Marc 13
33 «Prenez garde, restez éveillés, car vous ne savez
pas quand ce sera le moment.
34 C'est comme un homme qui part en
voyage: il a laissé sa maison, confié à ses serviteurs l'autorité, à chacun sa
tâche, et il a donné au portier l'ordre de veiller.
35 Veillez donc, car vous ne savez
pas quand le maître de la maison va venir, le soir ou au milieu de la nuit, au
chant du coq ou le matin,
36 de peur qu'il n'arrive à
l'improviste et ne vous trouve en train de dormir.
37 Ce que je vous dis, je le dis à
tous: veillez.»
Prédication
Je voudrais, pour commencer ce sermon, me demander
combien de temps il faut aux humains pour considérer que ce qu’ils reçoivent
par pure grâce leur est en fait tout simplement dû. C’est une drôle de
question, l’une de celles qui me sont familières. Et qui est assez bien
documentée dans la Bible, avec David, avec Gédéon.
David et Gédéon, avec un accessoire vestimentaire appelé ephod. Nous ne savons pas très bien ce
qu’était l’éphod. Un petit pagne de lin, ou un gros pendentif pectoral. Les
deux ayant à voir avec le culte, plutôt louange action de grâce.
David tournoyait de toutes ses forces devant le SEIGNEUR
- David était ceint d'un éphod de lin. (2Sa 6:14) L’occasion de cette danse
est l’entrée de l’arche dans Jérusalem. Quelque chose d’extrêmement joyeux, indubitablement.
Mais pas pour tout le monde. La femme de David, Mikal, fille du roi Saül, vient
adresser de vives remontrances à David parce qu’elle pense qu’il s’est exhibé
devant le peuple… car l’éphod était un petit vêtement de hanche qui, si le
danseur dansait de toute sa force, ne laissait rien ignorer de son anatomie.
Mais ça n’est pas ce qui nous intéresse. Combien de temps
entre la grâce divine comprise pour ce qu’elle et la récrimination
agressive ? Quelques instants dans le cœur de Mikal.
Autre personnage. Gédéon, dans le livre des Juges. Gédéon
était le plus petit garçon de la plus petite famille de la plus petite tribu de
son peuple. Mais c’est lui qui fut choisi par Dieu pour libérer son peuple. Et
il le libéra, gloire soit rendue à Dieu. Gédéon n’accepta jamais la moindre
gratification.
Sauf que, sur le tard, il demanda à ses compagnons
d’armes qu’ils donnent chacun un anneau d’or
pur pris sur le butin qu’ils avaient saisi sur leurs ennemis vaincus. Et avec
cet or, Gédéon [en] se fit un éphod, gros pendentif pectoral métallique, qu'il
installa dans sa ville, à Ofra. Tout Israël vint se prostituer là, devant cet
éphod, qui devint un piège pour Gédéon et pour sa maison (Juges 8:27). Se
prostituer, dans ce contexte c’est implorer la chose plutôt que rendre grâce à
Dieu.
Combien de temps entre la bénédiction divine et la
dégénérescence idolâtre ? Quelques décennies, tout au plus.
Ces exemples bibliques nous ont bien montré que les
événements sont solubles dans le temps. Et que parfois – ne disons pas toujours
– la génération de la libération peut bien être celle de la ré-aliénation.
Gédéon, David, la succession infernale des rois de Juda et l’épopée spirituelle
de la sortie d’Égypte. C’est parfois si tristement répétitif que nous pouvons
douter que jamais l’homme, avec ou sans Dieu, soit capable de garder comme un
bien précieux et durable ce qui, un jour, lui advint comme par miracle.
En ruminant cette question, me vient une autre
question : à quoi sert l’année liturgique ? A quoi cela sert-il de
répéter chaque année dans le même ordre toute une série de fêtes ? La
liste de ces fêtes n’est pas la même pour toutes les confessions chrétiennes –
parlons seulement de ce christianisme que nous connaissons un peu – mais la
fréquence est bien la même. Raviver une flamme qui autrement viendrait à
passer, telle peut être la fonction de ces fêtes liturgiques, telle peut être
la fonction de sermons thématique repris et repensés… Après 25 sermons sur la
Pentecôte, le pasteur commence à mieux comprendre. Et nous avons une petite
histoire de rabbins, Un jour que Moïse doutait parce que ce que Dieu lui
dictait, la Torah, était trop difficile, Dieu montra à Moïse Rabbi Akiba, le
plus grand d’entre tous. Moïse vit Rabbi Akiba, puis Dieu montra à Moïse Rabbi
Akiba après sa mort. Aucune différence apparente dit Moïse. Mais Dieu
répondit : « Maintenant, il comprend. » Et voila le temps
qu’il faut pour comprendre, et c’est Rabbi Akiba, un maître distingué entre
tous, qui nous en donne la mesure.
Pourquoi donc la répétition des fêtes ? Il faut
toujours raviver la flamme, et il faut toujours sarcler le terrain sur lequel
se sème la divine Parole, une fois par fête et par année. Vous connaissez la
liste, et la liste connaît de nombreuses variantes. Une seule de ces variantes,
l’Ascension, répétée annuellement dans l’EPUdF branche luthérienne, et dans la
branche réformée ? pas répétée du tout. Mais pour autant ces réformés ne
restent pas en repos, ils tiennent gentiment leur synode national…
Mais il y a une fête importante qui, si nous observons
bien, connait chaque année une répétition remarquable : une quadruple
répétition préparatoire, suivie par la fête elle-même. Est-ce vous voyez
quoi ? Quatre dimanches de l’Avent, puis la célébration de Noël. Ça vous
fait cinq cérémonies là où pour toutes les autres fêtes du calendrier une seule
suffit.
Quelqu’un nous dira peut-être que cet ensemble imposant
marque le commencement de l’année liturgique, et que c’est de là que vient
cette sorte de chargement du calendrier. Bien sûr, nous l’entendons, mais cela
revient à dire que la liturgie se commande à elle-même, ce qui est possible
mais ce qui n’est pas selon les ambitions des Protestants réformés. Nous
cherchons quelque-chose de théologique, quelque-chose de biblique. Or
qu’avons-nous sous les yeux ? Un nouveau-né dans une crèche (Luc) – mais
cela vient un peu tôt pour aujourd’hui. Nous avons ceci, l’intuition de
l’évangile de Jean, qui énonce – attentions, tout cela fonctionne en simultané
– que le Verbe est Dieu, et que le Verbe se fait chair. Alors ce qui est vu le
soir de Noël, c’est Dieu, en chair et en os c’est Dieu. C’est Dieu dans une
extrême fragilité – en ce temps-là, en notre temps aussi, il n’est qu’un enfant
– et qui dispose d’une pauvre garde, Joseph, son Père, Marie, sa mère. Et
toutes sortes de quadrupèdes, mangeurs de viande et mangeurs d’herbe seront
ajoutés à la scène primitive. La notoriété grandit, et le cortège grandit
aussi. Mais ça n’est pas ce qui doit nous retenir. Car la flèche du temps qui
nous intéresse ne va pas dans le sens descendant. Elle va dans le sens
ascendant, et la question qui se pose – pendant les quatre dimanche c’est
« Et avant ? »
Et pendant ces quatre dimanches préparatoires, à la fois
l’on s’avance vers Noël et à la fois on se transporte – à rebours – vers des
temps plus de plus en plus précaires et de plus en plus incertains. Incertains
quant à l’existence physique, mais grands – on l’espère – quant à l’espérance,
l’espérance et l’incertitude n’étant pas antagonistes.
Mais pourquoi quatre plus un ? Et bien parce que
c’est là qu’est la fragilité extrême, là où il est le plus facile, voire le
plus tentant de la ramener à rien, de le pulvériser, et le vent fait le reste,
et Dieu n’y est plus. Quatre méditations donc, pour méditer sur la portée de
notre puissance, et l’humble et doux refuge que nous pouvons peut-être être
pour Lui.