l’hypocrisie… Le choix opportun d’un verset
biblique est le choix de l’hypocrisie, toujours ! Ceci, ceux qui
interrogeaient Jésus, les Pharisiens, ont dû le comprendre instantanément. Fin
de la discussion avec les Pharisiens.
Mais apparemment, les disciples de Jésus n’avaient pas saisi. Il faut
donc enfoncer le clou. Et, pour enfoncer le clou, il faut traduire le texte
pour ce dont il parle. Rompre un contrat est possible, mettre en place un
nouveau contrat est possible, bibliquement et juridiquement s’entend, car il y
a des commandements qui permettent tout cela. Mais, revenons-y, le respect de
ces commandements ne dispense jamais de l’obéissance du cœur aux autres
commandements, dont celui qui interdit l’adultère, c’est à dire la prédation
dans les relations de couple, la fornication, c'est-à-dire coucher pour asseoir
son statut, pour sa propre jouissance, sans aucunement se donner, pour y
trouver un profit... En renvoyant ses disciples à cet autre commandement, le
septième, Jésus leur adresse une question, encore la même : « Qu’y
a-t-il dans votre cœur ? » Non pas seulement lorsque vous prenez
femme, mais à chaque fois que la vie vous place en position de domination et de
force, et que vous en abusez. Domination ? Ce peut être l’avantage d’être
de sexe masculin dans le Proche-Orient ancien. Ce peut être de disposer d’une
connaissance pointue des textes bibliques devant l’autorité desquels les
petites gens s’inclinent. Ce peut être de disposer d’argent et d’influence… Et
tous ces avantages immérités, comment en usez-vous devant des femmes, des
enfants, de vieillards, des simples, ceux qui vous sont confiés, ceux qui se
donnent à vous… Comment utilisez-vous votre force ? Qu’y a-t-il dans vos
cœurs ? Dans vos cœurs, y a-t-il un esprit de domination, de possession,
de consommation et de renvoi, ou un esprit d’ouverture, d’accueil et de
service ?
Les disciples de Jésus n’ont manifestement pas compris. Ils n’ont pas
compris que l’enseignement de Jésus ne rajoute pas des lois à des lois, et
n’est pas un changement de domination. Mais accueil, service et bénédiction.
Ils ne l’ont pas, c'est-à-dire pas encore compris. Alors, ne pouvant définitivement
plus lourder les femmes, ils s’en prennent aux enfants… Il y a toujours une
personne différente qu’on peut haïr, et un plus faible sur qui l’on peut se
défouler. Sauf que Jésus les bénit, des petits, ces moins que rien, ramassés
dans la rue, sales, sans langage, sans droits et sans espérance... Ont-ils enfin compris ?
S’il y avait eu des chiens dans le récit de Marc, est-ce qu’après
s’être fait tancer par Jésus au sujet des femmes, rabrouer par Jésus au sujet
des enfants, les disciples de Jésus auraient jeté des pierres aux chiens qui
seraient venus quémander une caresse ? Que faut-il donc pour que les
humains comprennent, que faut-il donc qu’il arrive dans leurs vies pour que
leurs cœurs soient atteints et transformés ? Trois réponses sont possibles.
Voici la première : le malheur, car il arrive que des cœurs soient
transformés par l’expérience du malheur, par l’expérience d’avoir été le petit,
celui qui ne peut exister que par l’aide de ses semblables et la grâce de plus
puissants que lui. Mais ça ne marche pas à tous les coups et on ne peut
souhaiter le malheur de personne.
Deuxième réponse : pour que des cœurs soient transformés, il faudrait
que Dieu se fasse connaître à eux en Christ. Cette réponse laisse l’initiative
à Dieu, certes, mais elle laisse la place à toutes sortes de dérobades et de
dénis, du genre : il ne s’est pas encore fait connaître à moi.
Voici donc la troisième réponse : Dieu s’est fait connaître déjà
en Christ et il appartient à chacune et chacun d’en prendre acte et
d’entreprendre d’agir en conséquence. Car prendre acte de ce que Dieu s’est
fait connaître déjà en Christ c’est aussi prendre acte de ce qu’on est, soi,
tout comme étaient, eux, les disciples de Jésus. Les humains, nous, nous sommes
responsables, en un mot, de notre propre conversion, de notre ouverture, de
notre engagement… le chemin de toute la vie.
Que Dieu qui nous a fait grâce nous soit en aide. Amen
Je me demande quel genre de fusil d'assaut Jésus recommanderait qu'on achète ?