Marc 1
21 Ils pénètrent dans Capharnaüm. Et dès le jour du
sabbat, entré dans la synagogue, Jésus enseignait.
22 Ils étaient stupéfaits par son enseignement, car
il leur enseignait en ayant autorité et non pas comme les scribes.
23 Or, justement, il y avait dans leur synagogue un
homme d’esprit impur ; il s'écria :
24 «Que nous veux-tu, Jésus de Nazareth? Tu es venu
pour nous ruiner. Je sais qui tu es : le Saint de Dieu ! »
25 Jésus lui ordonna : « Tais-toi et sors
de lui. »
26 L'esprit impur le secoua avec violence, et poussant
un grand cri, il sortit de lui.
27 Ils furent tous tellement saisis qu'ils se
demandaient les uns aux autres : « Qu'est-ce que cela ? Un
enseignement nouveau ? Avec d'autorité ? Et il commande même aux
esprits impurs ? Et ils lui obéissent ? »
28 Et sa renommée se répandit aussitôt partout, dans
toute la région de Galilée.
Prédication :
En lisant cet évangile, il peut nous
venir à l’idée que le monde n’est pas seulement celui que nous voyons, mais
qu’il y a aussi un monde des esprits, entités qui sont tout autant que nous
créatures de Dieu, mais qui sont plus ou moins soumises ou pas soumise à sa
majesté ; pures ou impures, elles peuvent prendre possession des gens.
Lorsqu’un esprit impur prend possession de quelqu’un, cette personne ne
s’appartient plus, et s’oppose donc à tout ce que Dieu veut entreprendre et à
tout ce que Jésus veut dire.
Mais ne simplifions pas… j’ai
rencontré, s’agissant d’esprits impurs, plusieurs personnes auxquelles un
ministère particulier avait été confié… et par qui ? et pour quoi ? L’un
était un pasteur protestant, juste une coïncidence. Les réunions de prière qu’il
conduisait étaient tellement stressantes, voire brutales, que des gens
craquaient, et de grandes manifestations gesticulantes et sonores avaient lieu,
esprit mauvais, c’était le diagnostique. Il avait des prières spéciales pour
ça. L’autre était un prêtre exorciste catholique romain. Je n’ai dans ma vie connu
que deux hommes ainsi calmes et modestes comme cet exorciste, sans peur, habité
par la grâce, dont le regard de bonté savait apaiser les gens…
Revenons à notre évangiles. Pourtant,
Jésus reste le plus fort ; il commande aux esprits impurs et ceux-ci lui
obéissent. Jésus chasse ces esprits impurs, les envoie à leur perte, et alors
l’homme possédé s’apaise ; que l’homme s’apaise, c’est nous qui le
supposons ; l’évangile de Marc, dans ce tout petit récit, ne le précise
pas.
Jésus commande aux esprits impurs et
ils lui obéissent. Nous n’allons pas écarter cette lecture. La parole accomplit
tout ce qu’elle énonce.
Nous ne pouvons pas en rester à cela.
Les quelques versets que nous avons lus nous exhortent à aller plus loin.
Certes Jésus commande aux esprits impurs de sortir, et ceux-ci lui obéissent.
Mais à y regarder un peu finement, nous pouvons nous demander combien ils sont dans
cet homme, ou si c’est cet homme qui est dans l’esprit impur, un peu comme on pourrait
dire de cet homme qu’il fait du mauvais esprit. Cette question n’est pas tout à
fait innocente parce qu’elle permet de mettre en jeu la responsabilité de cet
homme ; et donc d’interroger les propos qu’il tient, et que voici : « Que
NOUS veux-tu, Jésus de Nazareth ? TU es venu pour NOUS
ruiner. Je sais qui tu es, le Saint de Dieu ! »
Insistons sur le NOUS. C’est étonnant, cet homme qui, en s’emportant,
parle en employant le pluriel. Cette personne, il faut la prendre au mot, et
demander qui est ce NOUS.
Ce n’est probablement pas un pluriel de majesté. Ni non plus l’homme plus
son esprit impur. Ce peut être l’homme et ses habitudes. Se lever telle heure,
toujours la même ; se rendre à la salle de culte, toujours la même, et y
entendre un enseignement, toujours le même, avec les mêmes prières et les mêmes
chants ; y occuper toujours la même place sur le même banc, etc. Un être
humain et ses incontournables habitudes, c’est un NOUS. C’est un NOUS parce que
ces habitudes, si on le regarde bien, sont extérieures à l’être humain ;
et pourtant elles sont déclarées essentielles. Si ces habitudes sont mises en
question, ce qui génère toujours de l’angoisse, l’être humain en prendra la
défense, parfois très énergiquement ! En disant NOUS, l’être humain prend
la défense de ses habitudes personnelles, et considère en plus que d’autres que
lui doivent défendre ses propres habitudes. Il charge donc autrui d’une défense
qui n’est pas la sienne, et peut-être bien aussi d’une souffrance qui n’est pas
la sienne.
Dans le texte que nous méditons, le NOUS peut désigner aussi une
assemblée de personnes qui partagent les mêmes rites, le même enseignement, les
mêmes manières de faire, assemblée qui n’est pas prête, pas du tout prête à
entendre quoi que ce soit de nouveau. Il faut dire que le groupe protège bien
l’individu. Le NOUS est une armure, c’est un édredon d’habitudes, voire de
complaisance. Nul n’a à répondre vraiment de ses habitudes, de ses actes, même
les plus laids, lorsqu’un groupe, un esprit mauvais, le couvre.
Alors, quel est ce NOUS que notre homme met en avant ? Domination
de l’un sur tous les autres ? Domination de tous les autres sur
chacun ? Les deux, peut-être. Cet homme, dans l’esprit impur, redoute la
ruine de quelque chose à quoi un groupe s’est soumis, et dont lui, entre
autres, jouit. Il redoute la nouveauté de ce que Jésus représente, qui l’invite
à dire JE, plutôt que NOUS. Il redoute d’avoir à questionner ses propres paroles
et ses propres actes, d’avoir à interroger ses habitudes, ses complaisances
peut-être, d’interroger tout ce qu’il dit et fait, plutôt tout ce qu’on dit et
fait sans vraiment le choisir et sans jamais en répondre.
Si bien que, être dans l’esprit impur, c’est ainsi dire NOUS à la place
de JE. Être dans l’esprit impur, c’est penser, vouloir et agir comme si ce que JE
veux, pense et fais était aussi sacré qu’un texte sacré. Et puisque nous en
sommes là, être dans l’esprit impur c’est aussi envisager que le texte sacré
justifie, excuse, voire exonère de sa responsabilité personnelle celui qui prétend
le posséder, et qui pourtant ne fait que le manipuler.
Ça n’est pas pour rien que les scribes, champions des textes sacrés, sont
visés par ce texte. Car l’enseignement des scribes, ainsi mentionné, est celui
qui enseigne que ce qui est écrit est écrit. L’enseignement des scribes répète
ce que les générations ont institué et que l’on s’évertue à défendre, sans
discernement aucun. L’enseignement des scribes, c’est ce qui ratifie que
« Les parents ont mangé des raisins verts et les dents des enfants ont été
gâtées. » et que c’est comme ça et NOUS n’y pouvons rien, et il ne faut rien
y changer.
Mais quel est le prix d’aliénation, de mépris et de souffrance que tout
cela apporte ? Est-ce que quelqu’un s’en soucie ? Est-ce que
quelqu’un en répond ? Personne. Car lorsque les habitudes sont
suffisamment bien en place, on les appelle fatalité et destin, et l’on s’y soumet
et même mieux, on s’en fait les défenseurs. C’est ainsi qu’un homme vocifère :
« Tu es venu pour NOUS ruiner… »
Or, l’homme dans l’esprit impur ne s’en tient pas au NOUS. Il
ajoute : « JE sais qui tu es … le Saint de Dieu. » Jésus est le
Saint de Dieu en ce qu’il questionne radicalement le NOUS et qu’en sa présence,
l’homme dans l’esprit impur se met soudain à dire JE. Jésus ne questionne pas
seulement ; sa présence bouleverse. En cela Jésus enseigne en ayant
autorité, et non pas comme les scribes.
Cet homme ordinaire, Jésus, le Saint de Dieu, invite à la sainteté. Là
où les scribes s’en tiennent au sacré, Jésus invite à la sainteté. Il
interpelle ainsi son auditoire, homme et esprit impur : pourquoi ceci
est-il sacré, indérogeable, pour toi ? Pourquoi en religion fais-tu ainsi ?
Pourquoi te comportes-tu ainsi dans ton culte ? Quelle satisfaction cela
t’apporte-t-il ? Et qu’est-ce que cela coûte à ton entourage ?
Jésus interroge ainsi parce que déclarer que quelque chose est sacré,
c’est toujours en faire porter le poids à autrui, alors que choisir la sainteté
c’est tendre la main et ouvrir son cœur.
Notre Seigneur Jésus Christ, le Saint de Dieu, a fait, sa vie durant,
le choix de la sainteté. Ce choix, le choix de la sainteté, il nous appartient
de le faire, nous y sommes appelés. Nous le ferons. Amen