samedi 28 décembre 2024

La sagesse et l'intelligence. L'œil de l'Evangile (Luc 2,40-52)

 

1 Jean 3

1 Voyez de quel grand amour le Père nous a fait don, que nous soyons appelés enfants de Dieu; et nous le sommes! Voilà pourquoi le monde ne peut pas nous connaître: il n'a pas découvert Dieu.

 2 Mes bien-aimés, dès à présent nous sommes enfants de Dieu, mais ce que nous serons n'a pas encore été manifesté. Nous savons que, lorsqu'il paraîtra, nous lui serons semblables, puisque nous le verrons tel qu'il est.

 3 Et quiconque fonde sur lui une telle espérance se rend pur comme lui est pur.

 4 Quiconque commet le péché commet aussi l'iniquité; car le péché, c'est l'iniquité.

 5 Mais vous savez que lui a paru pour enlever les péchés; et il n'y a pas de péché en lui.

 6 Quiconque demeure en lui ne pèche plus. Quiconque pèche ne le voit ni ne le connaît.

 7 Mes petits enfants, que nul ne vous égare. Qui pratique la justice est juste, comme lui est juste.

 8 Qui commet le péché est du diable, parce que depuis l'origine le diable est pécheur. Voici pourquoi a paru le Fils de Dieu: pour détruire les œuvres du diable.

 9 Quiconque est né de Dieu ne commet plus le péché, parce que sa semence demeure en lui; et il ne peut plus pécher, parce qu'il est né de Dieu.

 10 À ceci se révèlent les enfants de Dieu et les enfants du diable: quiconque ne pratique pas la justice n'est pas de Dieu, ni celui qui n'aime pas son frère.

 11 Car tel est le message que vous avez entendu dès le commencement: que nous nous aimions les uns les autres.

 12 Non comme Caïn: étant du Mauvais, il égorgea son frère. Et pourquoi l'égorgea-t-il? Ses œuvres étaient mauvaises, tandis que celles de son frère étaient justes.

 13 Ne vous étonnez pas, frères, si le monde vous hait.

 14 Nous, nous savons que nous sommes passés de la mort dans la vie, puisque nous aimons nos frères. Qui n'aime pas demeure dans la mort.

 15 Quiconque hait son frère est un meurtrier. Et, vous le savez, aucun meurtrier n'a la vie éternelle demeurant en lui.

 16 C'est à ceci que désormais nous connaissons l'amour: lui, Jésus, a donné sa vie pour nous; nous aussi, nous devons donner notre vie pour nos frères.

 17 Si quelqu'un possède les biens de ce monde et voit son frère dans le besoin, et qu'il se ferme à toute compassion, comment l'amour de Dieu demeurerait-il en lui?

 18 Mes petits enfants, n'aimons pas en paroles et de langue, mais en acte et dans la vérité;

 19 à cela nous reconnaîtrons que nous sommes de la vérité, et devant lui nous apaiserons notre cœur,

 20 car, si notre cœur nous accuse, Dieu est plus grand que notre cœur et il discerne tout.

 21 Mes bien-aimés, si notre cœur ne nous accuse pas, nous nous adressons à Dieu avec assurance;

 22 et quoi que nous demandions, nous l'obtenons de lui, parce que nous gardons ses commandements et faisons ce qui lui agrée.

 23 Et voici son commandement: adhérer avec foi à son Fils Jésus Christ et nous aimer les uns les autres, comme il nous en a donné le commandement.

 24 Celui qui garde ses commandements demeure en Dieu, et Dieu en lui. Par là nous reconnaissons qu'il demeure en nous, grâce à l'Esprit dont il nous a fait don.

 

1 Samuel 1

20 Or donc, aux jours révolus, Anne, qui était enceinte, enfanta un fils. Elle l'appela Samuel «car, dit-elle, c'est au SEIGNEUR que je l'ai demandé».

 21 Le mari Elqana monta avec toute sa famille pour offrir au SEIGNEUR le sacrifice annuel et s'acquitter de son vœu.

 22 Mais Anne ne monta pas, car, dit-elle à son mari, «attendons que l'enfant soit sevré: alors je l'emmènerai, il se présentera devant le SEIGNEUR et il restera là-bas pour toujours».

 23 Son mari Elqana lui dit: «Fais ce que bon te semble. Reste ici jusqu'à ce que tu l'aies sevré. Que seulement le SEIGNEUR accomplisse sa parole.» La femme resta donc et elle allaita son fils jusqu'à ce qu'elle l'eût sevré.

 24 Lorsqu'elle l'eut sevré, elle le fit monter avec elle, avec trois taureaux, une mesure de farine et une outre de vin; elle le fit entrer dans la Maison du SEIGNEUR à Silo, et l'enfant devint servant.

 25 Ils immolèrent le taureau et amenèrent l'enfant à Eli.

 26 Elle dit: «Pardon, mon seigneur! Aussi vrai que tu es vivant, mon seigneur, je suis la femme qui se tenait près de toi, ici même, et adressait une prière au SEIGNEUR.

 27 C'est pour cet enfant que j'ai prié, et le SEIGNEUR m'a concédé ce que je lui demandais.

 28 À mon tour, je le cède au SEIGNEUR. Pour toute sa vie, il est cédé au SEIGNEUR.» Il se prosterna là devant le SEIGNEUR.

 Luc 2

40 Quant à l'enfant, il grandissait et se fortifiait, tout rempli de sagesse, et la faveur de Dieu était sur lui.

 41 Ses parents allaient chaque année à Jérusalem pour la fête de la Pâque.

 42 Quand il eut douze ans, comme ils y étaient montés suivant la coutume de la fête

 43 et qu'à la fin des jours de fête ils s'en retournaient, le jeune Jésus resta à Jérusalem sans que ses parents s'en aperçoivent.

 44 Pensant qu'il était avec leurs compagnons de route, ils firent une journée de chemin avant de le chercher parmi leurs parents et connaissances.

 45 Ne l'ayant pas trouvé, ils retournèrent à Jérusalem en le cherchant.

 46 C'est au bout de trois jours qu'ils le retrouvèrent dans le temple, assis au milieu des maîtres, à les écouter et les interroger.

 47 Tous ceux qui l'entendaient s'extasiaient sur l'intelligence de ses réponses.

 48 En le voyant, ils furent frappés d'étonnement et sa mère lui dit: «Mon enfant, pourquoi as-tu agi de la sorte avec nous? Vois, ton père et moi, nous te cherchons tout angoissés.»

 49 Il leur dit: «Pourquoi donc me cherchiez-vous? Ne saviez-vous pas qu'il me faut être chez mon Père?»

 50 Mais eux ne comprirent pas ce qu'il leur disait.

 51 Puis il descendit avec eux pour aller à Nazareth; il leur était soumis; et sa mère retenait tous ces événements dans son cœur.

 52 Jésus progressait en sagesse et en taille, et en faveur auprès de Dieu et auprès des hommes.

 

Prédication : 

             Que Jésus était un enfant prodige et un enfant sage – presque tout le temps –  nous devons nous en réjouir et le prendre exemple pour notre vie chrétienne – ce qu’il est aisé de déduire de la lecture de Luc 2,40-52. Mais avant de méditer sur ces conclusions, avant de les discuter un peu, prenons le temps de nous souvenir des enfants soldats.

            Des petits Khmers rouges, des petits gardiens Mao de la Révolution, des petits hitlerjugend, des petits qui sont aujourd’hui – estimation – 120.000 rien que pour l’Afrique sub-Saharienne, cette estimation déjà inquiétante ne représentant que 40% d’un total qui va donc chercher dans les 300.000… enfants soldats, petit prodiges peut-être en maniement des armes, et pour la doctrine, certains se montrent parfaitement accomplis, cruauté plus cruauté.

            Après ce premier tableau terrifiant, en voici un autre, quelques enfants prodiges – vous saurez attribuer à chacun son instrument : Ievgueni Kissine, Roberto Benzi, Lang Lang, Yo-yo Ma, Yehudi Menuin… et tant d’autres, y compris les ordinaires, et ceux sur qui la greffe musicale n’aura jamais pris.

            Pourquoi seulement les armes et la musique ? Les mathématiques…

             Bien sûr ces deux listes n’ont pas la même portée, sauf peut-être si nous venons à  méditer – nous y allons – sur ce temps de l’enfance… de l’enfance de Jésus, mais peut-être aussi sur l’attente des parents de cet enfant.

            Jésus, donc, grandissait notamment en sagesse. Sagesse ? Sagesse donc. Mais qu’est-ce qu’être sage, quand on est un enfant ? Je me souviens d’un bout d’une chanson pour enfants, fin de couplet ou de refrain : nous promettons d’être sages. Ce qui signifiait s’en tenir en actes et en paroles strictement à ce qui nous avait été commandé. Il y avait peu de place pour l’initiative et pour l’improvisation… Et les contrevenants étaient mal vus… toutes sortes de punitions… dont la plus sévère consistait à laver au savon la bouche des menteurs.

            Sagesse donc, connaissance précise et mise en œuvre stricte de toutes sortes d’énoncés canoniques. Il y en a de pleins recueils dans la Bible. Et Jésus grandissait en sagesse, c'est-à-dire, si nous comprenons bien, qu’il ne cessait d’accumuler des énoncés que ses parents et autres éducateurs avaient reçus et transmettaient. Ça n’est pas rien. C’est même sans doute essentiel d’en posséder quelques-uns, juste pour la conduite d’une vie d’homme. Essentiel ? Suffisant ? La Bible ne répond pas, l’artiste Max Ernst (1891-1967) répond en peignant La vierge corrigeant l’enfant Jésus. Éduquer cet enfant-là n’a peut-être pas été si simple... D’ailleurs, une fois, à Jérusalem…

            Une fois, à Jérusalem, Jésus va montrer à quel point son éducation en sagesse laisse à désirer : faisant fi de l’inquiétude prévisible de ses parents, il reste, alors qu’eux partent. Du point de vue de la sagesse, il n’est pas sage. Et nous pouvons tout à fait entendre dans la réponse qu’il fait à ses parents soulagés une certaine ironie ; et nous pouvons entendre les parents se dire en eux-mêmes : c’est ça, rends-nous pour des c… Constat qui projette Jésus plus loin encore de la sagesse. Que faisait-il avec les Maîtres ? Non pas de la Sagesse, mais de l’intelligence. L’intelligence, c’est la capacité à mettre face à face des propos différents les uns des autres, et c’est donc apporter des réponses nouvelles à des questions nouvelles ou pas nouvelles. Par exemple des réponses nouvelles à la question de l’immortalité de l’âme en considérant ce que la psychanalyse énonce sur le trésor des signifiants. Et là Jésus brille, tellement que tout le monde s’extasie.

            Mais de quelle extase s’agit-il ? S’extasier, c’est étymologiquement être hors de soi. L’extase, c’est l’inverse irrationnel de l’intelligence (la sagesse son inverse rationnel). Sont-ils hors d’eux-mêmes dans l’éblouissement, ou sont-ils hors d’eux-mêmes dans la fureur ? Nous avons plutôt l’habitude de penser que Jésus les éblouit, et certains commentateurs pensent que l’enfant Jésus (12 ans tout de même) clouait le bec de ces messieurs parce qu’il était Fils de Dieu, au-dessus des textes et du temple. Nous pensons plutôt que, une fois encore, Luc agit comme chroniqueur et aussi comme critique. L’enfant qu’on dit sage parle avec intelligence mais agit tel un fou. Luc dit aussi que l’intelligence ne peut pas – jamais – même pour Jésus – fait fi de la sagesse, c’est question d’intelligibilité. Luc dit encore que la sagesse est jugée par elle-même mais aussi par l’intelligence, etc., …           

            Luc donc renvoie Jésus à Nazareth, soumis, habiter chez ses chers parents, s’appliquer à ses chères études de sagesse. Régime de vie qui a la faveur de Dieu dans l’évangile de Luc, s’agissant des enfants de 12 ans et plus, même les plus brillants. Et à la fin de cette adolescence ? Lire la suite de Luc. Et nous ? Il ne nous est fait grâce ni de la sagesse ni de l’intelligence. Elles sont ensemble une clé pour notre vie. Amen

mardi 24 décembre 2024

Tout juste Noël (Jean 1,1-18)

Jean 1TOB, avec quelques corrections... 

1 Au commencement était le Verbe, et le Verbe était intime de Dieu, et le Verbe était Dieu.

2 Il était au commencement intime de Dieu.

3 Tout fut par lui, et rien de ce qui fut, ne fut sans lui.

4 En lui était la vie et la vie était la lumière des hommes,

5 et la lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne l'ont point comprise.

6 Il y eut un homme, envoyé de Dieu : son nom était Jean.

7 Il vint en témoin, pour rendre témoignage à la lumière, afin que tous croient par lui.

8 Il n'était pas la lumière, mais il devait rendre témoignage à la lumière.

9 Le Verbe était la vraie lumière qui, en venant dans le monde, illumine tout homme.

10 Il était dans le monde, et le monde fut par lui, et le monde ne l'a pas reconnu.

11 Il est venu chez lui, et les siens ne l'ont pas accueilli.

12 Mais à ceux qui l'ont reçu, à ceux qui croient en son nom, il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu (il a donné la splendeur d’être enfants de Dieu).

13 Ceux-là ne sont pas nés du sang, ni d'un vouloir de chair, ni d'un vouloir d'homme, mais de Dieu.

14 Et le Verbe s'est fait chair et il a habité parmi nous et nous avons vu sa gloire, cette gloire que, unique engendré, plein de grâce et de vérité, il tient du Père.

15 Jean lui rend témoignage et proclame: «Voici celui dont j'ai dit: après moi vient un homme qui m'a devancé, parce que, avant moi, il était.»

16 De sa plénitude en effet, tous, nous avons reçu, et grâce sur grâce.

17 Si la Loi fut donnée par Moïse, la grâce et la vérité sont venues par Jésus Christ.

18 Personne n'a jamais vu Dieu; Dieu unique engendré, qui est dans le sein du Père, s’en est fait l’interprète

Prédication

Nous avons lu les premiers versets de l’évangile de Jean, un matin de Noël, jour de Nativité. Une généalogie sans naissance. Car en matière de naissance de Jésus, nous devons tout à Luc. Les cantiques, les "Il est né le divin enfant", "D’un arbre séculaire" et autres sont du Luc mis en vers et en musique. Tout comme "A toi la gloire" doit tout à Matthieu. Luc, donc vint ici le premier. Et Jean  vint quelques dizaines d’années plus tard. Pour dire la même chose et pour dire autre chose, à d’autres gens.

            Pour l’évangile de Jean, la question de l’existence de Jésus Christ va de soi ; la réponse vient d’un seul coup par une petite phrase : « …il a habité parmi nous » ; cette phrase suffit à elle seule à régler la question de la scène de la nativité. Quant à la question de ce qu’il a fait et dit, et de comment cela s’est fini, elle est tout aussi rapidement réglée, en deux morceaux dont voici le premier : « le monde ne l’a pas reconnu (et) les siens ne l’ont pas reçu » ; ce n’est guère différent des autres évangiles. Que certains l’aient reçu et aient cru en lui, cela est  aussi clairement affirmé par l’évangile de Jean.

            Alors, quoi de spécifique à l’évangile de Jean ?   

 

            Cela apparaît, dès les premiers mots : le Verbe. Vous avez lu la Bible depuis le livre de la Genèse, plus les trois premiers évangiles et, tout à coup, apparaît le Verbe. On ne l’avait jamais vu et on n’en avait jamais entendu parler jusque là. Pourquoi un nouveau nom pour Dieu ? Dieu étant Dieu, et étant déjà doté de nombreux noms, un nom de plus n’est a priori pas un problème… Et ce n’en serait pas un si, dans le prologue de Jean, plusieurs (3) thèmes importants n’étaient pas mentionnés avec une étrange insistance.

            Celui de la manière dont les humains entrent en relation (avec le Verbe – divin).

            L’entrée en relation de l’humain et du Verbe se fait-elle par un mouvement de l’humain vers – ou dans – le Verbe, ou par un mouvement du Verbe vers l’humain ? Et le prologue de Jean d’insister, presque à chaque verset, sur le fait que c’est le Verbe qui vient à l’humain. Cette insistance tellement massive nous pousse à nous demander si, par hasard, ceux qui se sont réclamés du Verbe n’auraient pas affirmé – prétendu ? – que c’est à l’humain d’aller vers le Verbe.

            Celui de l’adoption filiale des humains (par le Verbe).

            Second thème, corollaire du premier, le Verbe prend-il l’humain en estime, voire en amitié, parce que l’humain le veut et s’efforce de le mériter, ou simplement parce que lui, le Verbe, en décide ainsi ? La dignité d’enfant de Dieu doit-elle être conquise, ou doit-elle être reçue ? L’insistance du prologue de Jean notamment sur le verbe recevoir, laisse à penser que ceux qui se sont réclamés du Verbe ont affirmé que devenir enfant de Dieu se conquiert.

            Celui de la contemplation (du divin – Verbe).

            Troisième thème, corollaire des deux premiers, la nature, la connaissance, voire la contemplation du Verbe sont-elles accessibles à l’humain ? Le Verbe peut-il être possédé, maîtrisé ? L’être humain peut-il en être le gardien ? « Dieu, personne ne l’a jamais vu », rappelle le prologue de Jean avec une certaine insistance. Ce qui suggère que ceux qui se sont réclamés du Verbe ont affirmé qu’il est possible de le voir et de le posséder.

            Ce qui se dessine donc, en lisant le prologue de Jean,  c’est qu’un mouvement religieux particulier a émergé, qui se réclamait de la filiation qui passe par Jean le Baptiste et par Jésus Christ – qu’ils nomment « unique engendré ». Au sein de ce mouvement on professait qu’il est possible de contempler et de posséder le divin – qu’on appelle le Verbe – ; on professait aussi que la dignité devant Dieu peut être obtenue – doit être obtenue – à force d’efforts et de discipline ; et encore que cela est la tâche à laquelle les croyants doivent s’astreindre pour atteindre un état supérieur de savoir, de pouvoir, de conscience et d’illumination. Vouloir et savoir, tels pouvaient être les deux verbes qui caractérisaient ce mouvement. Il est vraisemblable que ce mouvement a rencontré un certain succès ; et cela a conduit des communautés à se déchirer, des gens à se méfier les uns des autres, à se défier les uns les autres, puis à se rejeter les uns les autres, le tout au nom de leurs conceptions respectives du Verbe, au nom de leurs approches, de leurs mérites réels ou supposés…

 

            Ainsi présenté, le prologue de l’évangile de Jean – puis l’évangile de Jean tout entier – pourrait être vu comme un traité contre l’hérésie. Mais si tel était le cas, cela serait sans grande portée, et ne mériterait guère d’être lu, surtout le matin de Noël. Mais Jean est un grand auteur ; il reprend un à un les mots de ceux qui se réclament du Verbe. Il assume que ce Verbe puisse être l’une des manières de nommer Dieu, voire Dieu tout entier. Et de le nommer ainsi non pas parce qu’on a voulu et pu le voir, ni parce qu’on sait que tel est son nom, ni parce qu’on le possède… Jean reconnaît qu’il est possible de nommer Dieu le Verbe parce qu’on a reçu celui qui a témoigné de lui, parce qu’on croit en ce Jésus Christ qui s’en est fait l’interprète et qui, peut-être même est lui-même, le Verbe.

            On peut nommer Dieu le Verbe, tant qu’on en parle dans le cadre de l’histoire chaotique et ininterrompue d’une miséricorde faite à un peuple, faite aux humains, et dont les deux verbes essentiels sont « recevoir » et « croire ». Recevoir, chaque jour, croire, chaque jour… l’initiative de tout cela n’appartenant qu’à Dieu, et l’accomplissement de tout cela n’advenant qu’en Dieu, que par pure grâce – mettez ici le Verbe à la place de Dieu, cela ne change aucunement le sens de la phrase).            Ainsi en fut-il au temps où fut écrit l’évangile de Jean.

            Et nous, nous disons que chaque fois que la grâce de Dieu, l’initiative de Dieu, la miséricorde de Dieu sont mises de côté, chaque fois qu’éclate une dispute sur les manières de lire, de dire et de prier, chaque fois que ces manières acquièrent force de loi plutôt que n’être que de modestes moyens de rendre gloire à Dieu, chaque fois que des individus se prétendent être les seuls vrais croyants, et en regardent d’autres de haut, et leur font honte ou violence, il est urgent de relire très sérieusement le prologue de l’évangile de Jean. Nous n’en sommes pas là…

 

            Pourquoi alors lire le prologue de l’évangile de Jean à Noël, et juste après avoir évoqué en paroles et en chansons le récit de la nativité ?  L’incarnation de Dieu, l’incarnation du Verbe, idée chrétienne par excellence, semble supposer une conception, une naissance, un bébé vulnérable. Car toute personne normalement constituée éprouve, devant un berceau, devant un nouveau-né, un sentiment décidé et protecteur… car si l’on ne prend pas objectivement soin d’un nouveau-né, il mourra. Ce nouveau-né, c’est Dieu lui-même, c’est le Verbe ! C’est à la crèche que le sentiment protecteur et parfois possessif des êtres humains peut trouver le terrain le plus propice à sa mise en œuvre. C’est à la crèche que Dieu risque le plus d’être capturé, maîtrisé, objectivé… C’est devant la crèche que l’unique véritable tentation, celle dont parle le Notre Père, est la plus forte. Il faut affirmer que même à la crèche, et même à la croix, le Verbe ne cesse d’être le Verbe, c’est nous qui avons besoin de Lui, et non pas Lui qui a besoin de nous. Ainsi si l’on ne s’approprie pas le Verbe à la crèche où il est nouveau-né et sans défense, il est fort possible qu’on ne se l’appropriera jamais – sauf peut-être à la Croix.

            Lire le prologue de Jean, le matin de Noël, cela nous permet d’affirmer que dès notre crèche, c’est nous qui avons besoin du Verbe, et que c’est chaque jour qu’il nous faut apprendre à recevoir ce qu’il nous donne, chaque jour, triomphant ou vulnérable, chaque jour qu’il nous faut apprendre à croire en ce qu’il nous donne et en ce qu’il nous promet. Amen

samedi 21 décembre 2024

En attendant Noël (Michée 5,1-5 ; Hébreux 10,5-10 ; Luc 1,39-45)

Luc 1

39 En ce temps-là, Marie partit en hâte pour se rendre dans le haut pays, dans une ville de Juda.

 40 Elle entra dans la maison de Zacharie et salua Elisabeth.

 41 Or, lorsque Elisabeth entendit la salutation de Marie, l'enfant bondit dans son sein et Elisabeth fut remplie du Saint Esprit.

 42 Elle poussa un grand cri et dit: «Tu es bénie plus que toutes les femmes, béni aussi est le fruit de ton sein!

 43 Comment m'est-il donné que vienne à moi la mère de mon Seigneur?

 44 Car lorsque ta salutation a retenti à mes oreilles, voici que l'enfant a bondi d'allégresse en mon sein.

 45 Bienheureuse celle qui a cru: ce qui lui a été dit de la part du Seigneur s'accomplira!»

 Hébreux 10

5 Aussi, en entrant dans le monde, le Christ dit: De sacrifice et d'offrande, tu n'as pas voulu, mais tu m'as façonné un corps.

 6 Holocaustes et sacrifices pour le péché ne t'ont pas plu.

 7 Alors j'ai dit: Me voici, car c'est bien de moi qu'il est écrit dans le rouleau du livre: Je suis venu, ô Dieu, pour faire ta volonté.

 8 Il déclare tout d'abord: Sacrifices, offrandes, holocaustes, sacrifices pour le péché, tu n'en as pas voulu, ils ne t'ont pas plu. Il s'agit là, notons-le, des offrandes prescrites par la loi.

 9 Il dit alors: Voici, je suis venu pour faire ta volonté. Il supprime le premier culte pour établir le second.

 10 C'est dans cette volonté que nous avons été sanctifiés par l'offrande du corps de Jésus Christ, faite une fois pour toutes.

Michée 5

1 Et toi, Bethléem Ephrata, trop petite pour compter parmi les clans de Juda, de toi sortira pour moi celui qui doit gouverner Israël. Ses origines remontent à l'antiquité, aux jours d'autrefois.

 2 C'est pourquoi, Dieu les abandonnera jusqu'aux temps où enfantera celle qui doit enfanter. Alors ce qui subsistera des ses frères rejoindra les fils d'Israël.

 3 Il se tiendra debout et fera paître son troupeau par la puissance du SEIGNEUR, par la majesté du Nom du SEIGNEUR son Dieu. Ils s'installeront, car il sera grand jusqu'aux confins de la terre.

 4 Lui-même, il sera la paix. Au cas où Assour entrerait sur notre terre et foulerait nos palais, nous dresserons contre lui sept bergers, huit princes humains.

 5 Ils feront paître la terre d'Assour avec l'épée, et la terre de Nemrod, avec le poignard. Mais lui nous délivrerait d'Assour, au cas où celui-ci entrerait sur notre terre et foulerait notre frontière.

Prédication : 

            Je voudrais commencer en partageant avec vous une remarque qui m’est venue à l’esprit pendant que j’étudiais et méditais les trois textes que le lectionnaire Dimanches et fêtes propose pour ce 4ème dimanche de l’Avent 2024, Michée 5, Hébreux 10 et Luc 1 – la Visitation. Je suis souvent irrité, vous le savez, par l’aspect cousu gros points de ces sortes de listes. Mais aujourd’hui, il me semble qu’il y a une profonde harmonie, qui tâche d’exprimer…

            Je vais essayer de vous dire de quoi il s’agit.

 

            L’été 1987 vit naturellement naître quantité de petits êtres humains mais, à vrai dire, il y en avait un qui m’intéressait plus que tous les autres. Vous devinez bien sûr lequel. Deux semaines plus tôt quelques chose d’intéressant eut lieu. J’étais sorti pour quelques achats, et comme la température était caniculaire, la future maman et, évidemment, le bébé, étaient restés tranquillement dans l’appartement plongé dans la pénombre. De retour, j’avais égaré les clés, sonné à la porte, les colis m’étaient tombés des mains, tout cela produisant un assez gros tintamarre. Retrouvant la clé, j’ouvris – bruyamment encore, et je trouvai juste derrière la porte la mère avec son gros ventre, elle venait de sursauter, et le bébé aussi, affirma-t-elle et ajoutant ceci : « Tu nous as fait peur. » Le nous est ici essentiel. Car la mère de cet enfant l’inscrit d’emblée dans une distinction des émotions et des sentiments, dans son discours de mère, elle et l’enfant n’ont qu’une langue et qu’une foi. Et vous entendez bien que ces quelques mots, tu nous as fait peur, ont une certaine importance.

            Citation biblique : « … l'enfant bondit dans son sein, dit la narrateur… [et aussi, Élisabeth] Car lorsque ta salutation a retenti à mes oreilles, voici que l'enfant a bondi d'allégresse en mon sein. » Que dit-elle de plus que l’autre femme dont nous venons de parler ? Rien. Bien sûr il y a ces autres phrases et proclamations utilisant des substantifs importants, de forte anciennes répliques liturgiques. Et c’est là-dedans que ce bébé va naitre, et c’est là-dedans d’abord qu’il baigne. Et là-dedans, intra utero, que tout est déjà pleinement accompli.

            C'est-à-dire que même si le mouvement en lequel s’accomplit l’œuvre messianique de l’enfant de Marie s’accomplit va de l’avant crèche au sacerdoce le plus accompli, ce même mouvement s’accomplit aussi, et nécessairement, par une ce qu’on appellera une sainte régression, de la gloire à la crèche, ou si vous préférez, de Golgotha à Bethléem avant que naisse l’enfant.

            Et qu’a-t-il donc, cet enfant, pour lui ? Il n’a qu’un corps. Il n’a qu’un corps qui n’est pas encore né, qui n’est pas encore capable de respirer, ni de parler. Et la question de ce signifient croire, et encore annoncer l’Évangile, c’est grandir et faire grandir dans la parole, et aussi rejeter ce qui n’y est pas.

           

            Il n’est pas très simple de savoir si l’auteur de l’épître aux Hébreux était un lecteur de l’évangile de Luc. Mais il est simple de voir qu’il partageait certaines de ses intuitions. Notamment celle qui fait affirme : « De sacrifices et d’offrande tu n’as pas voulu, mais tu m’as façonné un corps. » Prière du Christ à son Dieu. Il congédie tout l’appareil sacerdotal, prêtres et cérémonies et suscite ce qu’on pourrait appeler un sacerdoce nu, un corps, rien d’autre, un corps qui sera moins qu’un corps encore lorsqu’il sera détruit, sacrifice des sacrifices, volontaire ultimement et définitivement.

            Lorsque cela s’accomplit, la situation qui se présente est exactement celle que nous évoquions tantôt avec nos affaires de petits enfants.

            Mais si cela ne s’accomplit pas ? Si l’histoire est en panne ? Et bien c’est le prophète Michée qui a imaginé et proclamé que l’histoire n’est jamais en panne, quand bien même elle semblerait l’être. L’espérance de Michée est plus ancienne que l’histoire des humains, ancienne comme le monde est humaine, pouvant naître et renaître à tout instant. Elle peut même être déjà là – merveilleuse langue hébraïque qui dit tout à la fois le temps et l’éternité…

 

            Voici, c’est tout pour aujourd’hui.

            Nous  nous approchons de Noël.

            Il nous accompagne

            Amen


samedi 14 décembre 2024

Une pensée généreuse (Luc 21,25-36 et 1Rois19,1-4)

 

Luc 21

25  "Il y aura des signes dans le soleil, la lune et les étoiles, et sur la terre les nations seront dans l'angoisse, épouvantées par le fracas de la mer et son agitation,

26  tandis que les hommes défailliront de frayeur dans la crainte des malheurs arrivant sur le monde; car les puissances des cieux seront ébranlées.

27  Alors, ils verront le Fils de l'homme venir entouré d'une nuée dans la plénitude de la puissance et de la gloire.

28  "Quand ces événements commenceront à se produire, redressez-vous et relevez la tête, car votre délivrance est proche."

29 Et il leur dit une comparaison: "Voyez le figuier et tous les arbres:

30  dès qu'ils bourgeonnent vous savez de vous-mêmes, à les voir, que déjà l'été est proche.

31  De même, vous aussi, quand vous verrez cela arriver, sachez que le Règne de Dieu est proche.

32  En vérité, je vous le déclare, cette génération ne passera pas que tout n'arrive.

33  Le ciel et la terre passeront, mes paroles ne passeront pas.

34  "Tenez-vous sur vos gardes, de crainte que vos cœurs ne s'alourdissent dans l'ivresse, les beuveries et les soucis de la vie, et que ce jour-là ne tombe sur vous à l'improviste,

35  comme un filet; car il s'abattra sur tous ceux qui se trouvent sur la face de la terre entière.

36 Mais restez éveillés dans une prière de tous les instants pour être jugés dignes d'échapper à tous ces événements à venir et de vous tenir debout devant le Fils de l'homme."

1 Rois 19,1-4

1 Akhab parla à Jézabel de tout ce qu'avait fait Elie, et de tous ceux qu'il avait tués par l'épée, tous les prophètes.

2 Jézabel envoya un messager à Elie pour lui dire: "Que les dieux me fassent ceci et encore cela si demain, à la même heure, je n'ai pas fait de ta vie ce que tu as fait de la leur!"

3 Voyant cela, Elie se leva et partit pour sauver sa vie; il arriva à Béer-Shéva qui appartient à Juda et y laissa son serviteur.

4 Lui-même s'en alla au désert, à une journée de marche. Y étant parvenu, il s'assit sous un genêt isolé. Il demanda la mort et dit: "Je n'en peux plus! Maintenant, SEIGNEUR, prends ma vie, car je ne vaux pas mieux que mes pères."

Prédication

          Je voudrais parler d’Elie, et de son désespoir. Cet homme est un champion de Dieu. Il a harangué les peuples, insulté les rois, empêché la pluie de tomber, vaincu les faux dieux et leurs prophètes. Cet homme a survécu à des famines, il a ressuscité des morts. Il peut présenter devant ses semblables un CV incomparable.

            Mais cet homme est un ver : il fuit. Le champion de Dieu fuit lamentablement devant une femme. Il n’a pas de botte secrète. Il s’enfuit, licencie le personnel, se couche et demande la mort. Avec le CV qu’il a… On a peine à voir s’enfuir les des hommes forts. A moins que secrètement on se réjouisse de leur. Elie fuit et son CV ne lui sert à rien.

Mais qu’attendait-il, Elie ? Que ses actes changent le monde ? Espérait-il qu’à son exemple les Israélites deviennent audacieux et saints ? Ou encore que Dieu se manifeste ? Et rien de tout cela ne se passe… et rien de tout cela ne dure. Il en fut ainsi d’Elie.

 

            Sans doute en fut-il ainsi aussi des premières générations chrétiennes, qui attendaient apparemment un prompt retour de leur Seigneur et Christ, retour que chaque signe des temps annonçait. Et puis les temps étaient assez durs pour ces premiers chrétiens, minorité de minoritaires. C’était dur, alors ils avaient relu leurs textes fondateurs qui, déjà, quelques siècles plus tôt, avaient pensé que la violence, que le malheur… étaient si forts qu’il n’était pas pensable que le monde durât encore longtemps. Ils avaient déjà écrit des apocalypses, pour donner sens à la violence, pour s’inventer une espérance et un avenir. Les anciens avaient écrit, et le temps avait passé. Le monde était encore là. Et l’établissement sur terre de la cité céleste était en panne. Et le grand coup de force de Dieu se laissait désirer.

            C’était pour bientôt il y a longtemps. Le bientôt d’il y a longtemps, est-ce maintenant ?

            Votre délivrance est proche. C’est ce que retient Luc l’évangéliste. Votre délivrance est proche, mais que sera-t-elle ?

            Lorsque nous lisons Elie comme nous l’avons lu à l’instant, nous sommes frappés qu’un homme de cette stature, un tel champion, ne puisse autrement faire face qu’en tournant le dos.

            Elie est un champion, soit. Est-ce que les champions doivent gagner toujours ? L’actualité sportive est souvent grosse de la réponse à cette question, et la réponse est oui. C’est que, lorsque mon champion gagne, je gagne avec lui. Et s’il perd, il me fait perdre. Pour moi, il doit gagner toujours. Et il le doit parce que, moi-même, je le dois. Et je le dois parce que cette emprise du temps, cette fatigue du temps, signe de ma faiblesse, m’est insupportable. Et donc champion de Dieu ne doit jamais faiblir, ne doit en somme jamais cesser de croire. Et s’il est un faiseur de miracle, il ne doit jamais cesser d’en accomplir. Elie n’aurait jamais dû fuir et sa fuite a quelque chose de  faible, et de méprisable.

            Lorsque nous lisons Luc 21, nous sommes invités à mortifier notre chair, invités à une prière et à une vigilance de tous les instants. Nous sommes appelés à être des champions de la foi. Il faut que nous soyons prêts parce que c’est pour tout de suite et que si nous ne sommes pas prêts lorsque passera l’autobus de la rédemption, il n’en passera plus d’autre, après l’heure, c’est plus l’heure !

 

            Mais… peut-on comprendre ainsi la foi chrétienne et la proposer comme une méfiance envers la chair et une défiance envers le monde ? Vous allez dire non. Ce n’est pas raisonnable, pas possible, parce que nous sommes humains, et pas cohérents, et surtout parce que cette foi-là se moque de la miséricorde de Dieu. Sauf que, et vous en avez la preuve sous les yeux, cette foi de champions et ce salut réservé aux médaillés ont été proposés, voire imposés, à des populations entières, en des temps très diversifiés. Mais cette foi, a-t-elle tenu, n’a-t-elle pas été décourageante à force d’être exigeante ? Aura-t-elle été indulgente envers ceux qui n’auront pas tenu ? Avant d’avoir inventé des sales choses systémiques ? Avant d’être coupablement indulgente pour elle-même ?

            L’histoire de l’Eglise est parfois une histoire de persécution. Et en temps de persécution, le peuple de l’Eglise se partage en trois groupes, les confesseurs, les martyrs, les apostats. Les apostats, vous savez ce que ça signifie : devant le péril, ils ont préféré renoncer à leur  foi. Les martyrs, vous le savez, n’ont pas renoncé à leur foi et en sont morts. On appelle confesseurs ceux qui n’ont pas renoncé à leur foi, qui ont été livrés au martyre et dont la mort n’a pas voulu. Et bien, dans l’histoire de l’Eglise persécutée, les apostats ont toujours été compris, soutenus et défendus par les confesseurs.

            Ce qui signifie que celui qui croit, ne condamnera jamais celui n’a pas cru. Celui qui croit ne prescrira jamais. Vigilance de tous les instants, sobriété parfaite, confiance totale et perpétuelle prière, est-ce cela la foi ? Ne répondez pas non trop vite. Pourquoi cela ne le serait-il pas si cela m’est donné ? Elie, l’immense homme de Dieu, n’avait même pas cela pour lui. Comment alors oserions-nous nous autres paraître devant Dieu ? Même question : Elie était-il irrémédiablement perdu ?

 

            Le texte de Luc est un texte trop dur, et nous ne devons pas sauver d’un texte biblique ce qui ne peut pas être sauvé. Prudence, prudence… Car il arrive, avec Luc qu’une      apologie soit en fait une critique virulente. Il arrive que Luc mène jusqu’au bout la prédication de l’obligation, jusqu’à l’impossible donc, pour mettre en évidence que seule la miséricorde peut nous sauver de la prétention mais aussi du désespoir. De sorte que ni la prétention ni le désespoir n’ont le dernier mot. L’obligation en guise de salut, nous n’en voulons pas.

            Quelle sera alors notre prière, et comment comprendrons-nous cette attention absolue que Luc l’évangéliste recommande ? Voici, nous ne visons pas l’impossible : veillez donc, en tout temps demandant que vous soyez assez forts pour n’être pas submergés par ce qui vous arrive, et que vous soyez maintenus debout devant le Fils de l’homme. Et qu’ainsi au moment des grands comptes, si grands comptes il y a, au moment des grands engagements et des grands départs, l’être humain soit simplement et bravement debout et devant ses semblables et devant son Dieu, sans peur et sans arrogance, sans orgueil et sans fausse modestie. Disant : « Ce que j’ai fait, je l’ai fait à la mesure de mes forces et de la force que tu m’as donnée. Et maintenant, que ta volonté s’accomplisse, fais de moi ce que tu veux. » En quoi nous aurons été libérés et libres, prêts à répondre de notre liberté. Amen.            


samedi 7 décembre 2024

Espérance pendant l'Avent (Esaïe 60,1-11 ; Philippiens 1,4-11 ; Luc 3,1-6) - 8 décembre 2024

                    

Esaïe 60, 1-11

1 Mets-toi debout et deviens lumière, car elle arrive, ta lumière: la gloire du SEIGNEUR sur toi s'est levée.

 2 Voici qu'en effet les ténèbres couvrent la terre et un brouillard, les cités, mais sur toi le SEIGNEUR va se lever et sa gloire, sur toi, est en vue.

 3 Les nations vont marcher vers ta lumière et les rois vers la clarté de ton lever.

 4 Porte tes regards sur les alentours et vois: tous, ils se rassemblent, ils viennent vers toi, tes fils vont arriver du lointain, et tes filles sont tenues solidement sur la hanche.

 5 Alors tu verras, tu seras rayonnante, ton coeur frémira et se dilatera, car vers toi sera détournée l'opulence des mers, la fortune des nations viendra jusqu'à toi.

 6 Un afflux de chameaux te couvrira, de tout jeunes chameaux de Madiân et d'Eifa; tous les gens de Saba viendront, ils apporteront de l'or et de l'encens, et se feront les messagers des louanges du SEIGNEUR.

 7 Tout le petit bétail de Qédar sera rassemblé pour toi, les béliers de Nebayoth seront pour tes offices; ils monteront sur mon autel, ils y seront en faveur; oui, je rendrai splendide la Maison de ma splendeur.

 8 Qui sont ceux-là? Ils volent comme un nuage, comme des colombes vers leurs pigeonniers;

 9 oui, les îles tendent vers moi, vaisseaux de Tarsis en tête, pour ramener tes fils du lointain et avec eux leur argent et leur or, en hommage au nom du SEIGNEUR, ton Dieu, en hommage au Saint d'Israël, car il t'a donné sa splendeur.

 10 Les fils de l'étranger rebâtiront tes murailles et leurs rois contribueront à tes offices, car dans mon irritation je t'avais frappée, mais dans ma faveur je te manifeste ma tendresse.

 11 Tes portes, on les tiendra constamment ouvertes, de jour, de nuit, jamais elles ne seront fermées, pour qu'on introduise chez toi la troupe des nations et leurs rois, mis en colonne!

 

Philippiens 1, 4-11

4 toujours, en chaque prière pour vous tous, c'est avec joie que je prie,

 5 à cause de la part que vous prenez avec nous à l'Évangile depuis le premier jour jusqu'à maintenant.

 6 Telle est ma conviction: Celui qui a commencé en vous une œuvre excellente en poursuivra l'achèvement jusqu'au jour de Jésus Christ.

 7 Il est bien juste pour moi d'être ainsi disposé envers vous tous, puisque je vous porte dans mon coeur, vous qui, dans ma captivité comme dans la défense et l'affermissement de l'Évangile, prenez tous part à la grâce qui m'est faite.

 8 Oui, Dieu m'est témoin que je vous chéris tous dans la tendresse de Jésus Christ.

 9 Et voici ma prière: que votre amour abonde encore, et de plus en plus, en clairvoyance et pleine intelligence,

 10 pour discerner ce qui convient le mieux. Ainsi serez-vous purs et irréprochables pour le jour du Christ,

 11 comblés du fruit de justice qui nous vient par Jésus Christ, à la gloire et à la louange de Dieu.

 

Luc 3,1-6

            L'an quinze du gouvernement de Tibère César, Ponce Pilate étant gouverneur de la Judée, Hérode tétrarque de Galilée, Philippe son frère tétrarque du pays d'Iturée et de Trachonitide, et Lysanias tétrarque d'Abilène,

 2 sous le sacerdoce de Hanne et Caïphe, la parole de Dieu fut adressée à Jean fils de Zacharie dans le désert.

 3 Il vint dans toute la région du Jourdain, proclamant un baptême de conversion en vue du pardon des péchés,

 4 comme il est écrit au livre des oracles du prophète Esaïe: Une voix crie dans le désert: Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers.

 5 Tout ravin sera comblé, toute montagne et toute colline seront abaissées; les passages tortueux seront redressés, les chemins rocailleux aplanis;

 6 et tous verront le salut de Dieu

Prédication

          Souvenons-nous d’un temps pendant lequel le peuple hébreu avait tout perdu, sa terre, son roi, son temple, sa liberté… un temps pendant lequel chaque famille avait payé un lourd tribut de vies humaines à l’envahisseur, un temps pendant lequel une part des survivants avaient été déportée. C’est le temps de l’exil à Babylone. Et ces déportés étaient là-bas parfois assujettis à de dures corvées.

            Parmi ces corvées, l’une, était une corvée de terrassement. Il faut vous dire qu’une fois par an, il y avait une cérémonie pour le dieu suprême de Babylone, le dieu Mardouk. Pour cette cérémonie, on faisait construire une piste qui traversait le désert, qui traversait la steppe, et qui entrait dans la ville… et l’on faisait passer sur cette piste une procession de la statue du dieu, de prêtres, de richesses, et d’ennemis vaincus. Toute cette procession rentrait dans la ville, on fermait les portes, et, symboliquement au moins, la présence du dieu Mardouk, et sa puissance, étaient assurées pour l’année.

            Si vous imaginez bien cette cérémonie, vous avez tous les éléments du texte qui a été lu : préparez le chemin du dieu, comblez les ravins, rabotez les collines, faites-lui des routes bien droites, et vous verrez son salut.

            Mais bien sûr, vous préférez ne pas être parmi les ennemis vaincus, ni parmi les esclaves qui s’occupent du terrassement…

 

            Ces commandements, pourtant, les hébreux vaincus les ont entendus. Esclaves en Babylonie, ils ont dû travailler pour la gloire de leurs vainqueurs et pour célébrer la gloire du dieu de leurs vainqueurs. Mais ces commandements, ils en ont fait aussi des énoncés d’espérance : trois énoncés d’espérance.

 

            Premier énoncé d’espérance : dans le désert, préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers.

            Ce premier énoncé est donc adressé à ceux qui peinent, à ceux qui ont tout perdu : à ceux qui sont dans le désert, en esclavage, à ceux qui pensent qu’ils n’ont aucune initiative ni aucun pouvoir. Et bien, à ceux-là, un commandement est donné. Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers. On peut donner un commandement aux éprouvés, non pas un commandement de faire ce qu’ils ne peuvent pas faire, mais un commandement de regarder ce qui leur arrive, de le regarder pleinement, en face, en vérité, sans rêver qu’il aurait pu en être autrement. Le chemin du Seigneur n’est pas autre que le chemin de la vie. Rendre droit les sentiers du Seigneur, c’est considérer que c’est dans cette vie qu’il s’avance et dans la vérité de cette vie qu’on peut le trouver.

            Mais nous n’allons surtout pas penser que c’est simple et que c’est magique et qu’il n’y a qu’à. Ce premier énoncé comporte deux verbes, et le premier de ces verbes est le verbe préparer, ce qui signale un temps… Il faut peut-être bien du temps pour regarder en face et en vérité sa propre vie, il faut peut-être bien du temps pour en finir soi-même avec les illusions qu’on entretient. Mais le commandement est là et, avec lui, l’obéissance au commandement et, avec elle, l’espérance.  

            Deuxième énoncé d’espérance (qui vient après le premier) : tout ravin sera comblé, toute montagne et toute colline seront abaissées, les passages tortueux seront redressés, les chemins rocailleux aplanis. Autant dans le premier énoncé le verbe était un impératif : préparez… rendez droits, autant, maintenant, il y a des verbes à la voie passive. Ce qui est une montagne ne sera plus si haut, et ce qui est un abime ne sera plus si profond. Peut-être est-ce le regard qu’on porte dessus qui change… mais peut-être aussi, le temps faisant son œuvre, les conditions réelles elles-mêmes changent-elles. Ce qui est clair, dans les deux cas, c’est que les obstacles n’ont pas le dernier mot, que ce qui semblait impraticable ne l’est plus, et que ce qui semblait être tortueux devient soudain tout droit. On n’avançait pas, on espérait seulement avancer peut-être un jour et, soudain, on s’aperçoit que du chemin a été parcouru. Qu’a-t-on fait ? On ne saurait pas le dire. Ça semble avoir été fait, puisqu’on a pu avancer. C’est donc qu’on n’était pas seul, qu’on n’est pas tout seul.

            Troisième énoncé d’espérance (après les deux premiers) : tous verront le salut de Dieu. Dans ce troisième énoncé, il y a une surprise, le mot tous. Jusqu’ici, nous évoquions plutôt la démarche que quelqu’un peut faire, pour lui-même, et au titre de laquelle il constate qu’il avance, en lucidité, en tranquillité, et en réelle liberté. Et en ceci il reconnaît le salut. Voici donc que celui qui avance ainsi voit le salut, mais il ne le voit pas seul : tous le voient. Le chemin que quelqu’un parcourt peut être reconnu et parcouru par d’autres que lui. Les passages que nous frayons pour nous-mêmes et que quelques-uns parcourent deviennent praticables. Comment dire cela ? L’espérance est contagieuse. L’objet du salut est objet de salut pour tous.

            Ce salut est, nous le lisons, salut de Dieu. Mais qu’est-ce donc que ce salut de Dieu qui est salut pour tous ?

 

            En évoquant Babylone et son dieu Mardouk, nous avons évoqué ces processions, pour lesquelles on avait besoin d’esclaves, processions qui célébraient des conquêtes et qui finissaient par enfermer hommes, richesses, et présence du dieu entre les murailles d’une ville fortifiée. Le salut d’une idole est un salut de domination et de clôture, un salut qui ne fonctionne qu’en creusant des abimes et en élevant des montagnes infranchissables, un salut conquis par quelques-uns, pour eux-mêmes, et au détriment de tous les autres.

            Qu’en est-il du salut de Dieu ? Il n’est pas un salut conquis, mais un salut espéré, donné, et partagé. Il est salut de Dieu parce qu’il est salut en espérance, en don et en partage.

 

Au moment où Jean-Baptiste rappelle ces énoncés d’espérance, ce sont de vieux énoncés. Peut-être quatre siècles se sont écoulés. Babylone n’est plus la capitale d’un empire, et donc son dieu le Grand Mardouk n’a plus d’adorateurs, ni donc de puissance… Pourtant, des murailles demeurent entre les humains. Elles ne sont plus celles de l’exil, mais celles de la domination romaine. Mais l’évangile de Luc dit, au sujet de ce moment-là, que l’espérance est actuelle et qu’elle engendre toujours du possible et de l’avéré.

            Nous lisons aujourd’hui et ici l’évangile de Luc, vingt siècles encore plus tard, ici, sous la domination des puissances de l’argent, ailleurs, sous la domination des armes, ailleurs, sous la domination de la corruption, ailleurs encore, sous la domination de la maladie, de la famine...

            Et nous disons que l’espérance est actuelle et qu’elle est toujours possible. « Dans le désert, préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers.  Tout ravin sera comblé, toute montagne et toute colline seront abaissées; les passages tortueux seront redressés, les chemins rocailleux aplanis ; et tous verront le salut de Dieu. » Ce qui est un énoncé du pire. Et pourtant, individuellement et collectivement, là où nous sommes, nous faisons ce que l’espérance commande.

            Que Dieu nous soit en aide Amen